C’était son dernier jour de congés avant de reprendre le travail, son dernier réveil tardif, sa dernière matinée de paix dans ce logement si calme. Reprendre une vie normale. Mais aussi redécouvrir la solitude, puisque Nolan espérait déménager avec son aide ce jour. Il lui semblait difficile de croire que tout allait à nouveau basculer, qu’il devait remettre le pied à l’étrier. Livio savait que le travail lui ferait le plus grand bien, qu’il avait besoin de cesser de tourner en rond dans un appartement qui l’étouffait, de se confronter à des crimes qui ne le concernaient pas pour se sortir de sa propre vie. Assis à la table de la cuisine il naviguait sur son téléphone, au milieu des applications de rencontre, une tasse de café refroidissant à portée de main. Avec la mort d’Ethan il s’était remis à fumer. Ce dernier lui avait fait perdre cette vilaine habitude à grand renfort de sermon, de disputes et de regards désapprobateurs. Mais mieux valait aspirer des résidus de goudrons et de nicotine plutôt que se saouler non ? Il pinçait une cigarette entre ses lèvres, la laissant plus se consumer inutilement qu’en la fumant véritablement. Le soleil lui chauffait agréablement le dos et il en aurait presque pu oublier le but de cette journée. Il sursauta en apercevant Nolan du coin de l’œil dans l’encadrement de la porte et écrasa instinctivement sa cigarette dans le cendrier comme un enfant pris en faute avant d’expirer lentement la fumée en réalisant l’absurdité de son geste. « Je t’interdis d’aller raconter à la tombe de ton frère ce que tu viens de voir. Il pourrait en mourir une seconde fois. » Pouvait-il vraiment plaisanter là-dessus ? Cela lui coûtait, mais après tout le cynisme pouvait toujours être une forme d’humour, c’était mieux que rien.
Il verrouilla l’écran de son téléphone, il ne voulait pas qu’il s’imagine des choses, qu’il le voit comme le connard qui oublie si rapidement son frère. Parce qu’après tout, lui aussi avait perdu quelqu’un, et pourtant Livio avait l’impression de prendre toute la place, d’être ce gouffre sans fond qui absorbait sans peine toutes les attentions que Nolan lui donnait, offrant très peu en retour. Il but une gorgée du café froid et grimaça. C’était immonde. C’était décidé. Il allait jeter ce foutu café arabica du bout du monde qu’il ne savait pas préparer et revenir à quelque chose de plus simple, il s’en fit la promesse. Ou bien claquer son salaire dans des boissons issues d’une entreprise communément appelée Starbucks qui demande une fortune en échange d’un maigre gobelet. « Alors comme ça on doit déménager tes affaires aujourd’hui ? » Il se leva, jeta le restant du contenu de sa tasse dans l’évier et s’appuya au plan de travail en croisant les bras sur son torse. S’il ne fallait choisir qu’une pièce dans cet appartement, c’eut été la cuisine, même si maintenant il n’y mettait les pieds que pour s’asseoir à la table et fixer le vide. Il avait fini par s’habituer à cette présence, tantôt discrète, tantôt si familière, que représentait Nolan. Il ne savait pas comment l’appréhender, mais la mort d’Ethan l’avait bousculé, le forçant à apprécier cette compagnie qu’il ne s’était jamais attendu à avoir un jour. Il était resté distant un temps, observant calmement les deux frères qui se retrouvaient, préférant ne pas s’impliquer faute de savoir comment agir. Dire que ça ne l’avait pas dérangé aurait été un mensonge, il aimait son intimité, mais Nolan respirait tellement de bons sentiments qu’il n’avait pas pu être désagréable. Et puis au fil des jours il s’était décrispé. Ce frère retrouvé était là mais ne donnait pas l’impression d’être immiscé entre eux si bien que le couple avait pu conserver la plupart de ses habitudes. Livio pouvait alors somnoler la tête sur les jambes de son conjoint qui lui caressait distraitement les flancs alors qu’il abreuvait -noyait ?- Nolan sous les informations, souvenirs, albums …et qu’est-ce que ça pouvait assommer le lieutenant de police. Ethan avait des qualités et des défauts comme chacun, mais sa volubilité usait Livio qui était toujours plus sur la réserve que son conjoint. « T’es pressé ou j’ai le temps de manger un truc ? Et après on s’y met, aujourd’hui c’est ta journée. » Ca ne compenserait sans doute pas toute l’attention que lui avait accordé Nolan ces derniers jours, d’autant qu’il n’était pas persuadé d’avoir envie de l’aider à partir, pour après se retrouver seul face à l’immensité du vide, sans plus personne pour lui apporter de la bonne humeur. Avoir quelqu’un de souriant quand on se lève, c’est toujours agréable, même quand on n’a pas la force de donner le change.
Nolan attendait dans l'ombre, ou plus particulièrement derrière la porte de sa chambre. Il fixait Livio à travers le léger entrebâillement. C'était sa manière à lui d'être. Il aurait pu le regarder ainsi des heures. Il fixait les volutes de fumée qui disparaissaient au-dessus de la tête de l'inspecteur de police. Il ne le trouvait que plus séduisant. Il aurait tout donné pour être cette fraise incandescente : effleurer ces lèvres et en devenir le propriétaire pour quelques secondes. Son corps était en feu. Il aurait pu se toucher ici et maintenant, tellement il était excité devant cette simple vision. Il rongea son frein derrière sa porte. Il n'avait pas envie d'être trop pressant. Il avait sacrifié beaucoup trop de choses pour échouer à présent. Il était difficile d'être décontracté dans un moment si charnière. Il prit une grande respiration et décida se lancer. Il s'approcha pour ramasser le cendrier et le posa dans l'évier. Il ouvrit la fenêtre pour chasser l'odeur de cigarette. « Si tu veux que je lui dise rien, ne le fait pas donc. » Ces mots étaient éloignés de ses pensées premières. Qu'est ce qu'il pouvait se moquer de ce qu'on aurait voulu Ethan. Il était six pieds sous terre maintenant. Tout ce qui était important, c'est ce qu'il voulait. Et, ce qu'il voulait était juste devant ses yeux. Livio pouvait fumer alors ou s'adonner à d'autres vices. Il caressa discrètement du bout du doigt les courbes du cendrier. Il n'était jamais tombé amoureux d'un fumeur. Il savait par son métier ce que le tabac pouvait faire aux poumons, mais quel goût avec la langue d'un fumeur ? Il aurait voulu le savoir tout de suite, mais il se réprima tout en serrant les poings.
