écho.seule réponse audible lorsque l'on s'adresse à un mur. La main fluette qui se faufile entre les doigts froids de son frangin. Doudou qu’elle traîne à longueur de journée dans l’appartement miteux à l’odeur vivifiée du whisky. De son pyjama dix fois trop grand et d’un regard candide frangé de long cils opalins, fluette gamine au visage poupin. Le pouce qu’elle suce et les cheveux qui se battent en des boucles désordonnées. Pieds nus, d’un épaule frêle qui s’égare et s’échappe de l’échancrure du tee-shirt que lui a donné son frère pour la nuit, l’esprit brumeux encore et bercé par le sommeil, l’attention se porte vers la porte de chambre de son père.
Dans le silence immobile. A guetter. Attendre. Un signe d’une présence de vie avant de se faire traîner par l’aîné en direction de la cuisine.
Vivant dans un minuscule trois pièces. Appartement aux allures de taudis. Des fringues qui se perdent sur le bras du canapé. De la vaisselle sale qui dégueule et les cendriers pleins à craqués. Décoration spartiate, faite de pyrex, de meubles bancales et de fauteuils décharnés. Doucement bousculés dans la cuisine, butant sur une chaise fardée du cuire de leur paternel, ses clés de voiture négligemment abandonnées sur la table de bois au vernis ternis, immobile, la gosse laisse la main de son frangin la quitter pour le regarder déambuler dans la cuisine, ouvrir placards vides et frigo à la vieille odeur de beurre rance.
Bercée dans un univers exclusivement masculin, seule figure féminine, paumée dans les palabres cinglants, ne connaissant que le froid sinistre de son lit ou les étreintes maladroits de son frère quand la solitude, mordante, s’infiltre le long de ses membres d’enfant hagard. Maman. Qu’une figure sur papier glacé. Quelques photos sauvées d’un comportement sauvage et désespéré d’un homme en bout de course, dépassé.
Paumé. Deux gosses en bas-âge sur les bras et des emmerdes à ne plus savoir quoi en faire. Ne connaissant que sa brutalité et son alcoolisme parfois triste, parfois violent. Homme austère. Rustre. Qui sent la sueur et le labeur. La clope et le whisky. Sous l’œil rouge et brillant. Le plis amère qui déforme sa bouche quand l’attention se porte sur ses deux marmots.
Triste figure patriarcale. Entre alcoolisme galopant et canevas échevelés qui partagent ses bitures. Ses nuits. Entre rires et gémissements.
Son frère, aîné de trois malheureuses années, qui tente, maladroitement de lui faire son éducation. Faisant abstraction de cette féminité qui déplait et ennuie. Des emmerdes qu'il ne sait gérer et rabroue de nonchalance et d'haussements d'épaules. La mettant en garde. Les mecs. Comme il les aiment. Dociles et serviles. Ne pas se faire emmerder. S'avoir faire mal quand la verve n'a plus place et que seuls les coups restent.
Hochement vigoureux de blondie. Accrochée à cette seule et unique figure parentale.
Perdue dans les pensées matinales, une porte qui s’ouvre. Qui rebondie. Durement. Contre le mur de la chambre patriarcale. Suivie de l’ombre de leur père. La gueule des mauvais jours, le téléphone visé à l’oreille. Débraillé, le pantalon qu’il tente maladroitement d’ajuster alors qu’il avance, chancelant, dans le salon.
Des tatouages, floraison funèbre, tapissent sa peau. Son derme. Sombres et envoûtantes arabesques. La huguenote. Croix aux pointes garnies de perles. Des fleurs de lys qui s'insèrent entre les branches à laquelle est suspendue l'ombrage d'une colombe. tatouée le long de sa jugulaire. Juste sous sa mâchoire ombrée d’une barbe négligée. Signe distinctif de son appartenance à la mafia Irlandaise, de ceux qui font le sale boulot, les mains d’erbine et la volonté d’acier.
