-- i want to undress you, vulgarize you a bit.

(FÊLURE DANS L’MUR) - - Tâche sombre et pâle dans l’halo jaunâtre des néons qui bordent le couloir de l’hôpital, elle observe le passage de silhouettes sans visages sans les voir, ses yeux maquillés de cernes plantés dans le vide, son corps avachie sur une chaise qui grince sous son poids. Tout lui semble décalé de la réalité. Un coup tout existe puis tout devient soluble, comme un cauchemar qui touche à sa fin, lui coulant entre les doigts. Elle oscille entre réel et chimère Nine, défoncée à la tristesse, essaie d’y voir clair alors qu’il lui semble qu’elle devient doucement aveugle. Ou ce ne sont que les larmes qui ne coulent pas qui floutent ses pupilles. Les sanglots de ses parents se font entendre, à peine étouffés par la porte de la chambre aux murs gris, comme pour se teinter au couleur de la mort. Il ne reste pas grand chose de sa sœur si ce n’est une loque plongée dans le coma. “Prenez vos dispositions.” qu’il a lancé le toubib d’un ton froid mais le visage crispé par une compassion hypocrite. Nine a l’envie brutale d’en rire mais elle a peur que ça ressorte comme un son trop rauque, cassé. Elle se relève à la force de ses pieds, du peu de courage qu’il lui reste. Elena va crever. C’est vulgaire, c’est violent, ça perce le palpitant de pierre qui continue de descendre à chaque battements pour mieux s’exploser au sol dans un bruit suintant et dégueulasse. Lèvres scellées par un silence mortel, elle les laisse fermées par peur qu’un flot d’hurlements tremblotants n’en sortent.

Son corps se relève, tangue. Ca bouge trop vite. Sa main percute violemment le mur pour s’y tenir. Des vertiges lui font tourner la tête et elle se concentre pour pas gerber sa haine au sol. C’est débile. C’est débile ce que t’as fait, connasse. Elle la hait, ça explose comme le souffle d’un éclat brisé en elle, des bouts de colère s’incrustant comme du cristal dans sa cage de marbre. Dans un soupir silencieux, elle entre enfin dans la chambre pour y voir sa mère avachie contre le visage tuméfié de sa fille. Encore une fois, elle y voit son propre reflet, les mêmes traits; de ses lèvres moins roses que les siennes mais dont la forme est similaire, à ce menton insolent jusqu’à ce grain d’encre près d’un œil. Elle sait que si elle levait les yeux, elle rencontrerait la même couleur d’un miel qui promet la douceur. Quelle connerie. Son père tout près du lit lui aussi lève des yeux rougis de ses pleurs vers elle. Il grimace et détourne honteusement le regard. Elle est si douloureuse à regarder maintenant. Pire qu’avant hein. Une autre attaque, un autre assaut qu’elle est pas certaine de pouvoir gérer. “Viens près d’elle, Nina. Viens.” Sa mère supplie, tend une main tremblante vers elle et elle l’observe un temps alors que le ton se fait plus accusateur “Tu vas nous trahir ? Maintenant ? Je t’en supplie, elle a besoin de toi, ne fais pas l’idiote.” L’idiote. Le rôle qu’on lui a toujours donné. Elle glisse sa main glacée dans celle plus chaude de sa mère, se laisse entraîner vers le bord du lit sans rien dire. J’vais gerber. A voir le visage marqué par le choc de la bagnole qu’elle a percutée, Elena a l’air moins belle. Ou n’est-ce que sa colère qui parle. Elle évite de la fusiller du regard, sa main broyer par la poigne désespérée de sa mère. Elle la regarde, sangloter comme si elle-même n’était pas présente. Ici, dans ce lit, subsiste la seule vie qui a jamais comptée pour eux. Elle n’est que le fantôme désormais, d’une vie qu’Elena a abandonnée.