Tout en se tournant vers Livio, il continua à faire comme si de rien n'était. Bien sûr, qu'il ne l'avait pas vu verrouillé son téléphone. Déjà, notre médecin légiste n'en avait pas besoin. Il avait déjà piraté les différentes adresses du policier. Il savait sur quels sites de rencontres il traînait et avait poussé le vice jusqu'à connaitre ses identifiants. Il n'en était pas jaloux. Il était même presque prêt à l'encourager. Tout était bon pour Nolan pour oublier Ethan. Les morts ne peuvent tenir chaud. Ils ne peuvent donner tout ce que le médecin légiste était prêt à offrir. Il avait tué pour lui. N'avait-il pas de plus beau cadeau ? « Oui. J'ai déjà trop abusé de ta gentillesse. » Les mots exacts auraient du être : de votre gentillesse. Mais, Ethan n'avait été qu'une porte d’accès. Il ne représentait rien pour lui. Pourquoi partir alors ? Tout était déjà calculé : cette journée et ces dialogues. Il n'allait pas partir, mais cela Hartsfield n'avait pas à le savoir pour l'instant. Qu'est ce que cela avait été dur de tenir ce rôle, de regarder avec un œil faussement ému les deux hommes s'étreindre ou se coller l'un à l'autre sur le canapé. Heureusement, tout cela était terminé. Pressé ? Nolan aurait voulu lui rire au visage. Il resta pourtant imperturbable dans son rôle. Il attrapa cette tasse dans l'évier et se mit à la laver. Abernathy avait été le parfait homme au foyer : les courses, les lessives, le repassage et même le ménage. C'était une dévotion qui lui plaisait et qui n'était en rien un rôle. « Sincèrement, tu crois que je vais partir en te laissant le ventre vide. »
Il attrapa Livio par les épaules et le força à prendre place sur une chaise derrière la table de la cuisine. Il prit le temps de caresser sa nuque pour imposer ce contact, sans vraiment insister. Ce geste presque anodin, mais qui était là pour marquer sa présence. « Je me suis levé faire mon footing et j'ai fait quelques courses sur les docks sur le retour. » C'est fou comme cela peut-être désert vers quatre heures du matin. Les prix étaient aussi moins chères que sur les marchés. Nolan connaissait déjà tout le monde et tout le monde le connaissait. Il ouvrit un placard et sortit un énorme panier qu'il avait caché. Il l'avait recouvert d'un torchon. « Alors, je te propose le petit déjeuner des champions. Omelette, saucisse bio ? » Il sortit une boite d’œufs frais qu'il posa devant Livio. « J'ai pris aussi pour te faire une salade de fruits ? Ou tu préfères en smoothie ? » Il prit le temps de sortir chaque éléments. Non, pour impressionner l'inspecteur de police, mais pour le laisser choisir. Mais, il lui restait à sortir sa botte secrète. Il sortit un énorme thermos qu'il dévissa et apporta jusqu'au visage. « Et, j'ai fait ami ami avec un torréfacteur, vas-y sens moi ce petit goût de paradis ? » Nolan aurait pu aller cueillir ces graines de café à l'autre bout du monde pour Livio. Au moins, il n'avait juste eu besoin cette fois de glisser quelques billets à un producteur qui habitait le Queens et qui travaillait sur les docks.
Les premières vocalises d’un grognement de désapprobation résonnèrent dans la cuisine. Nolan n’aurait pas pu mieux choisir ses mots pour le faire réagir. En soi, il savait qu’ils avaient raison, qu’il n’avait pas besoin de se remettre à fumer maintenant, deuil ou non. Mais c’était aussi une façon de reprendre le pas sur la vie, de transgresser un interdit imposé par Ethan, d’accepter de froisser cette image qu’il avait du défunt. « Je vous emmerde tous les deux. Vous et vos leçons de morale. » Il ne le pensait pas vraiment, et puis il était bien trop pragmatique pour songer qu’il puisse exister une vie après la mort, qu’aller parler à une tombe avait un quelconque impact. Et heureusement d’un certain côté, sinon que pourrait bien aller raconter Nolan ? Il agissait avec discrétion, mais Livio n’était pas dupe : c’était un garçon intelligent, avec deux yeux et un cerveau, il devait se douter que si le lieutenant passait autant de temps sur son téléphone ce n’était pas pour alimenter un compte instragram avec ses repas et ses séances de sport.
Ses doigts grattèrent distraitement ce début de barbe négligée. Il se savait distant, indépendant, et ce n’était pas propre à Nolan, il l’était même avec Ethan, préférant la méfiance à la confiance aveugle. Par conséquent il était dubitatif, quelle gentillesse ? Celle de l’héberger ? Il n’avait pas été un hôte exemplaire, laissant son invité s’occuper de lui alors que cela aurait dû être l’inverse. Il avait été incapable de lever le petit doigt, sa bonté se limitant à ne pas mordre cette main qui prenait soin de lui mieux qu’il n’aurait pu le faire lui-même. Il garda le silence en le regardant laver la tasse. Et il lui parlait de sa gentillesse ? « Je ne suis pas certain que l’abus soit dans ce sens-là. » C’était pourtant reposant de le regarder faire, d’écouter le bruit de l’eau, de ne pas se savoir seul, et de savoir que cette même présence pouvait offrir un soutien agréable en cas de besoin. La lumière tiède du matin venait apporter un éclairage scintillant dans les iris de son voisin affairé, et ce miroitement doré était fascinant. Il aurait pu perdre de longues minutes à simplement observer la scène, simple touriste dans son propre appartement si Nolan n’avait pas ouvert les hostilités en parlant de faire à manger, déclenchant instantanément des protestations. « Non... Laisse. Tu en as fait assez ces dernières semaines. Je… » Pourtant son corps le trahissait, faisant mentir sa bouche puisqu’il se laissait docilement pousser jusqu’à une chaise. Il se laissa tomber en soupirant, peut-être qu’après tout mieux valait profiter d’un dernier bon repas avant d’entamer le long marathon de la paresse qui le pousserait à ne faire qu’un repas par jour, et sans doute de piètre qualité. L’impression chatouilleuse d’une caresse fugace le poussa à passer sa main dans sa nuque tout en étant persuadé d’avoir imaginé un contact qui n’avait pas réellement existé. « Tu ne devrais pas te rendre indispensable, comment veux-tu que je t’aide à déménager si mon estomac supplie de te séquestrer ? »
