(aishwarya) raat banjar see hai

traits de caractère / Courageuse - Sauvage - Tempétueuse - Acharnée - Forte - Sensuelle - Impériale - Maternelle - Protectrice - Incandescente - Loyale - Tourmentée - Croyante - Sensible - Protectrice - Farouche - Créative - Passionnée - Exigeante - Travailleuse - Solitaire - Lumineuse - Intrépide.

« Leela … Ma libellule … Leela … Tu te souviens de ce que Maan (maman) t’a dit ? Cache-toi … Cache-toi. Il ne doit pas te trouver. Il ne doit jamais te trouver. Attends que je revienne te chercher. Reste-là ... Aap ko chhipaana meree jaan (cache-toi ma chérie). »

La porte se referme sur sa silhouette de petite fille. L’écho de la voix amie, du timbre chéri, rejoint le néant de sa solitude. Elle se recroqueville, à l’intérieur d’elle-même. Elle contemple le temps suspendu derrière la porte close. Deux grands yeux sombres. Deux perles noires, comme celles de son père. Iris obsidiennes à travers lesquelles la candeur s’essouffle, morte née. Avortée par la terreur, broyée sous la fragilité de ses os de môme. Elle reconnaît la gravité de sa voix qui invective. Accusation assassine, connue avant d’avoir chanté sa première comptine. Des mots crus, des mots nus. Des épithètes fleuries auxquelles les larmes et les cris répondent. Elle ne les comprend pas mais elle les entend jusque dans sa chair tremblante. Quand on a trois ans, on ne sait pas grand-chose. Mais l’on ressent tout. Il n’y a que le temps et l’expérience qui manquent pour élucider le trouble. Mettre sur lui des mots que l’on ne répétera pas. Cloisonnée dans sa terreur enfantine, elle se tait Leela. Elle se cache de lui. De ce père aux yeux de lune qui a usurpé le rôle d’un autre. De ce père qui la méprisa d’exister depuis son premier souffle, parce qu’elle avait le regard de l’adultère, les mêmes airs que son jeune associé, les mêmes cheveux denses que la jeune épouse qu’il avait marchandé sans réussir à l’assujettir.  Les hurlements pénètrent sa carcasse. Elle ne pleure pas, pétrifiée. Elle voudrait être là-bas pour lui tenir la main. Poser ses doigts minuscules sur sa peau brune et tiède. Boire les larmes qui auront coulé sur ses joues meurtries par les coups, être le réceptacle de cette peine immense qu’elle lui a transmise, sans même s’en rendre compte, à l’unisson de la piété de son amour. Son imaginaire l’a inventé Grand méchant corbeau. C’est le Barbe Bleue terrible de sa réalité à elle, que le conte met en place pour effrayer les enfants, leur inculquer les leçons qu’ils finiront de toute façon par apprendre à leurs dépens. Il a beau être le prince imposé à sa mère un jour pour accomplir à ses côtés les vœux sacrés du mariage, et l’accompagner dans cette vie et les sept autres,  il ne sera jamais son père, ni en pensée ni en rôle. Et Leela le hait. Elle le hait sans savoir ce que cela signifie. Sans savoir ce que cela impose. Elle le hait parce qu’il est le fléau que son innocence aurait souhaité pouvoir brandir comme rempart, quand elle ne peut en réalité que le subir. Elle le hait dans ces injures qu’elle entend résonner dans les tréfonds de ses entrailles, à l’unisson des sanglots refoulés de sa mère. Cette violence qu’elle a appris à encaisser sans bruits pour la préserver de lui. Pour lui faire croire à la fable qu’elle aura inventé pour elle.

