au coeur de la nuit (pia)

tes journées t'paraissent interminables, tant que d'accepter de t'laisser aller aux bras d'morphée devient tâche ardue. ton esprit constamment mis à contribution n'stoppe que peu sa course effrénée. et jamais tu n'presses l'bouton pause. sur tous les fronts et à deux cents à l'heure, t'es l'homme d'toutes les situations et c'est c'qui t'rend fier kemen. toi qui n'aspirais qu'à accomplir quelque chose, qu'à voir en grand. ton monde en haute définition. t'es arrivé avec hargne, là où tu voulais t'rendre. sauf que t'as perdu les tiens en route, qu'tes parents n'pourront jamais t'dire qu'ils sont heureux de c'que t'as accompli. et qu'tu n'pourras jamais lire la fierté dans leurs regards. alors tu t'dis que c'est pour elle que tu t'bats, pour elles au pluriel. les deux femmes d'ta vie, les deux dernières qu'il t'reste. celles qui t'raccrochent encore à la vie, celles pour qui tu t'dépasses et pour qui tu n'as pas l'droit d'flancher.
tu devrais dormir depuis une bonne demi-heure kemen, fermer les yeux sur une journée d'plus. mais l'insomnie semble davantage apte à t'gagner. tu tournes, tu vires et quand tu pensais enfin ton heure arrivée, tu captes des bruits dans la chambre d'à côté. les ombres, dont l'contour n'aurait dû s'dessiner qu'à la lumière du jour, venaient hanter les ténèbres d'la seconde moitié d'toi. souvent, trop souvent, tu devinais ses nuits agitées. son sommeil perturbé et ses cris étouffés. les larmes jamais bien loin, quand son oreiller servait à les éponger pour mieux les lui recracher. t'avais bien essayé de l'écouter, d'la calmer, d'lui faire des promesses dont tu n'savais rien, elle n'semblait pas en prendre la mesure et n'obtenait que rarement l'repos. si jeune et déjà si torturée. à son âge, son existence n'devrait être que gaieté, innocence et fantaisies. loin des drames familiaux et des tracas quotidiens. à son âge, elle devrait regarder l'monde avec naïveté et s'délecter d'tous les parfums fruités, plutôt qu'de s'étouffer dans celui des regrets. tu t'en voulais kemen, de n'pas savoir lui offrir autre chose qu'ça. de n'pas pouvoir l'arracher à ces démons-là, de n'être que l'spectateur impuissant d'sa déchéance. t'écoutes distraitement, attendant qu'les bruissements s'taisent et qu'tu puissent enfin espérer qu'la nuit soit bonne pour elle. pourtant, quelques minutes plus tard, c'est ta porte qu'tu vois céder et l'faible rai d'la lune qui éclaire une partie d'la pièce. tu sais qu'c'est elle. tu sais qu'elle est là parce qu'elle n'y arrive pas. parce qu'elle a peur, parce qu'elle s'sent seule et démunie. redevenant petite fille craintive face aux cauchemars n'lui laissant aucun répit. tu t'tournes, t'relèves juste un peu pour faciliter l'angle d'vue. ça va pia ? ta question est sans doute stérile, mais à cette heure-ci, c'est tout c'que t'as. possédant au moins l'mérite de n'pas la rejeter, tout en lui tendant la main. t'es désolé d'la regarder s'débattre à nouveau, sans trouver la clé pour lui permettre de s'en libérer. t'es pas chasseur d'fantômes kemen, peut-être bien que t'as raté ta vocation finalement.