Il passait aisément à côté des intentions de Nolan. Pour lui il était simplement ce type qui n’avait pas eu de chance : ni la chance d’avoir une famille, ni la chance d’avoir un appartement sans encombre, ni celle de pouvoir conserver ce frère nouvellement retrouvé. Il siffla d’admiration devant le panier et plaisanta, presque de bonne humeur : « Et tu n’es pas encore marié ? C’en est presque suspect. » Il n’avait pas la moindre idée de ses préférences, mais il était certain qu’une femme pourrait tuer pour un homme aussi prévenant et attentionné… Et un homme ne dirait pas non, non plus. Il s’accouda à la table et appuya son menton au creux de sa paume. Disparues les protestations, son appétit avait pris le pas sur le reste. Il avait l’impression d’être un enfant dans un magasin de jouets : la profusion lui faisait tout oublier. « Partageons une salade de fruits, je me charge de la découpe. » Le travail d’équipe était normalement strictement réservé à Ethan et lui, mais il n’était plus là, et il ne pouvait pas fuir indéfiniment la cuisine. Et il comptait bien sur la gentillesse de Nolan pour dissoudre ce pincement désagréable au cœur et ne pas le laisser sombrer dans la mélancolie. Les effluves de café vinrent chatouiller ses narines. Il saisit le thermos – et la main de Nolan sous la sienne – pour l’empêcher de lui ôter trop rapidement ce plaisir. Quelques inspirations profondes lui permirent de se laisser envahir par cette odeur avant de rendre au médecin légiste sa main et son café. « Je pourrais tuer pour sentir ça tous les matins. C’est l’odeur d’une excellente journée. » Livio esquissa un sourire empli de reconnaissance et quitta sa place pour sortir la planche à découper et un couteau. Il ne s’était laissé que trop longtemps entretenir comme un prince du Moyen-Orient, étendu dans son lit alors que Nolan faisait tout et plus encore. « Je ne t’ai même pas encore remercié pour tout ce que tu as fait… L’hommage, les petits-déjeuners, les bains, ta patience…Alors merci. Personne ne t’y obligeait. »
C'était si difficile pour Nolan te tenir son rôle. Qu'est ce qu'il aurait aimé se jeter aux pieds de Livio, l'enserrer par la taille et tout lui avouer. Non, car il avait un élan de conscience, mais tout simplement car il trouvait si beau tout ce qu'il avait fait pour l'inspecteur de police. Tout ce temps dépensé rien que pour ses beaux yeux, mais aussi : son déménagement, ce vol d'identité, toutes les ficelles qu'il avait du tirer pour se retrouver à travailler dans le même commissariat que Hartsfield. Dans ses rêves les plus fous, ils tombaient alors dans les bras l'un de l'autre, mais tout cela devait attendre. Il devait continuer à jouer ce rôle qui n'avait qu'une profonde indifférence à ses yeux. « Tu n'abuses pas, arrête. On va plus se mentir à présent. Tu ne voulais pas de moi chez toi au début et je comprends pourquoi. J'aurais réagi pareil si un mec était apparu de nulle part. Tu as du penser que j'étais là pour voler un rein à Ethan ou autre chose, non ? » Par contre, tu n'as jamais du imaginer que j'étais là pour toi. Pensa t-il avec malice. Il était si facile de manipuler le policier. Nolan n'était pas particulièrement doué, même s'il était résolu. Tout était si facile avec Hartsfield surtout quand on passait par l'appel du ventre. « Je ne suis pas inquiet pour toi. Dix minutes après mon départ, tu seras heureux de te balader à poil chez toi, uriner la porte ouverte et ne plus avoir peur que je rentre par mégarde dans la salle de bain. Et, je suis encore désolé pour cette fois, même si je me suis déjà excusé vingt-fois. Promis, je n'ai rien vu. » Bien sûr, qu'il avait tout vu. C'était la dernière pièce qui manquait à son puzzle. Il pouvait à présent cartographier le corps de Livio les yeux fermés. Cette simple pensée fit s'agiter son cœur de cette cage thoracique de trentenaire. Il porta discrètement sa main à son visage et respira cette peau qu'il avait effleuré quelques minutes auparavant. Il aurait pu se noyer dans ce parfum. Ce parfum d'homme lui rappelait les rues de son enfance à Phoenix. Cet odeur qui colle à la peau et qui vous entête toute la journée.
« Aucun homme vivant n'a voulu de moi que veux tu. » soupira t-il avec un grand sourire, balançant cette bombe sur sa sexualité comme cela, l'air de rien. Cette information il l'avait gardé patiemment pour ce jour. « C'est le grand drame de ma vie, tellement d'amour à donner, mais personne pour le recevoir. » Ce coup de poignard supplémentaire était tout à fait contrôlé. Il était hors de question de noyer le poisson ou de laisser le moindre doute au propriétaire des lieux. Il aimait les hommes. Il était célibataire. Il faisait la cuisine, le ménage et était prêt à s'installer dés aujourd'hui dans son lit. « Cela marche. » Il tendit le couteau qu'il arracha de son fourreau en bois. Il pointa la lame vers le cœur de Livio. La sensation était grisante pour notre sociopathe. Il avait la vie du beau quarantenaire entre ses mains. Pouvait-il lire dans ses yeux qu'il le tuerait s'ils ne finissaient pas ensemble ? Surement pas. C'était si puissant d'être au pouvoir, d'avoir toute puissance sur les choses qui allaient se dérouler. Livio allait l'aimer. Il allait l'aimer comme jamais il n'aurait aimé aucun autre homme dans sa vie. (psyychooopppatthhheeeeeeeee) Il finit par tourner la lame et lui proposer le manche avec le plus grand sourire du monde.
Il fixa cette main sur la sienne et ce fut comme si Livio avait posé sa main sur son cœur. Il se sentit transporté. Il n'avait jamais autant sur de lui qu'à ce moment précis. Il avait bien eu Aristide qui lu avait laissé cet arrière goût amer d'être lui aussi l'homme de sa vie. Cependant, la vie en décida autrement. « Tu sais, c'est pas parce que j'aurais mon appart que je peux pas venir tous les matins te faire le petit déjeuner en mémoire du bon vieux temps. » Déjà, il était hors de question qu'il déménage aujourd'hui. Il s'en était assuré hier soir, mais cela était déjà une autre histoire. Il laissa Livio découper les fruits et se saisit pour sa part d'une poêle qu'il plaça sur les plaques de cuissons. Il lui donna un coup d'épaule et ajouta : « Me remerciez de quoi ? Je veux pas que tu penses que tu es tout seul à présent. Je suis là. Tu pourras m'appeler à trois heures du matin je répondrais. Et, moi ...» Il était temps de sortir les grandes eaux. Nolan était fort dans ce genre de démonstration qui était devenu presque un automatisme. « Et, moi, cela me fait penser à autre chose. Je l'avais retrouvé...J'allais enfin rattraper toutes ces années perdues...Et, on me l'a volé...C'est si injuste...Je m'étais promis de pas pleurer devant toi...Pardon. »
Sujet: Re: stay with me (nolan) Dim 10 Fév - 17:50
Take me, pull me all around. Break me, I'm almost yours.