Une activité pas très lucrative mais qui permet de les faire vivre, quand le vieux n’oublie pas de remplir le frigo, de nourrir ses deux chiards qu’il néglige régulièrement, disparaissant durant plusieurs jours. Parfois, vient cette femme. Une amie de maman. Quelque chose comme ça. Femme d’irlandais. De mafieux. Des sourires doux et de la tendresse débordante pour ces deux soiffards d’enfants maqués à la rudesse d’un homme violent.
Sur le passage, bousculée par ce dernier. Le regardant de son regard d’enfant, énamourée, pour ce seul parent restant. Essuyant comme souvent qu’indifférence et grognement, la môme se raccroche au frangin qui glisse une main le long de sa nuque. Possessive et rassurante. D’un regard d’ambre. Chaud et envoûtant. Ce sourire tendre qui nait, étirant cette délicieuse fossette sous le bleuet d’un coup. Nimbant l’albâtre délicat de sa peau, ecchymose qui s’étend, tirant au jaune par moment, sous l’œil encore gonflé d’avoir tenu tête à la virulence du paternel, noyé alors dans l’alcool coutumier de ses longues soirées de solitaires.
errer.marcher dans le but de n'en avoir aucun.L’esprit qui fourmille. Le palpitant en lambeau dans les méandres de sa poitrine. L’œil figé. Sur cette bouche. D’un puce délicat. Au teint alpestre. Quelques cheveux qui s’égarent sur son front et les paupières qui frémissent à l’aube de cette nouvelle vie. Sommeil agité, l’émois qui assassine d’un témelo étranglé.
Au toucher tremblant lorsque l’index se glisse le long d’une courbe ronde. La peau chaude et vivante sous ses doigts. Cette joue qu’elle crève d’envie de baiser. Ce corps frêle d’étreindre. S’imprégner de son odeur. De cet instant suspendu dans le bordel chaotique de sa vie. Et alors que les premiers vagissements naissent dans la douce quiétude de la chambre, la porte s’ouvre sur une infirmière. Sans un regard pour cette femme dont le toucher habile s’empare de l’enfant, elle même encore gamine, elle laisse. Laisse son petit partir. Quitter son regard hanté.
Cami. Ado paumée. La majorité à peine acquise qu’elle quitte le giron familiale. Quitte la violence coutumière d’un paternel à l’oppression constante de vouloir la fiancer de force à un ami d’enfance.
Irlandaise évoluant dans le milieu de la mafia, sa place tout en bas de l’échelle sociale, voulant s’élever au dessus de la masse. Etre autre chose qu’une poule pondeuse, au détriment des siens, de son frère qu’elle a tout simplement laissé. D’un mot aux ratures. Ne sachant ou commencer pour dire qu’on abandonne. Tout simplement. Après de longues années de silence.
De squatte en squatte. A faire les mauvaises rencontres. De gosses de rues. De misères. Si semblables. A se rassembler en cette famille hétéroclite. A vivre le jour sans penser au lendemain. Se coucher certains soirs le ventre creux, coller les uns aux autres. Rires des conneries qu’ils additionnent. A faire les poches, à revendre des merdes. Des paradis artificielles. Ephémères. Violents comme un accident d’bagnole. Dealer. Le chanvre. La weed. Quelques billets en poches.
Le sac à dos en bandoulière et des rêves pleins la tête. Elle. La frénésie d’une artiste réprimée par l’étroitesse des siens.
« Putain d’gonzesse. » Cette envie d’étendre ses déviances sur du papiers glaciers. y vomir ses idées qui fourmillent. Qui tapissent un peu plus son esprit de désillusions. Aux sentiments maladroits et difformes. Atrophiés par le temps et qui finissent toujours par se bousculer dans des carnets noircis d’hommes. De femmes. D’inconnus aux traits volés l’histoire d’un instant.
