how rare and beautiful it is to even exist

01/ « Papa.... » Je secoue son bras, timidement d'abord puis avec plus de vigueur ensuite. Pas de réponse. Ma mère s'approche de moi, me prend dans ses bras et c'est alors que je constate que des larmes ruissellent le long de ses joues. « Papa est parti, ma chérie... Il ne reviendra plus. » » Une chute vertigineuse. Puis un silence palpable. Ses lèvres frémissent et ces mots, intenses et fermes, éclatent avec fracas dans la chambre d’hôpital. J’ai envie de hurler mais aucun son ne s’échappe de ma gorge. J’ai envie de pleurer mais aucune larme ne veut sortir. Le chagrin est immense, la douleur insoutenable. Le cancer l'avait emporté alors que je n'avais que huit ans.
02/ Je suis née à Frederikshavn, une petite ville portuaire du Jutland du Nord. Ma mère était institutrice et mon père pêcheur.  Nous vivions à notre aise, sans pour autant crouler sous l'argent. La vie était peu chère au Danemark, bien moins qu'aux Etats-Unis en tout cas, et le maigre salaire de mes parents suffisaient tout de même à ce que nous ne manquions de rien à chaque repas. Je n'ai donc pas grandi dans l'opulence et le mode de vie consumériste américain, comme on pourrait le croire au premier regard. Si je mets un point d'honneur, maintenant que je vis dans le Queens, à dissimuler ma condition sociale, je n'oublie pourtant jamais d'où je viens ni ce qui m'a poussée à m'installer aux Etats-Unis. L'enfant du pays n'oubliera jamais sa terre d'origine. 03/ Mon père était passionné de littératures en tous genre. C'est lui qui, dès mon plus jeune âge, m'a fait goûter au plaisir et au pouvoir immense de la lecture. Il m'a appris à aimer le contact rugueux des vieilles pages cornées et cette idée que, contrairement aux paroles, emportées par le vent, les lettres, elles, une fois tracées, restent inexorablement couchées sur le papier. C'est à lui que je dois d'être là aujourd'hui, à profiter d'une vie confortable et palpitante. C'est pour lui que je vis, en son nom et en sa mémoire.
04/ A dix-huit ans, avec l'argent que mon père avait mis de côté, ma mère m'a envoyée aux Etats-Unis. Ce ne fut pas une décision subite et irréfléchie : nous savions toutes deux qu'il n'y avait rien pour moi au Danemark et que si je désirais vivre la vie que je voulais vraiment, il fallait que je parte, peut-être pour ne jamais revenir. L'Amérique me promettait un avenir radieux, et surtout plus prospère, que dans les terres enneigées du Jutland. Mes débuts là-bas furent totuefois chaotiques : j’enchaînais des petits boulots alimentaires, sans trouver le juste équilibre avec mes études. Surtout, je ne connaissais personne et je peinais à m'accoutumer à ce mode de vie outrancier, typiquement américain. Puis le temps fit son travail et, petit à petit, je m'habituais à cette nouvelle vie et à ce nouveau pays.
05/ Aujourd'hui, cela fait cinq ans que je suis aux Etats-Unis. Je ne suis jamais retournée au Danemark. Maman et moi nous appelons parfois au téléphone mais nous savons toutes deux que ce sont peut-être là les seuls échanges que nous aurons jamais. Je lui parle souvent de ma vie ici,  de comment sont les choses et à quel point il fait bon vivre dans le Queens. Tout ça, encore une fois, je le dois à mes parents. C'est à eux que je dédie mon existence et c'est pour eux que j'essaierai de me faire un nom dans le milieu littéraire. Papa, je te dois bien ça, après tout.