celui qui méprise (tybalt)

traits de caractère / Oh tybalt, le mensonge au bord des lèvres. T’es prisonnier d’une sempiternelle commedia del arte, une multitude de masques pour la variété de tes objectifs. Gamin silencieux bien qu’observateur, t’as rapidement déchiffré les attentes des adultes qui t’entouraient. Sourire enjôleur, prunelles brillantes d’innocence et assentiment constant les menaient à t’offrir tout ce que tu désirais. Tu découvres les échecs, très jeune et tu piges, tu piges rapidement que c’est une métaphore de l’existence humaine. Tu as un panel diversifié de pions que tu peux avancer au gré de tes desseins, ce que tu fais, pour le plaisir de l’expérimentation. La garce a scandé manipulateur et calculateur, l’hilarité a pris racine à la commissure de tes lèvres, risible stupidité que tu balaies d’un revers de la main. T’es en aucun cas responsable de la fragilité et la bêtise humaine, toi, tu les considères comme des hamsters courant sur leur roule et parfois tu ouvres la cage pour voir ce dont ils sont capables avant d’asseoir ta supériorité évidente. Homme droit et raisonnable proclament tes parents, fierté du couple dont le statut de préféré n’est plus à démontrer. A leur contact, tu te surprends même parfois à le croire, le rideau abaissé sur ces ténèbres qui grondent, font trembler ton être tout entier, prêtes à se déverser avec la ferveur d’un tsunami. L’ignorance familiale est réconfortante, derniers rayons d’innocence peinant à passer outre la surface calme qui dissimule la face cachée de l’iceberg. Confiance infime en ses semblables, t’as réalisé assez de coups bas pour savoir que le moindre signe de faiblesse précipiterait ta chute. Et l’échec est proscrit, c’est comme ça qu’on est éduqués chez les Fletcher, réussir et c’est tout. Seule option envisageable, et l’aisance que t’as manifestée jusqu’à présent fortifie ton exaspérante arrogance. On croit que le vide résonne dans la cage thoracique, fable d’un potentiel objet moteur qui te remplit de passion brulante et dévastatrice lorsque convoqué. Possessivité et jalousie destructrices, exaltation suprême lorsqu’un champs de ruine te précède.

« Nous sommes réunis ici pour célébrer l’existence du jeune Alexander Thompson » silencieux à l'image de l'assistance, ton attention se porte sur le cercueil immaculé, prêt à être mis en terre. L’affliction marque les traits, provoque des sanglots étouffés par des reniflements. Et toi, tu observes, fasciné par ce phénomène qui t’es étranger. Le prêtre s’épanche sur le vide que va créer cette disparition, le gamin de seize ans que t’es, désapprouve en sourdine. Chez la famille, peut-être mais la terre continuera de tourner, le temps fera son œuvre et votre classe avancera, on murmure l’idée de vous éviter les examens de fin d’année. Le suicide d’un camarade est une lacération béante qu’il faut soigner à coup d’antiseptique psychologique. On va d’ailleurs te retrouver deux jours plus tard assis dans le bureau de la psychologue scolaire, une tasse de chocolat chaud dans les mains, elle aime à ce que les gens se sentent à l’aise t’avait-elle fait savoir en t’imposant un choix qui n’en était pas un. Le silence pénètre l’espace, s’installe comme le monarque qu’il est dans ton univers. Tes prunelles balaient la pièce, évaluent la décoration un peu trop personnelle à ton goût. Des photos de famille, des dessins d’une exécution médiocres occupent les murs d’un beige étrangement chaud. Des bouquins rangés par noms d’auteur, tu te fais en remarque avant que ton attention ne soit rappelée à l’instant présent. « Alors, dis-moi comment tu te sens ? » la voix nasillarde de la psychologue vient irriter tes tympans et tu souhaites plus que jamais retourner à tes occupations. « Ça va » ta voix se fait basse pour la forme, mais tu te sens bien, après tout ce n’est pas toi qu’on a enterré quelques jours plus tôt. Tu sens qu’elle te scrute, qu’elle t’étudie, en quête de failles. « Suite à la mort d’Alexander, je rencontre tous ses camarades… » elle se lance dans un discours que tu connais désormais par cœur pour l’avoir entendu depuis l’annonce du décès et cela perd immédiatement tout intérêt, un vomi continuel de paroles doucereuses qui se heurtent à ton indifférence sourde. T’as du mal à comprendre le tapage autour de cette affaire, un gamin décide de se foutre en l’air et tu te retrouves condamné à respirer le parfum bon marché de cette grande consommatrice de burgers. Tout comme t’as du mal à comprendre tous ces élèves qui se disent traumatisés alors que beaucoup récompensait le défunt par leur apathie. L’hypocrisie humaine voulait que l’importance soit offerte une fois six pieds sous terre.