Et elle conte Aishwarya. Elle conte des réalités qui n’existent pas. Elle souffle aux oreilles meurtries de son enfant des mensonges. Elle peint le quotidien avec des lueurs nouvelles, pour lui donner un endroit dans lequel s’épanouir. Elle teinte les jours du pourpre de son amour, unique, indéfectible. C’est ce qui la maintient en vie sans doute, chaque fois que sa colère la traque. Elle a beau désirer s’enfuir, il finit toujours par la retrouver. Elle a tout fait pour se faire aimer de lui. Elle lui a donné son corps, elle lui a offert ses rêves. Mais rien n’était jamais à la hauteur de ses attentes. La vérité, c’est qu’il l’avait espérée autre. Elle n’a jamais pu remplacer son amour, celle qu’il avait perdu autrefois. Elle n’a jamais su être la compagne qu’il attendait pour atténuer la cruauté au creux de ses paumes. Alors il l’a méprisée, haïe, meurtrie. Dès le premier soir, dès la première nuit. Il lui a fait goûter à la rudesse avant qu’elle n’ait pu apprivoiser ce qu’il peut y avoir de tendre. Il l’a enfermée dans le noir et la solitude d’attentes déchues, d’illusions pâlies. Il a fracturé son âme pour mieux savoir s’insinuer dans la brèche qu’il avait su créer. Il n’a jamais pu la tuer, malgré cette détestation qu’il nourrissait chaque jour davantage à son encontre. Inexplicable. Inextricable. La vérité c’est qu’il était trop lâche pour accomplir l’outrage, qu’il préférait l’humilier et la punir plutôt que de la voir disparaître. Soif de possession, malade … Malade. Elle ne s’est jamais brisée sous ses doigts, créature que la terreur a révélé indocile. Il ne supportait pas ses grands yeux ébènes, mirant les jugements les plus crus dans le silence. Elle était si belle. Trop belle. Il a enlaidi son âme, pourfendu son corps, pour se donner l’impression d’exister lui-même. Lorsqu’il l’a épousée, elle s’imaginait danseuse. Foulant les planches, admirée par d’autres. D’autres que lui. Elle était douée, il le reconnaissait. Sensualité de son corps dans les mouvements alanguis. Alors il a fracturé sa jambe, anéanti l’espoir. Il l’a marquée du sceau de son nom et l’a cloisonnée en lui. Sa femme. Son bien. Sa vie. Jusqu’à ce qu’il vienne la lui prendre, à la tombée de la nuit. Lui. Jeu de dupes qu’il n’a pas anticipé, arrivé à ses dépens, à l’orée des silences. Il n’a pas deviné les balbutiements des cœurs derrière les regards échangés. Il n’a jamais goûté aux souffles suaves et passionnés qu’elle lui a réservé, dans l’ombre du crépuscule. Amant de fortune. Amour d’infortune. Il a laissé au creux de ses entrailles pourries le fruit de sa luxure. Et elle a eu beau gémir. Elle a eu beau pleurer. Implorer sa clémence. Il se savait infertile. Elle a voulu le quitter. Partir avec l’autre. L’humilier à son tour. Il ne l’a pas supporté. Il n’a pas fallu grand-chose pour convaincre l’amant. Un chèque et des menaces fleuries, pour qu’il renonce aux attraits de la paternité.  Elle s’est retrouvée grosse. Grosse et captive, dans une demeure trop grande, surveillée en permanence. A tourner en rond, ballotée sur le carrousel immonde d’une existence qu’il avait façonné pour elle. Elle et sa progéniture. Chair de sa chair. Sang de son sang. Il a cru qu’il pourrait la tolérer. Il en a toujours été incapable.

« Leela ? … Allez viens ma chérie … C’est fini … C’est fini … On s’en va. »

La porte s’est rouverte sur sa silhouette de petite fille. L’écho de la voix amie, du timbre chéri, l’a recueillie prostrée dans le silence. Les cris s’étaient éteints, comme assoupis après le fracas du verre qui explose. Elle a regardé les traits ravagés de sa mère. Le sang mêlé aux larmes sur ses joues devenues blanches. Elle l’a encerclée de ses bras, l’a serrée aussi fort qu’elle a pu. Aishwarya l’a bercée au rythme frénétique des battements de son cœur, alors qu’elles traversaient le salon où il gisait encore, commotionné, presque mort. Elle lui a conté des histoires, alors qu’elles se destinaient à l’éclat inconnu d’une vie dont il ne ferait pas partie. Elle lui a menti sur ce qu’elles avaient été, et aujourd’hui elle trime, elle trime, pour n’avoir pas à lui mentir sur ce qu’elles sauront devenir.