Sans repères. La barque de sa vie à la dérive. Des mecs qu’elle séduit pour le plaisir de se sentir vivre, importante. Dans leurs regards. Sous leurs touchés. Avilissants. Juste pour un soir. Devenir cette prédiction que lui avait un jour balancé son paternel.
Princesse esseulée du macadam. Le trottoir comme vieille routine quand les soirées ne se finissent alcoolisées. Misérable. Les rêves qui s’effilochent. Qui disparaissent un peu plus dans la merde qu’elle prend. La poudre sous le nez et les doigts habiles qui roulent sèches sur sèches. Des dessins qu’elle tente de vendre. Des photos qu’elle tente de refourguer. Mais rien ne marche mieux que le marché de
neverland.
Fierté mal placée. Incapable de revenir vers les siens, de devenir femme objet entre les doigts d’hommes mafieux. Reste pourtant cette étrange équation. L’inconnu qui fait qu’elle décroche de ses conneries. Un temps. Pour lui. Pour eux. Parce qu'elle y croit. Durement. Elle y croit quand la colère ébrèche cette confiance pourtant si fragile. Quand la jalousie dévore chaque pans de raison. Pourtant la vie à deux est douce. Parfois. Entre les cris de rage. Les gémissements, langoureux. Dans les draps humides. Dans les baisers indécents. Innocents.
Ode à sa muse. Ce corps, ce peau-ème. Ce poème, ce corps. Sous l’oeil de sa rétine. De son fusain. Des couleurs sombres, éclatant jais. Se gaver de ces lignes, courbes, qu’elle dessine encore et encore. Et qui, aujourd’hui, hantent toujours chacune de ses esquisses.
Consciente d’avoir fait foiré leur relation. Incapable d’aimer correctement. Maladroitement. Des travers qui lui tendent les bras et elle, si fragile. Redevenant salope. L’acide qui lui brûle les veines et la raison qui flanche à chaque coups de jus. Tailladant les liens fragiles de leur attachement sincère. Coup de canif dans le contrat, polichinelle dans le tiroir alors que le célibat s’abat, la laissant seule et junkie défoncée injectant un peu plus de cette merde à cette prémices de vie. Coupable. Mais incapable d’endiguer le flot. Voyant le mur se rapprocher et continuer à courir.
Soupire fragile. Tremblant.
Sortant de sa léthargie. Cicatrice qui tiraille son bassin. Douleur salvatrice et rassurante l'encrant à l'instant présent. Incertaine, desserrant les doigts du minuscule bracelet chapardé. Rose. Le caressant du regard. Les secondes qui s’étirent, puis l’automatisme qui reprend le pas alors qu’elle quitte la blouse d’hôpital pour s’habiller maladroitement des fringues tout droit sortit de l’hospice.
La honte parant son manteau sur sa lucidité moribonde. Encore dévorée par les œillades de pitié, lors de son passage aux urgences. De ces remarques acerbes et silencieuses de cette déchéance qui, aujourd’hui, électrochoc, lui fait comprendre qu’elle a lamentablement touché le fond.
Fuite en avant. Quittant hôpital, espoir et progéniture. A se retrouver au milieu de la chaussée sans trop savoir ou aller. Des larmes amères qui noie un peu plus la raison et endigue d’un flot les remords de son âme endeuillée. Besoin de prendre de la distance. Se retrouver. Trouver une nouvelle raison de se lever, d'avancer. D'espérer. De partir loin de new-York et de ses fantômes, mensonges pavant un peu plus sa vie. De se reprendre en main,
en vain. De changer d’air. De panorama. De rencontres moins toxiques. De chaleur, brûlante et suffocante.
Fermer les yeux et de faire comme si. Comme si la vie a un meilleur goût après un an d'exil.
« Je viens d'où tout vient et je vais où tout va. Entre les deux, j'aurais tenu ton beau visage entre mes mains. En signe d'amour, en signe d’adieu. »