« Excuse-moi si je l’ai affiché aussi clairement. Ca n’avait rien de personnel… » Livio offrit le bleu hivernal de ses yeux pour toute preuve de sincérité. Evidemment, que ça n’avait rien de personnel. Il était simplement sur la réserve, que cela soit Pierre, Paul, Jacques ou le président des Etats-Unis qui viendraient s’imposer dans son salon en prétendant avoir des liens de parenté. Si Ethan avait une nature effervescente et s’attachait à aimer d’emblée tout le monde lui n’était clairement pas de cette écume. S’il ne fallait vraiment plus se mentir, il devait assumer une vérité qu’il ne trouvait pas particulièrement jolie. « C’est allé légèrement plus loin, j’ai envisagé toutes les options à ma portée, j’ai vérifié ton casier, ton identité, tes comptes sur les réseaux sociaux…et peut-être même ta solvabilité à la banque. Sale manie de flic. Mais vu que tu avais tes deux reins, et rien à signaler… Ethan était fou de toi.» Il n’aurait pas été étonné d’apprendre qu’il avait parlé de ce frère retrouvé à la moitié de la ville. Il s’enthousiasmait de ces retrouvailles dignes d’un film hollywoodien et ne jurait plus que par lui. Livio en avait fini par grincer des dents en lui disant qu’il finirait par crier Ethan au comble de l’orgasme, blague déplacée qui lui avait valu des sermons. On se salit pas la famille, amour. Quelles conneries. Mais qu’est-ce que ça lui manquait de partager cette complicité, de rire et d’être à l’aise en toutes circonstances.
Il se râcla la gorge pour se défaire de ce souvenir légèrement gênant avant de pianoter sur la table du bout des doigts. Ce vide intersidéral qu’avait laissé cette irruption imprévue dans la salle de bain. Le passage à vide le plus total. Son cerveau avait planté, perturbé entre le souvenir d’Ethan qui ne connaissait ni la définition d’espace personnel, ni celle de pudeur, et la vision de Nolan qui n’avait rien à faire là. « On s’est mis d’accord pour dire torts partagés, je n’ai qu’à apprendre à mettre le verrou… C’était une erreur, ça peut arriver à n’importe qui. »
Une légère gêne plana au-dessus de Livio qui déploya force de concentration pour ne pas détourner le regard. Nolan était homosexuel. Cela rendait fâcheux certains moments. A commencer par cette fois où il était rentré dans la salle de bain alors qu’il n’avait ni vêtement ni serviette pour dissimuler son corps. Et il l’avait laissé s’occuper de lui, préparer à manger alors qu’il somnolait dans un bain brûlant, rentrer dans la chambre lui apporter un plateau alors qu’il était encore à se morfondre sous les draps… Toutes ces choses qu’il aurait dû faire pour un homme avec qui il était en couple et non pour le mec qui se tapait son frère. « Je suis désolé ça ne me regardait pas, c’était maladroit de ma part. » Comment battre en retrait alors que c’était lui qui avait mis les pieds dans le plat en parlant mariage ? Il avait définitivement perdu le nord et toute raison qui allait avec. Sa concentration était dissipée aux quatre vents et n’avait aucun bon sens. Le retour au commissariat promettait d’être compliqué. Célibataire. Est-ce que cela signifiait qu’il était sur des applications de rencontre ? Livio en eut des sueurs froides à imaginer qu’il pourrait le croiser et il se promit de faire plus attention. Il fixait la pointe de la lame tournée vers lui, causant deux élans contradictoires. Sa connaissance presque animale des menaces déclenchait des alarmes alors que sa raison appelait à un retour à l’ordre, rappelant à cet instinct absurde qu’il ne pouvait pas exister de menace quelconque émanant de cet homme prévenant qui était le frère d’Ethan. « Mais je suis sûr que tu vas trouver quelqu’un. » Il leva un regard interrogateur alors que Nolan proposait finalement le manche et croisa un sourire qui suffit à rabrouer les doutes les plus obscurs. Il paraissait réellement bon et dévoué.
« Ne décroche jamais si je t’appelle à 3h du matin. Il n’y a que deux raisons possibles : je suis ivre et donc pas fréquentable, ou bien on m’a tiré du lit pour un homicide et je me venge en t’appelant. Dans les deux cas ce sont des appels qu’il faut éviter. » Il fredonna les premières notes d’un rire, il aimait ces conversations légères sans aucune conséquence, à s’imaginer décrocher son téléphone à des heures improbables pour appeler qui ? Le frère de son conjoint décédé ? Mais son amusement fut balayé avec brutalité pour cette tristesse qui revenait s’immiscer dans l’appartement, mais cette fois il n’était pas la cible première de ses attaques cruelles. Pendant quelques minutes il oubliait pourquoi ils étaient réunis tous les deux et il se sentait bien. Puis le souvenir du décès revenait avec la délicatesse d’un semi-remorque. Il pinça les lèvres, avec malaise. Combien de fois avait-il oublié que Nolan avait tout autant de raison que lui de souffrir ? Beaucoup trop. « Je sais. » Combien de personnes l’avaient étreintes à l’enterrement d’Ethan ? Trop pour les compter, même des gens qu’il ne connaissait pas mais qui faisaient parti de la vie de son conjoint. Ils avaient tous eu ce réflexe déroutant, comme si une accolade pouvait refermer la porte sur le courant d’air qui laissait son cœur vide et froid. Alors c’était sans doute le comportement adapté face à quelqu’un qui souffre. Lui n’était pas un grand expressif, il n’avait eu que faire de ses accolades, il n’avait aucune larme à verser, elles étaient aux abonnés absentes même si sa mine de chien battu en disant bien plus long qu’un litre de liquide lacrymal. Il abandonna la découpe des fruits et s’essuya les mains sur le torchon avant d’attirer doucement Nolan à lui pour le prendre dans ses bras. Il s’était laissé enlacer par des gens dont il n’avait pas la moindre idée de leur nom, il pouvait bien rendre la pareille à quelqu’un qui avait vécu chez lui pendant un mois et qui était le frère d’Ethan non ? Il le serra brièvement contre son torse et le relâcha pour revenir à ses fruits. Le deuil rendait les rapports humains trop complexes à son goût, il ne savait plus ce qui était de mise et ce qui ne l’était pas, ce qu’on attendait de lui, ce qu’il valait mieux faire ou dire. « C’est peut-être pas le bon moment pour ça mais… si tu veux récupérer des affaires d’Ethan il ne faudra pas tarder, j’ai besoin de faire du tri, que je puisse avoir l’impression de rentrer chez moi le soir sans le voir dans tous les coins de l’appartement, j’espère que tu comprends. » Il ne savait pas s’il allait tout donner ou s’il allait en garder une partie, mais il savait que c’était une tâche douloureuse à laquelle il allait devoir s’atteler si cet appartement devait devenir un chez lui au lieu de chez nous.
