C’est la première fois, la première fois qu’il se confie à elle, la première fois qu’il lui parle à cœur ouvert, la première fois qu’il fait un pas aussi grand vers elle,
alors, peut-être, il est temps qu’elle essaie elle aussi de le faire.
Elle l’a écouté, elle l’a conseillé, elle a tenté de l’aider ; autant qu’elle le pouvait. Elle a tout fait, continuerait de tout faire, pour cet homme qu’elle a tant aimé. Mais, en contrepartie, il est si rare qu’elle donne l’occasion, à lui comme à n’importe quel homme, de lui rendre la pareille. Comme s’il y avait entre elle et eux cette barrière, invisible mais bien réelle. Elle n’a toujours dû compter que sur elle-même, certainement aussi qu’elle a eu l’appui de son grand frère. Mais tous les autres, tous les hommes, ils vont et viennent dans sa vie sans jamais rester. Peut-être parce qu’ils ne lui sont pas destinés, peut-être parce qu’ils ne sont pas suffisamment attachés. Mais, peut-être aussi, parce qu’elle finit toujours par les rejeter. Incapable de t’engager dans une relation sur la durée, Cassey, t’as le cœur trop brisé. La peur annihilante, aussi, de finir bousillée. Tuée par les ravages sentimentaux que tu n’as jamais su contrôler. C’est tellement plus facile… de t’échapper. Fuir, loin, le plus loin possible, loin de l’amour et ses dérives.
C’est ce qu’elle a commencé à faire quand il est parti, ce qu’elle a toujours fait depuis lui, plus encore avec lui.
Des mois qu’ils se courent après, qu’ils se cherchent l’un l’autre, incapables de s’éviter. Incapables de s’oublier. Peut-être les effluves d’un amour passé, peut-être les cendres qui recommencent à brûler. Elle ne sait pas, Cassey, ce qu’elle peut attendre de cet amour calciné. Tout ce dont elle a conscience, ce sont toutes ces craintes qui l’habitent, toutes ces peurs irrésistibles. Elle lui confie tout, à Owen, elle lui dit tout. Pas un détail épargné, de toutes les angoisses, des plus avérées à celles insoupçonnées. Elle lui dit tout jusqu’à se sentir vidée. Tu ne savais même pas, que tu avais tout ça en toi. Tu ne savais pas, Cassey, ou tu refusais de le voir. Le déni comme seule arme, le sourire pour mieux te battre, t’as jamais voulu rien voir. Elle dit tout, le papillon aux ailes blessées, elle dit tout jusqu’à finir par se taire, vidée ; comme épuisée. Les opales bleutées posées sur son ex, elle l’écoute à son tour sans parler. Tout ce qu’il commence à confier, elle le sait déjà. Mais cela n’enlève pas le mal. Cela n’efface pas la peur éprouvée, de se laisser à nouveau envoûter. – Oui… je sais, tout ça… elle laisse échapper, la voix légèrement fanée. Le silence retrouvé, c’est Owen qui le fait éclater, pour lui avouer des sentiments bien moins soupçonnés. Tu le savais, Cassey, au fond de toi. Tu fermais seulement les paupières pour ne pas le voir. Ne pas te confronter à cet amour, celui que tu t’es toujours sentie incapable de donner à ton tour. Elle le savait, peut-être, mais elle ne s’attendait pas à entendre la proposition à peine dévoilée de son premier amour. Recommencer, avec lui, se donner une autre chance, avec lui. Les mots vont trop vite, bien plus que son esprit, plus encore que son cœur obscurci. Elle ignore si elle est capable d’aller aussi loin avec un homme… surtout, avec lui. Elle ignore, même, si elle en a l’envie. Une parcelle d’elle, toujours attachée à lui, ne rêve que de se blottir dans ses bras et sauter enfin le pas. Mais une autre, plus hésitante, n’ose pas avancer sur un chemin qu’elle devine sinueux. Les azurs bouleversés, elle le contemple, silencieuse. Sa main délicate finit par approcher la joue du pompier pour la caresser. Lentement, sans un bruit, elle se contente de l’observer. Scruter chacun de ses traits avec une douceur qu’elle n’essaie pas de cacher. Les prunelles attendries dévorent ses iris, encore quelques secondes au goût d’éternité. – Tu ne crois pas que ce serait… dingue ? elle demande, la voix fébrile, un petit sourire sur le bord des lippes. Et d’ajouter ensuite. – Je ne sais même plus ce que c’est, « être en couple » avec quelqu’un et… je ne crois pas que tu le saches mieux que moi. ses prunelles se veulent espiègles, mais elle se mordille nerveusement la lèvre. – Ce que je sais… c’est que tu comptes terriblement pour moi. Je n’ai surtout pas envie de te perdre une nouvelle fois. Je suppose que c’est pour ça que… depuis que t’es revenu, on est dans cet entre-deux étrange tous les deux. C’est peut-être précisément pour cette raison qu’elle a gardé ses distances. Paradoxale Cassey, elle est contradictoire dans ses actions et dans ses sentiments. Mais elle a seulement peur de mal faire, peur de le perdre
Le cœur nébuleux commence à doucement s’éclairer. Les sentiments vaporeux, voilés dans une brume deviennent plus éthérés. Comme s’ils sortaient de ce brouillard ouaté dans lequel elle se complaisait. Parce que c’est vrai, Cassey, il y a ce fragment d’elle qui refusait de voir la vérité. Elle refusait, elle, de poser sur ses iris sur cette réalité qu’elle n’a jamais su fuir. Elle l’aimait, Owen ; elle l’aime, Owen. Peut-être que cet amour est voué à être éternel. Il est le premier, le seul qui n’ait jamais vraiment compté. C’était naïf de croire à cette amitié édulcorée. Les émotions vacillent, le palpitant s’accélère et , à la fois, ralentit, dans cette danse irréfrénée.