« Non, je ne le connaissais pas très bien » tu réponds au bout de moment, remarquant qu’elle attendait quelque chose de ta part. tes lèvres dégobillent des mensonges avec une assurance déconcertante. Oh que oui, tu le connaissais. Ça commencé par des mots échangés, sa fragilité t’a charmé, captivé et ta curiosité a pris le pas. T’as voulu connaitre la profondeur de ses fêlures. Le premier acte s’est ouvert avec douceur, des mots réconfortants pour des suggestions pernicieuses. L’illusion d’un lien qui se tisse, la douce caresse devient une étreinte brutale, fougueuse, funeste. Puis, les pieds qui se dérobent dans le vide et le corps qui s’écrase sur le macadam dans un concert d’os brisés, la cervelle, elle, s’éparpille sur le trottoir, lui offrant une jolie parure pourpre. « On ne fréquentait pas les mêmes cercles, vous savez ce que c’est » tu ajoutes, avec l’air préoccupé qui correspondait à la situation. Élitisme dissimulé, tu sélectionnes soigneusement ton cercle proche bien que cette expérience t’intime à ouvrir plus encore ton champ de possibilité, pour les frissons qu’engendrent les failles des autres « C’est tellement…inattendu. J’aurais jamais pensé que ça arriverait à quelqu’un de ma classe » tu secoues la tête « je crois que personne aurait pu le voir venir » elle acquiesce doucement et se risque d’ailleurs à poser une main qui se veut consolatrice sur ton épaule. Elle comprend, le suicide de quelqu’un qu’on croise chaque jour peut créer un vide insoupçonné et on se sent coupable de n’avoir rien vu. Faux. La culpabilité ne t’a jamais effleurée, l’annonce t’a laissé un sentiment de stupeur éphémère. De brèves secondes pour constater qu’il l’avait fait, enfin. Des mois à ruminer un mal-être lancinant, il était finalement passé à l’action. Ça te remplissait de fierté à certains égards, l’indécis était parvenu à faire un choix.

Les chimères d’antan se dissipent lorsque ton réveil manifeste son existence, ta ramenant à la réalité de ta vie d’adulte. Un bail que t’as pas rêvé du passé, le contrecoup de ton retour en ville sans aucun doute. Une composition de Beethoven accompagne tes pas jusqu’à la salle de bain. Tu passeras une vingtaine de minutes à choisir soigneusement ta tenue, un repas en famille méritait une telle attention, tu sais ta mère sensible à cela. Satisfait de ton reflet, tu te mets en route, cadeaux en mains. Comme à l’accoutumée, tu es accueilli avec les honneurs d’un héros de guerre, le fils prodigue revient enfin en ville. Tu foules le tapis métaphorique avec la superbe qu’on te connait. Les étreintes sont nombreuses, longues, réconfortantes pour mieux mentionner Eléanor. La garce. Croisée au détour d’une ruelle, ses talons claquaient vulgairement contre le macadam, tenue affriolante pour un corps abîmé, tu l’avais senti, mais son regard, oh ce regard, cette flamme insolente qui n’aurait défailli devant rien. Le tango avait débuté en douceur, un deux trois, on s’apprivoise, un deux trois, tu la charmes, un deux trois, elle t’envoute, un deux trois, tu finis par poser un genou à terre, à la surprise générale. Vous avez ignoré les limites, taquiné les extrêmes, embrasé vos corps et surtout vos âmes, volonté de destruction mutuelle. Des ruines que vous avez savourées, dévastation dont vous avez joui. Puis, elle est partie. Comme ça. Ses talons ont résonné dans les escaliers, assourdissants. « C’est fini, elle a dit qu’elle aimait quelqu’un d’autre » tu confies à ta mère, tenant en laisse les ressentiments qui te mordaient les entrailles. Elle ne te méritait pas te consoles ta génitrice, si seulement elle savait. Si seulement elle savait qu’Eléanor a risqué de peu d’être victime de ta démence passionnelle, victime consentie tu pensais à l’époque, mais l’offre a été plus tentante ailleurs.

Ta sœur viendra bien plus tard, Hazel que tu ne piges plus. Les codes ont changé, indomptable et indisciplinée mais indéniablement charismatique, comme toi. Son humeur finit par détruire la fête, une habitude prise lorsque vous vous retrouvez tous dans la même pièce. La nuit recouvre le ciel de son épais manteau, alors elle en profite pour s’éclipser, tu la suis. « pourquoi t'es comme ça, hazel ? qu'est-ce qu'ils t'ont fait les parents pour que tu les traites comme tu le fais ? » tu te risques. Tu déplores qu’elle n’ait toujours pas compris qu’un tel comportement ne la mènerait à rien, autant de possibilités auxquelles elle ne s’ouvrait pas. Son index se retrouve rapidement à quelques centimètres de ton visage, et tu te mets à compter silencieusement un deux… voilà ce qu’il faut pour qu’elle te crache son fiel au visage. Son contrôle émotionnel ne s’est visiblement pas amélioré en ton absence, tu remarques avec une pointe d’amusement. Il a toujours été si facile de la faire sortir de ses gonds, tu la trouves belle ainsi, le visage peint de colère. Le regard empli d’irritation qui te fixe sans discontinuer, livrant un combat sans merci. « attends. quoi ? tu es jalouse, hazel ? mais t'as vraiment un problème, en fait. » tes mots sont choisis avec soin, tu veux la piquer à vif et voir ce qu’il en ressortira, quelles autres émotions elle pourrait te présenter ce soir. Hazel avait une diversité impressionnante d’expressions, son manque de contrôle en était une raison principale. « ils font tout pour qu'on ne leur ressemble pas, qu'on ait une vie meilleure que la leur. tu ne leur as pas laisser une chance de... » elle met fin à ton discours d’aîné raisonné et raisonnable, hypocrisie éhontée sur les lippes. Tu ne comprends rien qu’elle dit, oh, Hazel, il y a tant de choses que tu ignores. T’essaies de la rattraper mais les ténèbres l’ont avalée, et dans le Bronx tu sais qu’elle a l’avantage. Oh, Hazel, le monde est un immense théâtre et chacun évolue derrière un masque, le but est d’en acquérir le plus possible pour évolution optimale. Ta vulnérabilité risque de te coûter cher petite sœur, mais ne t’inquiètes de rien, je saurais te rattraper le moment venu.  Princesse éternelle d'un royaume de désolation, je saurais te sauver de toi-même au moment venu.