Cartes sur table. (Opale #2)

L’âme morose, le cœur un peu vide, l’esprit ailleurs, ses pas la guident vers Ella. Presque machinalement, presque sans le réaliser. Parce qu’elle sait qu’avec elle les soucis s’envolent. Ou du moins, ils sont partagés. Elle est cette épaule infaillible qui ne cesse de la surprendre, jour après jour. Qui ne cesse de s’imposer telle la meilleure amie qu’elle est à ses yeux. Tu réalises, de plus en plus, que dans les pires moments, t’as besoin d’être entourée, Opale. Que dans les pires moments, aucune beuverie, aucune drogue, ne parvient à combler le manque d’amour qui s’est installé dans ta vie, il y a des années de cela. Et au fond, elle est très peu entourée, trop peu entourée. Il y a Ella, il y a Aquila, sur qui elle peut toujours compter. Puis il y a les quelques autres âmes qui gravitent autour d’elle. Qui tentent de lui tendre la main, parfois, comme Amour, comme Zekia, comme Euphrasie. Et ce visage, qui se dévoile, alors qu’elle pense tomber sur Ella. Thomas. C’est bien Thomas, dans cet appartement. C’est bien son souvenir, de celui qu’elle prenait pour le prince charmant. C’est bien son souvenir, et l’absence de mots, l’absence de paroles, depuis ce baiser échangé entre eux. Thomas, salut. Faible sourire, un brin gêné parce qu’il n’y a plus de lien, entre eux. Parce qu’il n’y a même plus ce semblant d’amitié. Tu ne devrais pourtant pas être surprise, Opale, parce que tu sais qu’il vit chez Ella. Tu sais qu’autrefois, elle aussi, il l’avait embrassé. Heu, oui… Je veux bien, merci. Un regard lancé sur le vide de l’appartement, alors que bien vite, elle reprend. Ella n’est pas là ? Ce que c’est étrange, de vous retrouver ici, tous les deux, après l’absence. Après le silence. Et t’es peut-être pas dans le meilleur des états pour te confronter à lui, Opale. T’es peut-être pas dans le meilleur des états pour t’attarder sur une histoire bien vite avortée.

(c) calaveras.

La gêne est palpable, présente des deux côtés, installée comme une épine difficile à arracher. La gêne la gagne, comme cela arrive trop peu de fois. Comme cela survient trop peu de fois. Elle n’est pas de ce genre-là, Opale, elle vogue de lits en lits, effleurent les lèvres des uns et des autres, en recherche constante des plaisirs de la chair à défaut de pouvoir trouver un amour comblé. Thomas, lui, il est différent. Différent parce qu’il était l’un de ses amis, parce qu’il était doux, parce qu’il était prévenant et cette relation a basculé un peu trop vite, beaucoup trop vite, sans qu’elle ne puisse l’anticiper. T’es pourtant surprise, de l’entendre subitement s’excuser, parce que ce n’est pas ce que tu attendais, ce n’est pas ce que tu demandais, Opale. Tu sais, pertinemment, qu’il n’a jamais voulu te blesser. Qu’il n’a jamais cherché à te faire du mal. Il s’est juste laissé emporter, juste laissé entraîner, par les émotions, par le moment, par la vie. Par l’instant qu’ils partageaient, à deux. Par une Opale prête à lui confier sa vie, son existence toute entière, tant elle avait besoin de lui. Thomas, je ne t’en veux pas, tu sais. Elle ne lui en voulait pas, jamais, parce qu’elle a vécu bien pire, Opale. Parce qu’après avoir traversé l’enfer, Thomas a plutôt un goût de douceur, un écho de tendresse. C’est simplement que… Je savais que ce n’était pas sérieux de ton côté. Et je ne voulais pas gâcher une amitié pour quelque chose qui ne l’était pas. T’as compris ce qu’il ressentait, Opale. Qu’il cherchait simplement un petit peu d’aventure, à se laisser aller. Comme toi, d’ordinaire. Mais pas ce soir-là. Pas avec lui. Ce n’était pas contre toi. J’avais juste peur d’avoir des regrets et que tu puisses en avoir, toi aussi. Et c’est une Opale sage, bien différente d’ordinaire, qui prend le pas, cette fois. Étonnant, lorsqu’elle n’est même pas certaine d’être dans le meilleur des états pour une telle conversation.