Nolan laissa échapper ce sourire, qu'il ravala aussitôt. Livio ne pouvait être plus séduisant à ses yeux sous ce manteau d'homme suspicieux. Il s'était préparé à une telle inspection. Il avait arrondi les angles de ses profils sur les réseaux sociaux. Cependant, il devait marqué sa surprise. Il joua cette comédie de bon cœur, car il avait un prix à la fin. « Tu as fait cela ? Mon dieu. Je peux expliquer ces photos à Cancùn sur mon Instagram alors. La raison est beaucoup de Punch Coco et un stupide pari de poser nu. » Ce jeu et ses règles lui dérobaient la délicieuse question qui lui brûlait les lèvres : Tu as aimé ce que tu as vu, Livio ? Est-ce que tes yeux se sont arrêtés plus que de raison sur mon corps dénudé sur le sable ? Ethan était-il prêt de toi à ce moment ? Est-ce que tu as rougi ? A la place, notre médecin légiste se montra gêné comme un jeune adolescent aux cheveux blonds comme les blés.
« Ne soit pas gêné. » Bien sûr, que je veux que tu le sois ? Montre moi ses pommettes ? Laisse moi m'exciter sur les courbures de tes lèvres qui commencent à comprendre que je te plais ? « J'ai préféré me taire sur le sujet, car je voulais pas te mettre mal à l'aise. Ethan le savait, mais je lui avais dit de rien te dire. » C'était faux ! « Nos débuts ont été si difficiles. Je voulais pas te rajouter une autre inquiétude sur les épaules. » Et, surtout, il se refusait à devoir jouer les Casanova des villes, à ramener des hommes pour dîner. Il l'aurait fait si son secret avait été découvert. Il ne voulait surtout pas que des doutes viennent se poser sur son dos. Pourquoi Nolan ne voit aucun garçon ? Il est pourtant beau garçon ? C'est étrange, non ? Nolan décida de noyer les possibles soupçons en s'ouvrant légèrement. Il lui arrivait de dire la vérité. Parfois. « Je sais pas. C'est compliqué depuis Aristide. Je pensais que c'était l'homme de ma vie et je l'ai retrouvé à coucher avec son assistant médical. Un rouquin adorable en passant. Cela m'a dévasté. » Ce fut étrange pour Nolan de se livrer aussi simplement. Cela faisait si longtemps qu'il un peu de cette vérité qui était sienne, qui était toujours entachée par tous ses mensonges.
N'était pas cruel notre enfant de la nuit ? Jouer ainsi sur les sentiments de Livio ? Pourtant, quand l'inspecteur de police le prit dans ses bras, il savoura sa victoire avec un sourire qu'il cacha contre les épaules du quarantenaire. Une victoire qu'il célébra sans aucune faute en abandonnant quelques larmes supplémentaires et quelques pressions de son corps contre celui de son hôte et veuf. Rien de trop osé. Cela aurait été l'erreur fatale. Il le savait. Il garda son bassin pour lui. Il pouvait attendre. Il attendrait jusqu'à la fin des temps si Livio lui demandait. Il prit donc ses distances doucement et essuya ses yeux avec le plus grand sourire qu'il aurait pu prendre. « Pardon. Je suis qu'une loque. » Il gloussa et chercha un mouchoir dans le fond des poches de son jean. Il se moucha et se tourna avec le plus grand sérieux du monde vers Livio.
Il marqua cette pause pour que ces mots soient entendus, mais aussi compris. Ne jouait-il par cette carte trop tôt ? Il se mordit l'intérieur de la bouche, car cette partie de Poker était hasardeuse. « En, parlant de cela...J'ai besoin de te poser une question importante. » Il quitta la cuisine et marcha jusqu'à l'entrée où il récupéra son sac. Il plongea la main à l'intérieur et le garda précieusement le temps que le discours qu'il avait répété une dizaine de fois devant le miroir de la salle de bain lui revienne. « Si, en rangeant les affaires d'Ethan...J'avais trouvé quelque chose...Quelque chose qui n'aurait plus de valeur maintenant qu'il est ...» Mort. Canné. Bouffé par les vers. Tu es content, Livio ? Dis moi que tu es content que je t'ai débarrassé de cet homme qui nous empêchait d'être heureux ? « Désolé, j'arrive pas à le dire c'est trop difficile. En tout cas, ma question est-ce que tu voudrais savoir ? Tu sais que j'aimais Ethan et que je ne voudrais pas salir son image, mais... » Heureusement, que Livio n'était pas dans le dos de Nolan. Il aurait vu cette goutte de sueur perler à l'arrière de sa nuque et se perdre dans le col de sa chemise. Qu'allait-il faire si Livio décidait de refuser ? Nolan avait tout misé sur la curiosité de l'inspecteur de police. Ce coup de poker n'attendait qu'à être posé sur la table. Les doigts à l'intérieur du sac s’agitèrent pour marquer cette peur de soudainement tout perdre. Il avait d'autre plans, mais des plans bien plus douloureux pour Livio. Devait-il toujours faire du mal aux êtres aimés ? Alors, ne pouvaient-ils pas comprendre qu'il ne voulait que leurs biens ?
Sujet: Re: stay with me (nolan) Lun 11 Fév - 10:57
EDIT
Spoiler:
Elle aurait pas dû être posté mais erreur de touche et je ne voulais pas te supprimer une réponse pour laquelle tu as reçu un mail donc...
Take me, pull me all around. Break me, I'm almost yours.
Livio esquissa un sourire mal à l’aise et capitula en fuyant ce regard qui n’avait pourtant rien de moralisateur ou d’accusateur. « Non non, ne justifie rien. Je… je n’ai pas regardé à ce point. Je ne sais pas de quoi tu parles et je ne veux pas savoir. » C’est mal de mentir inspecteur. Il avait toujours aimé remonter un fil, passer en revue jusqu’à la dernière publication, voir le genre de personne qui commentait et pourquoi. Tout ceci n’avait alors plus rien d’une enquête de routine mais l’implication de sa curiosité personnelle qu’il était incapable de refreiner une fois qu’il était lancé dans ce type de fouilles archéologiques. Alors évidemment, il savait très bien de quelle photo il était question. Ethan en aurait ri jaune. Il connaissait cette propension qu’avait Livio à toujours regarder ailleurs, mais simplement regarder, parce que ça le distrayait, parce que c’était simplement pour mieux sauter sur son conjoint une fois retrouvé. Mais tout de même, son frère, c’était embarrassant. « C’est ta vie privée. » Et j’ai carrément mis le nez dedans sans aucune pudeur.