(SASSY WITCH) - - Ca sent le souffre, l’encens, la cire. L’orange des flammes oscille sur son visage alors qu’elle murmure des mots que personne ne peut entendre. Sa chambre est un véritable bordel de bibelots étranges, ses murs placardés de posters de groupes qui font pâlir sa mère, un intrus subsiste, rappeur oublié, qu’elle se refuse à arracher, d’autres photos, polaroids oubliés d’amis qui ce sont détournés ou à qui elle parle moins. Son lit est un chaos ambulant, témoin de ses mouvements trop brusques dans le cocon du sommeil et çà et là traîne des fringues mal rangées. Au coeur de la chambre sombre, Nine est assise, allumant bougie sur bougie, priant encore pour les âmes qui oscillent toujours entre l’au-delà et le plan terrestre. Du bout de ses lèvres carmines, Nine joue un jeu dangereux, insensible au bordel qui passe au-delà des murs. Ici, depuis la mort d’Elena, c’est un bordel sans nom qui subsiste. On entend plus rien que le passage régulier de sa mère sur le parquet, le claquement de la porte d’entrée et son père n’est qu’un boulon manquant, enfermé dans son bureau. Elle aussi, elle s’enferme dans ses incantations, soufflant sur l’allumette pour faire mourir la flamme avant qu’elle n’atteigne ses doigts aux ongles rongés. Elle se tait finalement, laisse le néant du silence reprendre sa place, comme pour des voix d’ailleurs prennent place, laissant entrer les esprits qui demandent la rédemption.

Paupières closes, elle se perd dans une transe à moitié abrutie par le roulé qui rejoint sa bouche close, aspire et exhale le filet gris qui endort lentement ses neurones. Dans un brutal fracas, la porte s’ouvre sur le visage rougi de colère de sa mère “Qu’est-ce que tu fous ?” Elle s’arrête observant son autel où bougies et encens brûlent. Son regard se noirci un peu plus “Je t’avais pourtant dit d’arrêter tes conneries Nina. Tu enfonces le couteau toujours plus loin.” Impassible, Nine se relève sur ses pieds nus “Sors.” L’ordre claque entre elles mais elle ne veut pas se blesser, encore, contre le rejet de sa mère qui ne pleure que pour elle, qui ne pense pas à elle ni à son père. C’est une connasse, elle l’a bien compris. “J’ai dit sors.” “Tu es complètement tarée. Si seulement tu n’étais pas …” Nine hausse un sourcil, laissant tomber le masque de l’indifférence pour prendre celui de l’amertume “Si seulement j’étais pas quoi ? Encore là ?” Elle l’observe secouer la tête, éprise par un malaise grandissant “Non, je n’ai pas dit ça.” “Tu le penses tellement fort que ça commence à m’faire mal aux oreilles.” Sa voix est noyée par les pas de sa mère qui s’avance, par son souffle éteignant méthodiquement chaque bougies. “ARRÊTE ! Qu’est-ce que tu fous putain ?!”  Et le mur se brise. Nine s’affole la repoussant violemment, l’écartant de ce qui représente son seul refuge. Les yeux rougis de sa mère se posent brutalement sur elle, repoussant sa main d’un coup d’épaule “J’ai supporté tes délires gothiques bien trop longtemps. Tu as fait entrer le Diable dans cette maison avec ta religion satanique.” Elle lui crache ses mots sans jamais respirer, entre ses dents serrées. L’image même de la haine. Cillant, Nine souffle un rire qui sonne faux, recule de quelques pas hésitants, passant une main nerveuse dans ses cheveux trop sombre “J’peux pas rester là. Tu m’donnes la flemme de vivre.” “Quoi ?” La question n’attend pas de réponses, Nine se précipite vers son placard en bordel, en sort un sac qu’elle pose brutalement sur son lit y enfournant sans les voir fringues et babioles importantes à ses yeux. “Qu...Qu’est-ce que tu fais Nina ?” “Ca s’voit pas ? J’me barre. J’ai squatté ici bien trop longtemps.” “Ele… Nina, tu ne devrais pas. On peut en parler.” Ca tire sur les aigues, s’effiloche sur le rasoir de la panique et Nina serre les dents pour ne pas fondre en larmes se tournant enfin vers celle qu’elle appellera toujours maman “Non. Je n’en ai pas envie. Je ne suis pas Elena. Je ne le serais jamais et j’en ai pas envie, en fait. J’dégage d’ici.” Et ne reste que le souvenir des sanglots déchirants de sa mère, des marques laissées par ses ongles sur ses bras pâles pour tenter de la retenir, la porte du bureau de son père qui est restée close jusqu’au claquement violent de la porte d’entrée pour point final.

