fix you. (opale)

traits de caractère / Une vie au rythme de la folie. Sa folie. maniaco-dépressive, elle alterne joie et peine, bonheur et désespoir, voile multicolore tâché de noir. ambivalente, elle est ce qu’il y a de plus beau dans le meilleur. expansive et indulgente, douceur parfaite. Douceur apparente. Apparente seulement, parce qu’elle est ce qu’il y a de plus sombre dans le pire. Lorsque l’expansivité se transforme en excessivité, lorsque la l’indulgence se transforme en venin. méchante, rancunière, qu’elle peut-être, lorsqu’elle est dans un mauvais jour. destructrice, envers elle, envers les autres. Elle ne sait que survivre, opale, survivante tout au long de sa vie. débrouillarde, habituée à ne compter sur personne d’autre qu’elle-même. Elle ne se donne qu’à moitié, n’ose pas se dévoiler, de peur d’être rejetée. de peur de ne pas être acceptée telle qu’elle est. Peur qu’elle cache avec son joli minois, avec un jeu de séduction derrière elle lequel elle se protège. Le cœur fragile, l’âme brisée par la vie. par ce virus qui vit en elle. par l'orpheline qu'elle sera toujours.

Les cris, les pleurs. Et le lendemain, l’euphorie. L’impression de basculer, toujours un peu plus dans la folie. Mais elle ne réalise pas, Opale. Elle a seize ans et il y a ce diagnostic qu’elle ne comprend pas. Ce diagnostic qu’elle ne veut pas entendre. Maniaco-dépressive, c’est ce qu’ils disent, les médecins. Elle n’est plus qualifiée que par cette pathologie qui ronge son âme. Pathologie qu’elle renie, préférant penser qu’elle est simplement entière. Simplement expansive. Préférant se convaincre qu’elle est normale, comme toutes les autres filles de son âge. Que rien ne viendra perturber le cours de sa vie. Elle a lutté, contre ses parents, contre son frère, contre les médecins. Elle a lutté, pour ne jamais avoir à prendre ce traitement. Celui censé calmer ses états. Celui censé la protéger d’elle-même. Mais elle ne veut pas être brimée, elle ne veut pas être enchaînée. C’est ce qu’elle hurle, lorsqu’elle s’enfuit le 4 février 2012. C’est ce qu’elle hurle, en pleine crise, à ses parents qu’elle voit alors pour la dernière fois. Dernière fois. Tout est encore intact, dans son esprit. Tout est encore intact, les murs, les lumières, les rires, les sourires, les éclats de voix. Tout est encore intact, dans son esprit. Dans son esprit seulement. Parce que lorsqu’elle se retrouve devant chez elle, quelques heures plus tard, il n’y a plus rien. Plus rien sauf de la fumée. Plus rien sauf des cendres. Plus rien sauf des flammes. Flammes qui emportent son foyer. Flammes qui emportent sa famille. Et elle, seule survivante. Victime d’être orpheline. Coupable de s’être enfuie. De ne pas s’être envolée avec eux. A cause de cette crise. Foutue crise. Et une vie gâchée. A jamais.


Seule. Elle se retrouve seule, à la mort de ses parents. A la mort de son frère. Parce qu’elle n’a toujours eu qu’eux, Opale. Personne d’autre qu’eux. Elle se retrouve à écumer les familles d’accueil les plus instables, les foyers les plus salaces, menant une toute autre vie. Sale. Elle ne reste jamais longtemps, où qu’elle passe, parce qu’elle est beaucoup trop ingérable sans son traitement. En proie au flot d’émotions, aux multitudes de sentiments, à la violence, au désespoir. Et ce putain d’instinct de survie, qui la maintient en vie. Instinct qui ne tient qu’à un fil. Un seul. Elle se débat contre la vie, elle se débat contre le monde, s’en sort comme elle peut. Son visage cri douceur, son âme cri noirceur. Ce qu’elle veut, c’est la gymnastique. Seule passion, seule ambition. C’est pourtant derrière sa webcam qu’elle se déshabille pour gagner un peu d’argent. Elle gagne l’indépendance. Elle se libère de ses chaînes. Elle est libre, derrière cet écran. Elle se perd, elle se brûle, mais elle est libre. Ne dépendant de rien ni personne d’autre que d’elle-même. Ses études sont payées, à sa majorité, grâce à son activité de camgirl, jusqu’à l’obtention d’une bourse qui lui permet de pratiquer. De se surpasser. De s’envoler. De combler le trou béant qui trône à la place où se trouvait son cœur.


Son esprit s’évade, parfois. Son esprit divague, rêvant de mieux, rêvant d’ailleurs. Se rappelant simplement les bons moments, les bons souvenirs et tout ce qu’elle a perdu. Parce qu’elle se sent bousillée, Opale. Liquéfiée de l’intérieur. Et elle se perd dans les méandres de sa maladie, flirtant parfois avec les pires démons. Dansant avec les entités les plus malveillantes. Fréquentant les lieux les plus insalubres, lorsqu’elle est dans une mauvaise phase. Et c’est ce qu’elle a fait, le soir où elle a été agressée. Le soir où elle s’est retrouvée presque morte, sur le béton du Queens. Une nuit où tout bascule, une fois de plus. Une nuit durant laquelle la beauté du cygne se transforme en noirceur du corbeau. Parce qu’elle est abîmée, une fois de plus, Opale, l’agression ayant provoqué une perte partielle de mémoire. Une fois de plus, une fois de trop. Malédiction, bénédiction. La frontière est mince. Entre la souffrance provoquée et la chance de ne plus se rappeler. De ne plus se souvenir, d’à quel point sa vie est maudite.