Et la gêne est un poison qui gagne vite du terrain, n’épargnant aucune veine. Il avait le sentiment de se noyer dans un verre d’eau, tout cela parce qu’il avait précipité un sujet qu’il aurait mieux fait d’éviter. Non pas qu’il soit gêné par la sexualité mais parce que cela devenait dérangeant dès cela touchait un proche et surtout il n’aimait pas se dire qu’il avait été l’idiot de la bande à qui on cachait des choses pour… pour quoi au juste ? Modérer sa susceptibilité ? Tempérer son intolérance et sa méfiance ? Il en voulut à Ethan de ne lui avoir rien dit, mais difficile d’aller faire des reproches à quelqu’un qui ne pouvait plus donner la réplique. « Et vous étiez d’accord dans vos manigances. Parfait. Il y a d’autres sujets où vous avez jugé bon de m’infantiliser ? » Pourtant il savait que Nolan avait raison même si cela le dérangeait profondément : sans doute qu’il n’aurait jamais fini par accepter ce garçon chez eux s’il avait su qu’il était célibataire et homosexuel, parce qu’il l’aurait empêché d’être détendu chez lui, parce qu’il se serait méfié en permanence et aurait fini par être strictement infernal. Pourtant il laissa son irritabilité de côté en voyant le légiste se livrer : il ne pouvait pas mal le juger alors qu’il avait fait un choix judicieux en se taisant. « Je suis désolé. L’infidélité, la vraie, celle où l’autre se tape quelqu’un sans avoir la décence d’être honnête, c’est impardonnable. » Et le plus triste, c’est qu’on s’en croit toujours protégé, que cela ne peut concerner que les autre couples.
« Tu plaisantes j’espère, le rôle de loque est déjà pris, lequel de nous deux s’est laissé mourir dans son lit pendant que l’autre faisait tout ? » Il lui serra doucement l’épaule de son voisin pour lui témoigner sa reconnaissance. Il ne savait pas comment il aurait pu s’en sortir – et dans quel état – sans lui. Mettre des mots était difficile, se livrer lui paraissait impossible parce qu’il imposait cette distance pudique avec un homme à qui plus rien ne le reliait. Ethan et lui n’étaient pas marié, cela faisait d’eux maintenant deux parfaits inconnus qui avaient juste aimé une même personne mais il supposait que Nolan finirait par disparaître de sa vie comme il y était entré, surtout maintenant qu’il déménageait. « Et maintenant tu sais que tu as juste quelques étages à monter pour trouver mon bureau. Je promets de t’offrir un café dégueulasse à la machine à café si ça ne va pas, tu verras ça ferait relativiser n’importe qui. » Il donna un léger coup d’épaule avec un sourire timide. Etrange de partager son lieu de travail.
La suite lui plut moins. Il le vit quitter la cuisine avec réticence. Les questions importantes n’étaient jamais de bonnes questions. Livio qui avait jusque-là soutenu le regard de Nolan fit mine de reporter sa concentration sur sa tâche première, la découpe des fruits. Il n’offrit aucune réponse immédiate. Il n’aimait pas cette tournure de phrase, cette façon dont les mots s’emboitaient pour prendre une forme étrangement dérangeante qui tenait en six lettres : secret. N’était-ce pas le monstre qui vivait tapi sous le lit de tous les couples ? Cette appréhension presque animale de savoir ce qu’on pourrait bien découvrir de l’autre, ce qu’il avait caché et qui remonte à la surface comme un cadavre mal lesté. Salir son image. Il aurait pu jurer que les mots avaient été minutieusement choisi pour donner cet empilement malaisant qui provoquait cette dichotomie : ignorer et vivre avec ce doute latent qui viendra l’agacer la nuit ou accepter de laisser Nolan salir son image. « Mais ? » Le ton était cassant, froid. Pourquoi fallait-il qu’il ait sans cesse cette impression d’avoir un train de retard ? Il disséquait chacun des mots employés par son voisin comme si cela pouvait le préparer, comme s’il pouvait trouver un début d’explication dans cette question hasardeuse mais rien de ce qu’il imaginait n’était plaisant. Il scruta le visage du médecin légiste et se renfrogna un peu plus : ça ne pouvait pas être une bonne trouvaille. Dans son déplaisir il s’entailla la chair fragile de l’index avec le tranchant du couteau et décida de mettre un terme à cette hésitation. Il jeta le couteau dans l’évier et laissa son doigt goutter au-dessus de ce dernier. Une perle carmine roula paresseusement jusqu'au bout de son index et chuta, se délayant rapidement sur l'inox encore humide de la vaisselle faite par son nouveau colocataire. C’était la dernière de ses préoccupations. Il tendit sa main indemne vers son bourreau, bien conscient que ça n'allait pas être un moment agréable. Les secrets ne le sont jamais lorsqu'on les déterre par mégarde. « Donne-moi ce que tu caches et accouche. » Jouer de ses nerfs et de sa patience était un pari risqué ces derniers temps et risquait de transformer Nolan en parfait émissaire de sa colère meurtrie.
Nolan s'engagea dans ce combat le plus difficile à surmonter à présent. Comment continuer à regarder Livio dans les yeux ? Combien de fois, il voulut descendre jusqu'à la boucle de sa ceinture ? Combien de fois il lui avait retiré par la simple force de sa pensée ? Car, il savait que l'inspecteur mentait. Il avait vu cette photo et cette gêne maintenant entre eux ne faisait qu'excité notre médecin légiste. Il était bien trop tôt pour sauter sur Livio et lui prendre la bouche de force. Il avait d'autre choses qu'il voulait lui offrir par la force : comme baiser son pantalon, s'agenouiller et rendre hommage à ce que mère nature avait fait de plus beau chez l'homme qu'il aimait. Toutes ces pensées tournaient autour du sexe. Cela en faisait de lui un pervers surement ? Nolan l'embraser complètement. Livio ne faisait pas que battre son cœur, il activait sa libido. Il faisait courir le stupre le long de son échine.
Livio était même beau quand il était vexé. N'était-il pas beau en tout occasion ? Nolan aimait admirer ses veines et les traits froissés de son visage. Il maudissait cette jeunesse qui insultait ces rides sur les visages d'homme mûr. Pour lui, c'était un cadeau de la vie. Il aurait aimé y passer sa langue, lécher un à un ces plissements pour remonter jusqu'à leurs commencements. La vie marquait et c'était un cadeau. Nolan aimait l'expressivité. Il aurait aimé parfois être sourd, tout simplement pour s'accrocher à un visage et non une voix. Le visage vous offre tout si on sait ouvrir les yeux. « On t'a pas dit non plus que j'étais Végan.» Comme ce moment ou sur le visage de Nolan tout semblait si dur et vrai, puis il explosa de ce rire qui alla rebondir comme une balle aux quatre coins de la cuisine. Il posa une main sur l'épaule de Livio, laissant juste un bout de son doigt glisser sur la fin de son cou. Il flatta cette peau avant de retirer sa main pour ne laisser aucune preuve de son crime. « Je plaisante. » Impardonnable ? Vraiment ? Nolan comprit à ce moment précis que la principal carte qu'il gardait dans sa veste devait être joué ce matin. Si l'inspecteur de police trouvait l’infidélité impardonnable alors il allait devoir le blesser. Cependant, c'était pour son bien. Nolan continuait de se le répéter. Il fallait qu'il se donne du courage, car dans cet amour complètement démesuré, la dernière chose qu'il souhaitait c'était faire du mal à l'homme qu'il aimait. Il ne répondit donc rien. Il préférait garder sa salive pour tout à l'heure.