en cette nuit étoilée, tes pensées s'additionnent et s'chevauchent, composant un maelstrom d'émotions contradictoires qui t'tiennent éveillé. pourtant las d'ces journées qui s'ressemblaient toutes, tu n'quémandais qu'quelques heures de repos. de paix, dans l'ombre d'ta chambre, là où plus personne ne t'demanderait d'intervenir. tu t'donnes un temps pour reprendre ton souffle, tu t'laisses l'fuseau à venir pour t'remettre sur pied. mais comme si la vie s'plaisait à malmener les herrera, c'est la plus jeune du duo fraternel qui apparaît terrorisée. dans l'embrasure d'ta porte, tu l'aperçois grâce au halo d'la lune. tu sais déjà c'qui l'amène, tu sais déjà que l'sommeil la boude. pour elle, toutes les nuits s'ressemblent et ça fait plusieurs années qu'elle vit avec c'poids désagréable. avec l'repos qui n'vient jamais, couplé aux angoisses qui n'la quittent jamais. peut-être qu'les heures à venir vous seront salutaires à tous les deux. peut-être qu'ensemble, vous trouverez d'quoi faire taire les enchevêtrements d'esprit qui vous persécutaient. vous qui n'aviez pas eu une enfance ordinaire. et toi qui t'retrouvais à t'adapter à une jeune vie d'adulte toute aussi bouleversante. t'as la chance d'avoir acquis en maturité et d'avoir hérité d'cette force qui t'aide à tenir debout, à garder l'cap. dès qu'tu devines pia au pas d'ta chambre, tu t'enquiers d'son état. t'as besoin d'savoir comment elle s'sent. si ce n'est qu'une énième nuit qui la torture ou si c'est plus profond qu'ça. t'auras un rôle à jouer kemen, sauf que tu n'sais pas encore lequel. je peux dormir avec toi ? j'arrive pas à dormir. ta réponse est inutile, elle sait qu'tu n'la pousseras pas dehors. elle s'approche déjà d'ton lit dans lequel elle s'glisse. sentir sa présence à tes côtés t'rassure. ça t'permet d'garder un oeil sur elle, d'être l'gardien d'son sommeil. je ne peux pas fermer l'oeil, j'ai peur… désolé de t’embêter encore. tu m'embêtes pas pia. tu veux qu'elle s'sorte cette désagréable idée d'la tête. t'es son frère et tu seras toujours là pour elle. c'est une promesse silencieuse qu'tu as faites à tes parents, à défaut d'avoir pu la leur énoncer oralement. tu sais que d'autres à ta place s'sentiraient envahi, freiné dans leur intimité, obligé d'repousser d'potentielles relations. quand toi, tu n'regardes pas ça avec ses yeux-là. t'as l'intime conviction qu'tu sauras l'gérer l'moment venu, parce que tout est une question d'volonté. tu la laisses prendre ses aises, pour lui donner l'impression d'retrouver un cocon, la paix qui lui manquait. tu avais l'air fatigué aujourd'hui. pas certain qu'elle t'voit dans l'noir régnant d'la chambre, pourtant tu secoues négativement la tête. t'en fais pas. c'est la fin d'la semaine. j'ai tout l'week-end pour m'en remettre. bien sûr qu'il y a la fatigue physique, mais t'essaies d'oublier la fatigue morale. tu t'dis qu'en posant un voile dessus, peut-être qu'elle disparaîtra. à quoi tu penses pia ? la nuit. qu'est-ce qui maintient tes paupières ouvertes ? qu'est-ce qui peuple tes cauchemars ? raconte-moi tes terreurs nocturnes. si j'les absorbe, il s'peut qu'elles t'délaissent un temps.

elle s'invite, comme à chaque fois qu'elle n'dort pas pia. elle pénètre ton antre qui n'trouvera jamais porte close pour elle. empruntant c'chemin qu'elle connaît si bien, elle trouve refuge auprès d'toi. si tu pouvais lui offrir un instant d'paix qui lui permettrait d'se reposer en toute quiétude, tu saisissais l'opportunité kemen. et tant pis si ton propre sommeil en était impacté. et tant pis si tes cernes s'vivifiaient. ta soeur avait toujours été ta priorité. peu importe l'jour, peu importe l'heure. tu t'assiérais sur ton propre bien-être pour voir un sourire décorer son visage d'ange. si jeune, tu as pris sur tes épaules l'poids des responsabilités. ça t'a aidé à murir, à réfléchir plus intensément et à peser l'pour et l'contre de chaque décision importante. t'as grandi plus vite qu'la plupart des jeunes d'ton âge kemen. et ça t'a servi dans tes projets ambitieux, pour ton avenir. depuis, tu n'étais pas peu fier du boulot abattu pour tenir seul les rênes d'ton agence d'événementiel. ce titre d'rêve qui t'aidait à les maintenir à flot, les deux femmes d'ta vie. alors qu'elle s'emmitoufle dans la chaleur d'tes draps, tu l'écoutes à nouveau s'excuser de t'importuner autant. tu me dis ça à chaque fois. ça t'amuse qu'elle puisse en être surprise. et ça t'étonne ? interrogation presque stupide qu'tu glisses dans un léger rire. s'il faut qu'tu sois là pour dormir au moins quelques heures, je m'incline. si ma simple présence t'aide à t'apaiser, j'serais fou de n'pas te l'autoriser. tu n'peux pas lui en vouloir. elle a fait face à des évènements traumatisants avant même d'atteindre la vingtaine. son équilibre précaire en a été bousculé et elle n'a trouvé personne pour lui saisir la main in extremis, et  l'aider à remonter. tu n'avais qu'ta force adolescente pour l'aider à s'débattre et ta volonté la plus criarde n'avait pas suffit à anesthésier ses blessures psychologiques. pourtant bien loin d'rester centrée sur ses propres peurs, elle s'intéresse à ton ressenti. remarquant presque trop aisément la fatigue qui t'gagnait dernièrement. tu balaies d'un revers de manche, et tu nies en bloc la véracité des faits, par souci de n'pas lui rajouter une inquiétude supplémentaire. c'était à toi d'veiller sur elle, pas l'inverse. on a vraiment l'air fin tous les deux à être autant fatigué. c'est la vie qui veut ça. elle nous pompe toute notre énergie. tu dis dans un bâillement qu'tu peines à contenir. et alors que l'silence s'installe quelques minutes, tu reprends les questionnements. tu n'sembles pas enclin à t'endormir dans les minutes à venir kemen, ce pourquoi tu t'penches sur c'qui pouvait tenir pia en éveil. s'il existait un moyen pour qu'cessent enfin ses déboires nocturnes, tu voulais l'trouver. à tout, à notre vie, à la mort des parents, ce que notre vie aurait pu être… je pense aussi à ce que sera demain, à mes études, ma carrière. intérieurement, tu soupires d'la voir s'parasiter l'esprit avec d'tels sujets. quand elle devrait n'être qu'insouciance et légèreté. et qu'est-ce que tu vois ? l'bout du tunnel ? qu'ça va s'arranger ? qu'on va s'en sortir ? ou qu'on coulera à pic sans aucune chance d'en revenir ?