(BAISER VOLÉ) - - “Tu penses à quoi ?” “A rien. J’pense jamais à rien.” “Ah ouais ? Tu mets ton cerveau sur OFF ou truc comme ça ?” Un rire indélicat perce le silence suivit de sa voix qui traîne, abrutie par l’alcool “Ouais, y’a un peu d’ça.” “Alors pourquoi t’as l’air prête à chialer là ? Le r’gard plongé dans l’vide, observant j’sais pas trop quoi mais ça t’rends pas heureuse.” Un silence passe, une main se pose sur une épaule nue, des lèvres suivent. Elle frissonne, le désir qui coule au creux des cuisses. “J’sais pas. Je crois que j’ai du sang noir et triste dans les veines, ça doit expliquer pas mal de choses.” “C’est badant surtout.” Encore une pause. “Parle moi.” “J’ai rien à dire.” “Et rien à penser non plus apparemment. Tu mens comme une merde.” Elle fusille du regard, elle s’éprend encore des prunelles qui la jaugent, qui percent son âme. Elle aimerait l’aimer. Elle aimerait tout. Elle panique. “Bah j’ai … J’sais pas. J’te dis la vérité, parfois.” “Parfois ?” Il est sceptique, presque vexé. Elle sait pas comment rattraper ça alors elle se tait. Le silence, son amant préféré. Il ne la juge pas, il ne l’attaque pas. Ce sont ses pensées qui le font. Elles sont partout, finalement. L’assaillent, la noient. Elles la font mourir doucement. “J’ai pas envie de parler.” “T’as envie d’baiser alors ?” Un sourire s’esquisse “Y’a pas besoin de taper la discut’ au moins, ouais.” et elle échoue encore à la résistance. Corps de désir, corps noyé dans les soupirs, les caresses abrupts. Elle se fait marquer par sa propre connerie pour mieux s’faire lâcher le lendemain.

(LAISSE MOURIR) - - L’allure débraillée, elle traîne du pied en revenant chez elle, la face peinturlurée de farine, le blanc d’un œuf mêlé à sa coquille s’accrochant à ses mèches encrassées. C’est le regard de sa sœur qu’elle rencontre dès la porte ouverte. Elle saute du canapé, cet air affolé et délicat planté sur la tronche. J’te hais. “Nina ? Il s’est passé quoi ?” Les épaules se haussent, le corps se détourne mais elle est vite rattrapée par la poigne étonnamment forte de celle que d’autres appelle son âme-sœur. Elle fait semblant de m’aimer. “Parle. A qui j’dois défoncer le nez ?” Nine éclate d’un rire bref, moqueur, cruel. “Arrête, t’as jamais foutu une gifle de ta vie alors péter un nez ? Tu dis d’la merde.” “T’en sais rien ça.” Nine prend un air faussement surpris “Depuis quand ta vie m’intéresse de toute façon ?” Le regard s'assombrit et comme spectatrice de son propre visage, elle la voit froncer les sourcils “Pas besoin d’être agressive. On t’as encore cherché la merde au lycée ?” Encore un haussement d’épaules. “On devrait en parler à mam-” “C’est pas tes affaires, laisse tomber.” “Pourquoi t’es toujours aussi connasse avec moi ? Qu’est-ce que j’ai fait encore ?” Sa fuite vers sa chambre cesse alors que dans un lent mouvement, le visage toujours salie par l’humiliation, elle esquisse un sourire où coule le venin de la rancune “Parce que je ne suis pas toi.” Elena cille, clairement perturbée, incapable de cacher ses sentiments, un livre ouvert, un livre qui raconte une belle romance, de belles amitiés et une vie parfaite. “De quoi tu parles ?” “Tu le sais très bien.” Sa sœur tente l’amorce d’un pas vers elle, lèvres entrouvertes sur d’autres paroles. J’veux pas entendre. J’veux pas écouter. Ferme la. Et Nine panique, plante un “J’ai dit laisse tomber. J’vais me doucher.” Encore une fois, elle ferme le dialogue, la parenthèse et déchire un peu plus son lien avec la moitié d’elle-même.

Morte à cause de moi. Morte parce que j’ai pas assez aimé. Morte parce que j’sais pas parler. Et tous les désolés du monde ramènent jamais les morts.