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Les mots sortent difficilement, les explications semblent douteuses, peut-être parce qu’elle ne s’est jamais retrouvée dans une telle situation. Peut-être parce qu’au-delà de la gêne, elle n’est pas habituée à ressentir une attirance envers un ami. Qu’elle vienne d’un côté ou de l’autre. Et face à lui, le brouillard s’installe, la situation est beaucoup plus trouble. Tu sens bien qu’il est aussi mal à l’aise que toi, Opale. Et pour cause, l’erreur est sienne. L’envie était trop forte de son côté, trop forte pour pouvoir y résister. La gymnaste a pourtant cette désagréable sensation d’être incomprise, de ne pas savoir comment retranscrire ce qu’elle ressent, au plus profond de son cœur. Peut-être qu’elle devrait s’en aller, peut-être qu’elle devrait abandonner, ne pas chercher à régler cette situation. Mais elle tient à lui, un peu. Il compte pour elle, un peu. Et trop peu de personnes comptent pour se permettre d’en perdre. Tu ne comprends pas, Thomas… Elle secoue la tête négativement, ne voulant pas le brusquer, ne voulant pas se taire non plus. Je savais que tu voulais juste une histoire d’une nuit. Pas une histoire sérieuse. Et je ne voulais pas gâcher cette amitié pour une seule fois. Pour une coucherie, pour une attirance, un instant torride. Puis t’étais pas au mieux de ta forme, Opale. T’étais pas prête à te contenter du plaisir charnel. je ne dis pas que ton amitié n'est pas sincère, mais je sais que l’attirance n’aurait pu mener nulle part ailleurs… Elle croyait en lui, croyait en l’épaule qu’il proposait, en ce regard protecteur qui glissait sur elle. Elle croyait en l’innocence de cet instant, en la promesse de quelque chose de puissant. Et pas une simple aventure. Pas de si jolis mots réduits à une simple aventure. A quelque chose de pauvre, de sombre, de triste.

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Elle l’observe, le voit, mal à l’aise, attristé par la situation. Et elle réalise que, peut-être, elle s’est trompée. Réalise qu’elle n’aurait peut-être pas dû se braquer. Mais elle était faible, mais elle se sentait seule, et la vérité, c’est qu’elle a appris, après. Appris que thomas avait joué le même jeu avec ella. Qu’il l’avait embrassé, elle aussi, comme s’il ne savait faire que cela. et t’as coupé les points, machinalement, refusant de jouer à ce petit jeu avec lui. Refusant d’être une de plus sur le tableau de chasse de quelqu’un que tu considérais comme un ami. peut-être qu’aucun d’eux ne sait si prendre. Peut-être qu’aucun d’eux ne sait comment se comporter avec l’autre, au fond. Elle n’est pas en tort, la gymnaste, mais elle n’a pas arrangé les choses, elle n’a pas non plus chercher à avoir une explication avec lui. c’est vrai. Tu as raison. Je ne savais pas ce que tu voulais, je n’aurai pas dû me braquer. elle marque une pause, un bref temps d’arrêt. mais je sais aussi que t’as embrassé ella. Alors c’était quoi l’idée ? t’as peur qu’il se foute de toi, tout simplement, opale. et la confiance s’évapore, la confiance disparaît, alors qu’il était la personne parfaite pour l’aider.
L’aider. Ce qu’il propose encore, malgré tout, venant déposer cette douce main sur la sienne. Que dire, que répondre, elle est perdue, désorientée, dans un grand moment de vulnérabilité. parce que ta santé mentale n’est pas au mieux, parce que tu te sens en permanence triste et fatiguée, parce que t’as juste envie de t’effacer, tout simplement. pourquoi tu veux m’aider… ? qu’elle demande, la voix plus douce, le ton plus sobre, comme un pas en avant.

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Les mots sonnent comme une évidence, il est perdu, thomas. Il est mal dans sa peau, thomas. Et en cherchant son affection, comme il a cherché celle d’ella, c’était lui-même, qu’il cherchait à rassurer. Sans espérer blesser les deux femmes, aussi bien l’une que l’autre. Le parfait chaos, résultat de deux âmes blessées, de deux âmes déchirées, qui se sont rencontrées pour se faire bien plus de mal encore. il n’était certainement pas la bonne personne pour t’aider, opale. Et t’étais pas la bonne pour le rassurer. Vous vous êtes ratés, loupés, dans le tourbillon de la vie qui écrase les carcasses comme les votre. la véritable souffrance, elle est là. Enfouie en chacun d’entre eux. Différente, car à celle d’opale s’ajoute la maladie mentale. Quelque chose que le brun, lui, ne connaitra jamais. Différente, car celle d’opale ne peut être soignée, elle ne peut qu’être contrôlé. comme un animal mis en cage, enfermé pour protéger les autres. Ou, pour se protéger lui-même. Parce que c’est envers toi-même, que t’es la plus dangereuse, opale. C’est à toi, que tu risque de faire le plus de mal. dans un souffle incontrôlé, main venant se poser contre la sienne, la gymnaste reprend la parole, faiblement mais avec sincérité. je te crois. elle le croit, parce qu’il est bien trop à la ramasse pour chercher à la manipuler. Parce qu’il est déjà bien trop faible lui-même pour vouloir la briser.
Si tant est qu’elle soit encore debout, qu’elle ne soit pas déjà complètement à terre, effondrée par le poids du monde. t’es coincée dans ce cercle sans fin, opale. Incapable de lui expliquer le malheur qu’est le tien. Incapable de justifier ce que tu n’as jamais su exprimer. c’est différent, thomas… tu… tu ne peux pas comprendre. parce qu’elle refuse de le lui dire. moi, je n’ai pas juste à chercher un travail légal, ou un appartement. Le mal est en moi. sa source de rémunération, c’est la gymnastique, c’est sa passion. Son logement est le même depuis longtemps. La vérité, c’est qu’elle se débrouille, opale. Comme elle s’est toujours débrouillée, mais que la douleur, elle réside en son esprit, en son cœur.  

(c) calaveras.