c'est presque sur la pointe des pieds qu'elle s'glisse entre tes murs pia, avant d'pénétrer tes draps. s'faisant plume délicate, elle s'pare d'une discrétion qui n'la quitte que rarement pour t'rejoindre. elle ne s'veut pas intrusive, s'reprochant même de t'importuner dans ta pièce attitrée. sans comprendre qu'elle n'faisait jamais ombre à ta vie. s'il était un fait avéré qu'celles-ci peuplaient son existence, pour toi elle n'était qu'soleil chaque jour passant. diffusant une envie d'être plus que communicative. peut-être qu'elle ne l'sait pas pia, qu'elle ne s'en rend pas compte, mais elle est l'un d'tes piliers depuis des années. l'une des raisons qui t'ait toujours poussé à t'dépasser, à déplacer des montagnes. tant son sourire était ton bien l'plus précieux. tu le lui répètes sans discontinuer, attendant l'jour où elle n'sera plus en mesure de s'poser c'genre de questions. plus rien ne m'étonne. satisfait d'cette réponse, tu hoches simplement la tête. je ne peux pas me permettre d'être celle qui prend ta place dans ton lit. je dois me débrouiller seule, je doute que ta future copine apprécie ma présence entre vous. le sujet revenant presque aussitôt sur l'tapis, tu soupires. alors c'est l'bon plan vu que je n'ai pas d'copine. rien d'officiel, rien qu'tu n'nommes comme tel et rien qui ne t'donne envie d'sauter l'pas. ton célibat t'convient bien kemen, toi qui n'étais pas homme à enchaîner les conquêtes pour rassurer un égo en berne. tu gardes en toi l'intime conviction que l'moment viendrait à l'instant t, quand toutes les étoiles seraient alignées. est-ce que c'est d'la curiosité ou une façon d'me dire que toi, tu vois quelqu'un ? tes lèvres s'esquissent malicieusement, quand tu tentes d'la prendre à son propre piège. ayant elle-même mené votre échange dans cette direction, tu la pousses à répondre à tes quelques interrogations restées muettes jusqu'à aujourd'hui. c'est ton corps qui tire la sonnette d'alarme, quand les bâillements intempestifs s'manifestent. ton dynamisme naturel s'envole et réclame l'repos du guerrier. elle pompe notre air, mais j'imagine qu'on n'est pas les plus à plaindre. tu hausses les épaules, autant qu'faire se peut, avant d'reprendre. on est là tous les deux. c'est pas l'plus important ? te concernant, c'était bien la seule vérité qui méritait d'être soulignée. sans doute qu'les épreuves traversées t'avaient appris à relativiser et à t'satisfaire des petites choses. puisqu'il n'y avait pas d'petits bonheurs ou d'petites joies. et t'as envie d'savoir c'qui rythme les nuits de pia. c'qui la tient éveillée sans discontinuer, c'qui la fait trembler et s'réveiller en sursaut. trop de chose qui semble me plaire, mais je doute que ça soit réaliste. ça, c'est à toi d'le décider. rien n'est impossible, pour peu qu'tu l'veuilles suffisamment. déterminé depuis toujours, tu t'étais donné les moyens d'accéder à c'dont tu rêvais. tu voulais qu'il en soit d'même pour ta jeune soeur. j'espère toujours que les choses vont s'arranger pour moi et qu'on sera pleinement heureux. tu saisis douloureusement à travers ses mots qu'il lui manque un truc. qu'elle n'maîtrise pas totalement l'bonheur auquel elle a droit. et ça t'blesse de n'pas pouvoir lui offrir ça. qu'est-ce qui t'rendrait véritablement heureuse pia ? que voudrais-tu que je n'puisse t'offrir ?