Valse sentimentale à laquelle tu ne sais plus échapper, lentement, tu te laisses embarquer, dans ce tourbillon au goût d’éternité.
Il y a les doutes et les incertitudes, il y a les peurs et les rancœurs ; mais, plus que tout, il y a cette flamme qui n’a jamais cessé de brûler dans son cœur. Les azurs rivés sur le seul être dont elle n’est jamais tombée amoureuse, le papillon pose ses ailes, pour mieux l’écouter. Pour la première fois, il est prêt à l’écouter ; pour la première fois, elle est prête à lui parler. Elle laisse échapper toutes les émotions inavoués, tout ce flot de pensées qu’elle n’a jamais su formuler. La crainte, d’abord, de se lancer dans une telle aventure avec lui, s’effrite timidement devant ses dires, puis disparaît derrière son sourire. – C’est vrai… elle lui concède facilement. Ils ont vécu tant de choses, partagé tant d’autres. Ils sont prêts à tout l’un pour l’autre. Peut-être qu’ils s’aiment déjà, beaucoup trop, pour agir d’une manière différente. Peut-être que c’est plus facile d’agir que de parler ; prouver l’amour plutôt que de ne l’avouer. Mais les frayeurs de la princesse sont multiples, et paraissent fatalement indélébiles. Il lui expose l’authenticité de leur relation passée mais Cassey, elle redoute de ne plus y arriver. Elle n’est plus l’adolescente totalement éprise qu’il a laissé s’échapper. Elle est téméraire et libérée, impossible à attacher ; impossible à retenir, trop submergée par cette soif de vivre. Elle ne sait pas si elle saura le rendre heureux, ni même, si elle pourrait, elle, être heureuse, dans une vie trop tranquille. Dans un couple comme elle n’a plus connu depuis qu’il est parti. – Mais nous étions des ados… moi, j’avais une vie d’ado. Tu étais le centre de mon monde et aujourd’hui… j’en ai construit un autre, tu comprends ? elle tend à s’expliquer, peut-être avec maladresse. Elle ne veut pas refuser cette idée… car elle lui est beaucoup trop attachée, pour ne pas l’envisager. Mais la peur lui taraude le cœur autant que l’esprit.
Mais peut-être que vous pourriez réapprendre, toi, et lui, comme avant, ensemble.
Elle serait naïve de prétendre qu’elle n’y a jamais songé. Au fond de son lit, toutes ces nuits d’insomnie, elle n’a jamais arrêté. Une parcelle d’elle, même minime parfois, n’a jamais cessé de croire qu’il est l’homme de sa vie. Qu’elle n’en aimera aucun autre comme lui. C’est précisément cette idée-là, plus que tout le reste, qui la terrorise. Peut-être qu’elle devrait seulement se lancer, elle, que l’on qualifie si souvent de téméraire ; elle, qui se laisse porter par ses envies les plus dingues ; elle qui ne laisse jamais la peur freiner le moindre des désirs qu’elle peut éprouver. Peut-être qu’elle devrait seulement s’y risquer, une fois, juste pour voir. Elle a le cœur qui brûle, Cassey, à chaque mot qu’il lui avoue. Comme une déclaration qu’elle attendait depuis longtemps, comme une vérité qu’elle redoutait et espérait en même temps. La main délicate de la nymphe vient se poser contre celle de son ex, ses océans toujours noyés dans les siens. Les pupilles brillent, d’émotions infinies, alors qu’elle reste dans un silence presque solennel. Finalement, ce n’est pas par la parole que ses lèvres décident de réagir. D’un mouvement à peine perceptible, elle approche sa tête de lui, pour poser sur ses lèvres un baiser imprévisible.
Tu l’embrasses, tendrement, tu l’embrasses, passionnément, tu l’embrasses, comme une seconde chance.
Happée par la douceur de ses lèvres, elle se laisse enivrer, dans ce baiser enflammé. Les paupières closes, le cœur à l’arrêt. Elle ralentit seulement une fois que le souffle vient à lui manquer. Les lippes reculées, le minois toujours aussi près, elle sent encore les effluves de ses lèvres la captiver. – Tu as toujours été l’amour de ma vie aussi. elle glisse sa main libre contre la joue d’Owen, dans une brève, presque trop frêle caresse. – Laisse-moi… y réfléchir… juste quelques jours. elle lui demande comme une faveur. Parce qu’elle a trop peur, de faire une erreur. Parce qu’elle veut faire les choses comme elles le méritent, pour la première fois de sa vie. Parce que si elle se remet avec lui, Cassey, elle veut le faire pour la vie.