Nolan allait poser son jeu sur la table. Il savait que tout cela pouvait se retourner contre lui. Ce qu'il cachait à l'intérieur de son sac, il aurait assez intelligent pour envoyer un mail anonyme à Livio ou glisser la copie de cette preuve irréfutable sur Ethan et ses secrets dans sa boite à lettres. Il aurait pu même payer un acteur pour mettre plus de réalisme. Cependant, il voulait quelque chose de vraie. Tout était si artificiel entre eux, même si Nolan en était l'instigateur, il ne souhaitait pas vivre dans un monde factice. Il regarda la main de Livio et sortir ce qu'il cachait : un téléphone portable. « J'ai trouvé son portable en rangeant ses affaires. » Ou plus, il lui avait subtilisé de ses poches avant de le pousser sous ces rames et provoquer sa mort tragique sans même verser une larme. « Je voulais te le donner, promis. Puis, je sais pas, il m'a manqué et j'ai commencé à regarder. » Mais, qui ne verrouille pas son téléphone en 2019, vraiment ? Pensa t-il. « Je voulais pas être indiscret. Je voulais voir à qui il avait écrit. Quels mots avaient été ses derniers. » Il approcha lentement le téléphone de la paume de la main de Livio. Il n'était pas encore prêt à lui rendre, pas avant d'avoir terminé. « Puis, j'ai vu un pseudo bizarre : Fox. Je suis tombé sur des messages comment dire plutôt explicite. » Maintenant, que les choses étaient dites, il lâcha le téléphone et laissa l'inspecteur de police mener sa propre enquête, qu'il puisse voir avec ses propres yeux qu'Ethan avait une liaison. « J'ai pensé d'abord les supprimer...Pour toi. Puis, je me suis rappelé d'Aristide et que j'aurais aimé que quelqu'un me le dise...» C'était peut-être la seule chose de sincère chez Nolan à ce moment précis.
Ethan lui avait offert cette porte ouverte qu'il était ravi d'entrouvrir. Les messages ne laissaient aucun doute. Quelques photos dénudés de corps venaient s’intercaler entre des messages intimes. Livio devait assez connaître le corps d'Ethan pour reconnaître ses grains de beautés et des taches de naissance. Nolan retourna à la cuisine. Il était temps de laisser de l'intimer à l'inspecteur de police. Il se doutait qu'il n'allait pas croire ce qu'il allait voir. Il allait douter, mais Nolan serait là pour enfoncer le clou. Il avait suivit Ethan. Il savait tout de ce Mr Fox. Il pouvait même lui donner son adresse s'il voulait lui casser le nez ou quelques os. Il était même prêt à mentir pour enlaidir le tableau. En attendant, il retourna à cette poêle et commença à casser deux, trois œufs.
Sujet: Re: stay with me (nolan) Mar 12 Fév - 16:02
Take me, pull me all around. Break me, I'm almost yours.
Ce plissement qu’on connait aussi très bien aux lions s’accentua alors que ses sourcils se rapprochaient dans cette géométrie de contrariété. Qu’est ce que j’en ai à foutre que tu sois vegan furent les mots qui lui brulèrent la bouche mais qu’il rattrapa in extremis parce qu’ils signifiaient qu’a contrario il était impacté d’une façon ou d’une autre par l’homosexualité de son voisin, chose qu’il ne voulait pas. Le rire de Nolan le fit sursauter de surprise, il ne s’y attendait pas et ce fut comme s’il l’avait bousculé brutalement. Son visage perdit cette expression de colère pour revenir vers des contrées plus détendues même s’il n’était pas prêt d’accompagner ce rire. Il regarda avec animosité la main qui se posa sur son épaule, c’était beaucoup demander alors qu’il cherchait encore son sens de l’humour. Toutefois il ne se dégagea pas pour autant, enclin à faire des efforts pour être moins sauvage aux yeux du reste du monde maintenant qu’il n’y avait plus Ethan pour faire tampon entre son insoumission et le besoin grégaire des autres qui se comportent normalement et recherchent de temps à autre la chaleur du contact humain sans nécessairement y voir une sexualisation. « Très drôle. Moque-toi bien. »
Son monde s’effondrait à nouveau et il avait du mal à le croire. Il devait puiser dans des ressources bien maigres pour ne pas se décomposer à mesure que Nolan avançait ses explications, pour ne pas laisser la mort gagner à nouveau le fond de ses pupilles qui avaient perdu instantanément leur éclat. Le téléphone tomba dans sa main et lui parut bien plus lourd que ce qu’il n’était. Un vrai parpaing. Une enclume, prête à pulvériser tout le sens de sa vie. Il fixait Nolan mais ne le voyait plus, le regard vitreux il laissait dériver la justification du légiste jusqu’aux confins de sa conscience. J’aurais aimé que quelqu’un me le dise. Il ne répondit rien, il n’y avait rien à ajouter. Aucun couple n’était parfait, il en était bien conscient mais il se pensait hors d’atteinte. Non pas qu’il eut une estime de lui-même si haute qu’il lui paraisse impossible d’être cocu, mais plutôt qu’il avait toujours vu cet amour constant dans le regard d’Ethan, qu’il n’avait jamais évoqué le moindre doute, et que leurs disputes ne duraient jamais longtemps. Il n’avait rien vu venir et cela ne rendait les choses que plus douloureuses. Le mal était fait et pourtant il avait peur de déverrouiller l’écran, de chercher les messages et de comprendre avec quelque profondeur il s’était trompé. Il avait déjà pris une balle dans l’exercice de ses fonctions, qui lui avait laissé une cicatrice discrète dans le creux de l’épaule mais la douleur qu’il avait alors ressenti à l’explosion de sa clavicule semblait poussière comparée à ce qu’il éprouvait à cet instant précis. « Et toi tu as attendu. Tu as trouvé ce téléphone, ces messages, et tu as attendu que ça aille mieux. » C’était injuste d’aller s’en prendre à Nolan et il le savait pertinemment mais il avait le sentiment qu’on le repoussait dans l’océan alors qu’il venait à peine de réchapper de la noyade et qu’il n’avait pas fini de rendre toute l’eau qui s’était invitée dans ses poumons. Peut-être avait-il voulu protéger son frère, parce qu’après tout Livio n’était personne pour lui, et que la famille est pour certains, plus précieuses que n’importe quoi au monde ? « J’espère que ça te fait du bien par procuration. » La colère prit le pas un instant et lui servit de combustible pour fouiller ce téléphone. Il fit glisser son pouce sur l’écran et ouvrir les textos. Chaque nouveau message lu était un coup de poignard. Comment avait-il pu le regarder dans les yeux et lui dire qu’il l’aimait chaque matin pour mieux aller sauter le premier connard venu ? Les photos furent sa guillotine. Elles ne laissaient place à aucun doute, aucune excuse, aucune justification tordue : c’était bien Ethan qui avait rédigé chacun de ses messages et qui avait envoyé ces photos avilissantes de son sexe en érection ou de son torse nu. Il ne remonta pas plus loin, c’était déjà bien trop pour lui.
