La musique résonnait dans ses oreilles, vibrait sur son derme. Les silhouettes se tassaient, se collaient, et dansaient. Des gestes langoureux, au rythme des notes fiévreuses du dernier tube à la mode. Cece voguait, les pas légers entre deux corps. Elle riait avec ces inconnus qu’elle ne reverrait jamais. L’alcool coulait dans ses veines à foison. Un poison, qui se diluait avec le liquide carmin qui alimentait son palpitant. Ils se mélangeaient plus que de raison. Mais elle se délectait de cette sensation vaporeuse. Elle flottait, les prunelles dilatées et brillantes. La culpabilité la ronge, parfois. Il avait bu, lui aussi, plus que de raison. Et elle l’avait cru, bêtement, quand ses pieds avaient touché la pédale et qu’ils avaient démarré. Elle n’avait aucune raison de ne pas le croire, de ne pas lui faire confiance. Puis il était mort, laissant derrière lui des remords et des images cauchemardesques. Le visage déformé, ensanglanté d’Ethan venait la hanter la nuit. Il l’accusait, parfois, la langue acerbe, les mots blessants. Ce n’était que de mauvais rêves, et pourtant, Cece y pensait à chaque gorgée, à chaque excès. Elle ne s’arrêtait pas pour autant, de boire, de sortir, de tenter des expériences. Comme si cet accident mortel ne lui avait pas servi de leçon. Comme si son overdose ne lui avait pas suffi. Elle profitait pour deux, disait-elle. Les doigts enroulés autour d’un grand verre en plastique vide, elle s’avançait vers le bar, désireuse d’échanger le gobelet pour un autre. Ses iris furetaient dans la salle. La pénombre l’empêchait de voir correctement, mais les néons colorés éclairaient rapidement le visage des badauds. Quelques têtes familières se dessinaient – ses copines, des gars qu’elle croisait souvent, des filles qui attiraient l’attention. Puis elle l’aperçut. Milo. Le sourire charmeur, l’attitude décontractée, au milieu de la foule. Son sauveur en veste de cuir. Un héro des temps modernes, à ses yeux. Il aurait pu la laisser, ce soir-là. Il aurait pu fuir et clore ses paupières. Elle était tombée dans un puits sans fond, sombre. Le genre où la chute était lente et terrorisante. Mais il avait tendu la main, Miles. Il l’avait rattrapé pour la sortir du gouffre. Elle se sentait redevable, Cece. Eternellement redevable. Elle détourna l’attention un quart de secondes pour récupérer son nouveau verre, et elle se dirigea vers lui, décidée. Un sourire blancs étira le coin de ses lèvres. « Heyyyy, stranger, » souffla-t-elle, sur un ton qui se voulait taquin. « Je pensais que t’étais mort, » finit-elle dans un clin d’œil.
Aussi ivre qu’ennuyé, Milo était désespérément en quête du moindre prétexte pour échapper à l’ennuyeuse et visiblement stupide blonde à laquelle l’avait présenté son pote quelques minutes plus tôt. Son regard parcourait la salle avec impatience tandis qu’il portait une énième fois son verre de gin à ses lèvres, espérant qu’à défaut d’être tiré de cette situation, il serait au moins bientôt assez bourré pour ne plus en souffrir.
Puis, tout à coup, elle était là. Il ne l’avait pas vue venir, et pourtant, elle était impossible à rater – ses longues boucles aussi flamboyantes que ses lèvres pulpeuses et écarlates étaient tout simplement une invitation à poser le regard sur sa fine silhouette. Cece. Elle lui susurra un bonjour, qu’il n’eut aucun mal à entendre malgré la cacophonie ambiante. L’espace d’une demi-seconde, Milo sembla ébahi, et il eut l’impression de sentir son cœur manquer un battement. « Ce- Cece ? », balbutia-t-il, aussitôt furieux contre lui-même de n’avoir pas été capable d’aligner un seul mot correctement. Voilà des semaines qu’il ne l’avait pas vue, depuis qu’elle s’était réveillée, encore hagarde, dans son appartement après qu’il l’avait sauvée d’un état d’intoxication dont il était le principal responsable. Des semaines au cours desquelles, à quelques reprises, son beau visage avait fait irruption dans son esprit réticent, avant de voir ses visites s’espacer, pour enfin disparaître. Et pourtant, il aurait pu y remédier – à commencer par ce fameux jour, quand elle avait évoqué la possibilité de se revoir, ce à quoi il n’avait trouvé mieux que de prétexter être en retard pour un rendez-vous de la plus haute importance, avant de prendre ses jambes à son cou. Ce n’était pas que l’idée de rester en contact avec la divine créature lui déplaisait, que du contraire ; chaque fibre de son corps avait brûlé d’envie de lui donner son numéro, voire de l’emmener immédiatement prendre le petit-déjeuner et de passer des heures à ses côtés. Mais c’était toujours cette satanée méfiance qui faisait des siennes, cette crainte de s’embarquer dans une potentielle peine de cœur, et Milo se connaissait – jamais il n’était parvenu à rester indifférent aux filles comme Cece, et il avait immédiatement su que s’il la laissait entrer dans sa vie, jamais il n’en ressortirait indemne. Alors, il avait fait ce qu’il faisait de mieux : l’autruche.
Jusqu’à ce soir. Le regard de Milo était rivé sur les traits de Cece, comme aimanté. La curiosité, proche de la fascination, qu’il avait ressentie à son égard le soir de leur rencontre avait fait son retour dans toute sa splendeur, et il s’émerveilla subrepticement devant le contraste entre l’air séducteur qu’arborait naturellement Cece et la douceur de ses grands yeux bruns. Lorsqu’elle reprit la parole, toujours de cette voix qui était à deux doigts de lui donner des frissons, il esquissa un sourire espiègle, immédiatement soulagé de voir qu’il était enfin parvenu à sortir de l’état proche de la transe dans laquelle elle l’avait plongé l’espace de quelques secondes. « C’est un peu dramatique ça, comme pronostic, tu trouves pas ? », répliqua-t-il en lui servant son plus adorable sourire en coin. « J’suis content que tu sois là, j’ai enfin une bonne raison de m’échapper d'ici », lui glissa-t-il dans l’oreille, avant de lancer un regard en direction du petit groupe auquel il s’apprêtait à fausser compagnie. Il feignait l’air détaché à la perfection, mais la réalité, c’était qu’il aurait probablement faussé compagnie à Obama si c’était en sa présence que Cece l’avait trouvé là maintenant. Il adressa un petit signe du menton à la belle rousse, pour lui signifier que le moment était venu pour eux de déguerpir, avant de glisser une main aérienne dans le creux de son dos pour la guider devant lui à travers la foule. Le contact, pourtant presqu’inexistant, l’électrifia, tout comme le parfum capiteux que dégageait Cece à quelques centimètres de lui. Et alors qu’ils s’enfonçaient dans la masse d’inconnus, Milo s’efforçait d’ignorer du mieux qu’il pouvait la petite voix dans sa tête qui lui criait de rebrousser chemin tant qu’il était encore temps - les filles comme Cece ne lui apportaient jamais rien de bon.