l'âme suinte. il ne reste que l'ichor des dernières blessures pour habiller son néant. poupée se veut désarticulée par l'engeance du deuil qu'elle porte sur les traits, avec stupeur, avec pâleur, moitié brisée se contente des dernières miettes d'un dessein aux couleurs noircies, elle qui s'imaginait repeindre le monde avec des nuances acides, saturées. mais la muse n'est plus. la sœur n'est plus.
alors thelma se fait gamine grandiloquente, crache ses palabres assombries dans le silence des rues mal éclairées, elle est de ceux qui ne peuvent prétendre au paradis, de ceux qui se saigneraient pour avoir l'infâme plaisir d'avoir crié au loup. à tort et à travers, chaque aube est une dague finement polie s'implantant dans le palpitant, un couteau brillant arrachant la chair impie.
pandémonium sera refuge sacré, là où terminent les êtres morcelés, les peines ne sont que des tourments fluides et poisseux, collent à la carne et laissent de vicieuses traces, crève de ces fantômes entraperçus, de ces mirages pollués d'hallucinations florissantes. le corps tout entier est abimé, supplicié, porte en son sein les marques de cette absence meurtrissure, joy est un souvenir qu'elle abat pour mieux respirer.
je ne devrais pas être là, à t'attendre comme un chien abandonné. de l'oxygène, elle n'en a plus, vit sous l'eau avec l'infime espoir de voir le monde se déchirer, terre battue où les remembrances ne seront plus. il faut des ruines, un chaos prononcé à l'amertume certaine, de quoi faire taire les infâmes voix et leurs paroles odieuses. de quoi faire briller les mirettes rougies, puisque les larmes ne veulent plus dévaler les joues, elle ira donc voler celles des autres.
et si elle ose le saut maudit, c'est pour mieux rejoindre l'étoile sanctifiée, s'imagine des retrouvailles aussi douces que le soleil, des étreintes empoisonnées où les mots seraient si superflus.
je crève de ton absence. je meurs de ton silence. si le monde se décide à brûler, l'offrande sera pour la disparue, pour celle qui n'a pas pu observer la chute de l'oiseau malheur, corbeau laisse ses plumes noires sur le chemin boueux, attend avec audace qu'une énième silhouette vienne le rejoindre. le jour se dessine en silence, lumière rougie contaminée par la brume, c'est aujourd'hui qu'elle ira réciter ses derniers psaumes. faire offrande de son cœur à la bien aimée disparue. alors, s'avance vers les tombes recouvertes de mousse, verdoyantes d'un espoir qui n'est plus, habitées par les survivants aux remords intransigeants, penche sa silhouette pour offrir les affres de son âme à celle qui ne peut les voir. les fleurs déposées rayonnent presque contre le marbre grisé, témoins d'une vie qui voudrait continuer, d'une vie qui fleurit malgré les pertes, les absences. indélébiles, virulentes. mais joy n'est plus.
plus jamais.
mais même l'éternité ne vaut plus rien quand l'âme est dépourvue de sentiments, quand le plexus s'effondre, quand les genoux viennent se plier sur le sol et rencontrent les graviers.
il ne faut pas que tu viennes me retrouver, thelma. et les rétines deviennent aqueuses, si larmoyantes, le visage s'accorde à l'agonie, tente de se tordre, voudrait tant expulser la pénitence qui s'accule dans un coin de l'encéphale. relâcher une année d'émotions emprisonnées. les pas sont lourds, chargés d'un accablement aussi sombre que le sien, écrasent les cailloux sans tendresse. cez.
cez, et la voilà qui se relève, chasse la poussière de ses vêtements noir deuil, chasse les pleurs de son visage aux sillons tout tracés. n'ose pas le regarder, n'ose plus. chimère d'une autre vie, d'un autre temps, d'un fil qui s'est brisé, il y a de ça, des années.
sous la cage thoracique, le cœur s'emballe, hurle au crime.
tu me tueras, cez. un mètre entre les deux silhouettes, un mètre de trop, présence supplice. mais les mots s'échappent, viennent ricocher contre sa peau. ne répond pas. la douleur est si forte. il est là, alors c'est comme si, elle aussi, se trouvait à glaner les cénotaphes, à observer les prénoms qui s'affichent en lettres dorées. mais la tempête est intérieure, dévore les derniers espoirs, les dernières envies, l'anhédonie est reine entre ses chairs. perdrait la tête thelma, s'ils étaient seuls face au léger crachin. se décide enfin, fait écho et répète silencieusement ses mots, refuse de bégayer, de transcrire involontairement le mal qui la ronge.
je ne pensais pas te voir ici. pourquoi prends-tu encore la peine de venir la voir? des autres, il y en a, pour toi. mais joy, elle n'était qu'à moi. je... j'comptais partir. crache une verve qui se veut assassine, qu'ils puissent enfin crever eux aussi. reposer en paix. trésaille avec douceur, lève les yeux au ciel, supplierait déjà un démiurge quelconque,
rendez-la moi, je ne tiendrais pas. mais cez est là. alors la môme ne peut se résoudre à demander grâce, à lui faire face.
quand l'astre se lèvera, tu ne seras plus là. tu n'es qu'un fantôme que je méprise, plus que tu ne le crois.