(sympathie for the devil); billie

( itinéraire d'une gosse en manque d'amour )
six ans M’man bosse pas beaucoup, elle a un mi-temps à l’épicerie au coin de la rue, remplis les rayons et empoche le fric des clochards qui vienne acheter leurs bière quotidienne. P'pa est pas la tout les jours, il part, mais reviens toujours, les bras charger de cadeau pour toi et m'man. Vous habitez en périphérie de ces grandes villes où tout va trop vite, ou les centre villes vives au rythme des klaxons et des pots d'échappement, ou personne se connait, ou tout le monde s'évite. Toi t’aime bien vivre là bas, t'aime ton école, tes copines et tes copains. Max a promis de t'épouser quand vous seriez grand, t'es pas sur que p'pa soit d'accord, tu lui demandera ce soir. T'aime ta vieille maison en bois qui grince au moindre coup de vent, qui ressemble à toutes les autres maison en bois du quartier. T'aime bien ta vie, avec m'man, et p'pa. Sauf que p'pa un jour il est pas revenu. Il a appeler m'man, il lui a dit qu'il reviendrais pas. Qu'il t'aimé toi, mais plus maman. M'man a pleurer, tu lui a dit que toi non plus t'aimais plus papa pour la peine -même si c'est faux-, et t'a consolé m'man. C'était ça ta nouvelle vie, juste toutes les deux, quand tu rentre de l’école avec la petite voisine et que tu passe tes après-midi ensoleillés devant la maison, quand m'man rentre le soir avec une pizza et que vous vous couchez devant la télé à regarder des films d’horreur en mangeant du pop-corn. Mais m'man elle était déjà hantée par ce mal qui pourrit, qui gangrène, qui détruit tout et laisse que du malheur. M’man elle consommait déjà toute cette saloperie bien avant que tu naisses, elle en était devenue accro, une addiction comme disaient les toubibs, un truc a soigné avant qu’elle crève. Et c'est pour ça que p'pa est partie. Y'avait des haut et des bas avec m'man, des jours de soleil et des longues semaines de pluie. M’man elle s’est fait soigner, pendant de longues semaines où y avait plus que des journées d’orage et de tempêtes, ou y'as plus eu de soleil pendant de longs mois, ou y avait plus de pizza le soir, plus de film d’horreur devant la télé et de bol de pop-corn. Toi tu sais que p'pa aurait pu la sauver, il en a simplement pas eu le courage.

douze ans Y'a du ciel bleu dans le paysage de m'man, elle avait chassé les nuages pendant toutes ces années, elle s'était reconstruite, t'abandonnant petit à petit. Elle avait remplacé les photos du papa idéal dans votre portrait de famille. Ton « nouveau père » s'appelé Marco, il était comptable, chiant à mourir et passionner par la pêche. Rasoir. Le total opposé de ton père, celui qui avait fait craquer ta mère treize ans plus tôt. Et toi tu te demandais bien ce qu'elle lui trouvé à ce connard en costume, qui venez chez vous presque tous les soirs, faisant les courses, bricolant dans votre vieille maison en bois et essayant de faire ton éducation. Tu voulais pas d'un nouveau père, il s'est imposé à toi. Et puis quelques mois plus tard, Marco s'est fait muté à quelques kilomètre de la, au coeur de la grande ville, dans son tourbillon effervescent. Ta supplié maman de ne pas le suivre, de rester ici, dans votre maison, dans votre ville, dans votre vie. Mais m'man elle était de nouveau droguée, elle avait changé de poison, de substance, elle était amoureuse et c'était surement ce qui pouvait la détruire le plus. Elle a plié bagage, t'emmenant dans les cartons et les valises, déménageant dans une autre de ses maisons en bois, qui grince encore plus quand il y a du vent. Mais Marco avait promis de la réparer. La vérité c'est que c'était un gros con ton beau-père, qu'il voulait d'une femme comme ta mère, mais surement pas d'une gamine comme toi, trop encombrante, mal élevé et borné. T'étais devenu le vilain petit canard, l'ombre au tableau idyllique, la pluie de la lune de miel qu'il aurait bien aimé s'offrir. Il aurait surtout bien aimé construire une nouvelle famille, te virer et tout effacer, tout recommencer, à zéro, lui faire de nouveau gosse et dire que toi t'est adopté.