Son estomac tangua et protesta contre cet afflux de bile, cette oppression faite de colère et de tristesse qui l’assaillait brutalement. Il posa le téléphone sur la table, persuadé d’être maintenant aussi mort qu’Ethan, bon à être enterré, alors qu’il fixait cet homme qui sagement faisait à manger comme si de rien n’était. « Et toi tu savais. » Il bouclait comme un disque rayé. C’était une trahison double. Il rêvait de lui sauter dessus et de le frapper, tant pis s’il payait injustement pour son frère et pour ce Fox mais il jugea plus opportun de tituber comme un homme ivre jusqu’à la salle de bain pour se laisser tomber à genoux à côté de la cuvette des toilettes et rendre un restant de café infâme et de la bile dans une contraction d’estomac malmené. Il était froid à beaucoup d’horreurs sur terre, capable de garder le contenu de son estomac pour lui au travail mais pas là, pas aujourd’hui. Pas maintenant qu’on lui brisait le cœur pour une seconde fois. Toute cette première douleur qu’il aurait pu diminuer si seulement il avait su plus tôt. Ca ne l’aurait pas rendu insensible à la mort d’Ethan, mais simplement moins impliqué, moins dans ce sentiment d’injustice que c’était le meilleur d’eux deux qui avait trouvé la mort au bout du tunnel. Vivre sans jamais savoir pourquoi Ethan avait fait ce choix de mener deux relations en parallèle, sans savoir s’il avait fait quelque chose pour le pousser involontairement dans les bras d’un autre, si le problème c’était lui ou bien si c’était juste le résultat du hasard. Comment tout ce qu’il pensait sain et acquis pouvait voler en éclat à un âge où tout ce qui est construit est généralement pérenne ? Il essuya sa bouche d’un revers de main, ne trouvant pas la force immédiate de se relever alors que le carrelage froid proposait une ambiance sereine dans lequel il dénotait. Lui qui n’avait pas su verser une larme à l’enterrement, encore enfoncé dans son état de choc sentit un sanglot lourd et douloureux remonter dans sa gorge plaintive.
Nolan se figea. Non, que la colère du lion puisse l'effrayer, mais tout simplement car Hartsfield était beau avec ses yeux traversés par les affres de la douleur. Il aurait voulu poser sa main sur son cœur et lui suggérait de crier jusqu'à s'en casser les cordes vocales. Il pouvait même jeter des bibelots au mur. Cette colère avait quelque chose de très magnétique pour notre médecin légiste. Il fit rouler ses lèvres comme un faon apeuré, mais c'était plutôt une tournure d'excitation. Il lutta pour ne pas laisser parler son aine. Il aurait été facile d'être prit au dépourvu avec la Tour de Pise au milieu de son chino couleur bleu fantaisie. Cette pensée l'amusa - car tout amusait Nolan. Bientôt, il pourrait se montrer sous cet image. Bientôt, se répéta t-il.
« Bien sûr, que j'ai attendu. Je tiens à toi. » Bam ! Prend cela dans les deux entre deux vagues de colère. Pensa notre médecin légiste. Nolan se concentra entre sa poêle qui crépitait à présent et le deuxième instigateur de cette pièce de théâtre grotesque qu'il avait dressé lui-même. Livio lui balançait sa colère, mais c'était du miel pour Abernathy. Il était si séduisant à ces yeux alors que ces veines sous ses tempes semblaient être sur le point d'exploser. Nolan aurait voulu se coller à cette bouche pour faire fondre cette colère entres les sillons de ses lèvres. Son torse fut secoué par cette pensée et il prit une large respiration. « Comment tu peux penser cela un seul instant ? Tu crois que tu es seul à avoir mal là ? Te voir ainsi me dévaste. » Car, il tenait à lui, mais il venait déjà de lui apporter cette éclairage. Il quitta la plaque de cuisson et frappa sa poitrine. Cependant, il ne pouvait plus revenir en arrière. C'était beau d'avoir répété dans sa chambre devant le miroir. La réalité était un tout autre terrain de jeu. Il essaya de ne pas quitter Livio du regard. Il se voulait le plus vrai possible dans cette mascarade improvisée. Il ne voulait pas sonner faux ou trop en faire.
Nolan esquissa un sourire quand il vit Livio faire défiler les textos. Il voyait son visage blêmir et il ne pouvait qu'en être satisfait. Il était un monstre aujourd'hui, mais demain il se promettait d'être un sauveur. L'inspecteur devait avoir mal. Il devait avoir si mal, car il aurait tout pouvoir sur lui. C'était son plan. Rien n'était encore gagné. Tout restait à faire. Livio était peut-être blessé, mais il n'était pas mort. Il retourna à sa nourriture entrain de cuir et chassa cette image de cette main qui posa le portable. Il savait que les prochaines foudres tomberaient sur lui. « Bien sûr, que je ne savais pas. Arrête... » Il aurait voulu continuer, mais Livio quitter la pièce. Nolan retira la poêle du feu et prit le temps de couper la plaque de cuisson. Il n'avait pas envie de faire brûler deux appartements dans la même journée. Il s'approcha de la salle de bain, mais resta en retrait à l'extérieur. Il se colla au dos du mur, ne pouvant être vu, mais pouvant se faire entendre. « Livio...Tu es la dernière personne qu'il me reste. » Ses parents - toujours vivants - devaient entendre leurs oreilles siffler à l'autre bout du pays. Nolan croisa ses mains contre son torse, froissant sa chemise par la même occasion, mais aucun sacrifice ne serait assez grand pour l'inspecteur de son cœur. « Ne me déteste pas pour quelque chose où je ne peux pas avoir le contrôle. Ecoute, sors avec moi ce soir ? On va boire un verre, danser et draguer des beaux mecs. Tu vas me répondre que c'est pas le moment. Et, là, je te répondrais que c'est justement le moment. Que là j'ai le pouvoir de t'aider en te changeant les idées. Laisse moi t'aider, je t'en prie ? »