quinze ans C'est un âge con, quand t'as l'impression que le monde entier est contre toi, que la terre ne tourne plus ronde, que rien ne va vraiment bien et que rien ne s'arrangera. La crise d'adolescence, c'est comme ça qu'il l'appelle. Et est-ce qu'ils savent pourquoi l'ado est en crise ? Est-ce qu'ils savent ce qui ne tourne pas rond dans son crâne de gros bébé pas encore adulte ? Toi tu sais que rien ne vas plus depuis déjà trois longues années, depuis votre départ, votre arrivée ici, depuis qu'il avait fallu tout recommencer, la vie sociale, familiale, la vie tout court. Tu t'es fait vite des amis, une bande de potes avec qui trainer, t'as vite fait oublier ta réputation de petite nouvelle qui débarque, tu t'es vite fait une place dans leurs quotidiens, dans leurs crânes et dans leurs coeurs, et pourtant c'est pas suffisant. Pas suffisant pour aller mieux, parce qu'à la maison Marco est toujours là, t'encourage à te barrer le plus vite possible, à foutre le camp de la nouvelle maison, de la nouvelle vie. Il est devenu encore plus con qu'avant, irascible, mauvais, tout ça parce que ta mère n'est pas foutue de lui pondre un gosse. Il est devenu affreux. T'a beau le dire à m'man, que Marco t'aime pas, qu'il est méchant, qu'il aimerais te foutre dehors. M'man dit que non, qu'il est parfait, et que t'a intérêt à pas tout gâcher. Comme si c'était ta faute. Alors tu menaces, de partir, de fuguer, d'aller retrouver ton père qui envoie de moins en moins de carte. Tout vas mal et dans ta prison doré, tu commences à compter les jours, celui où tu partiras, ou tu lui diras merde en le regardant dans les yeux, ou t'iras vivre loin d'ici, loin de lui. Traverser le pays, les océans, les mers, aller voir ailleurs si c'est mieux.

dix neuf ans presque vingt En vérité t'es jamais partie, t'as jamais traversé le pays, les mers et les océan, t'es jamais retourné dans ta petite ville pour aller voir si c'était toujours aussi bien, jamais mis les pieds dans les autres villes pour voir si c'était mieux, jamais traversé les états pour retrouver p'pa. Tu t'es jamais barré comme t'avais promis de le faire, parce qu'en vérité t'avais peur de ce que t'allais trouver. Et si p'pa non plus voulais pas de toi ? Et si t'étais réellement une sale gamine que tout le monde abandonne ? T'as juste quitté la maison qu'il avait jamais bricoler et qui grincé encore plus qu'avant. T'as juste quitté m'man et Marco l'enfoiré pour aller t'installer dans un studio dans le centre-ville. Tant pis s'il fallait payer le loyer, faire les courses et le ménage, tant pis s'il fallait devenir adulte plus tôt que prévu. Tu t'es barré le lendemain de tes dix-huit ans, enveloppant tout ce qui t'appartenait pour foutre le camp. T'as pas l'impression d'être une adulte, quand on te demande sans cesse ce que tu vas faire plus tard, après tes études, ce que tu deviendras. La question qui reste toujours, toujours, sans réponse. Tu vas voir m'man les dimanches où il pleut, ou t'as rien d'autre à faire d'autre que de l'écouter roucouler auprès de Marco qui te regarde toujours d'un sale oeil, comme si t'étais en train de chier sur la moquette. En vérité tu fais pas grand-chose à par attendre. Attendre la révélation pour ton avenir, ton futur, attendre que ça se passe, attendre que ta mère ouvre les yeux, quitte ce mec infect, que tu puisses revenir à la maison -même si tu reviendras jamais-. Attendre que ton père revienne lui aussi, que les cartes d'anniversaires reprennent, qu'il te dise qu'il est désolé d'être partis autant de temps. Attendre qu'on vienne te chercher, qu'on vienne t'adopter comme ces chiot qu'on laisse sur le bas coté de la route dans un carton. Attendre, encore, attendre de compter pour quelqu'un, attendre de devenir quelqu'un, attendre qu'on te prenne dans les bras. Et ça devient urgent parce que t'aura bientôt vingt ans et t'a vraiment besoin qu'on te dise qu'on t'aime.