nuit noire /jill

Les mains tremblantes des nuits de colère, Alice à l’amertume qui lui brise la gorge lorsqu’elle claque la porte du fast-food dans lequel elle travaillait il y a à peine quelques minutes. Le majeur levé lorsqu’elle se retourne vers le patron guettant son départ par les grandes vitres de l’enseigne populaire. Apparemment c’est mal vu de gifler un client à l’appétence douteuse pour des comportements salauds. Une main aux fesses n’a jamais tué personne pour reprendre les mots de Bob, foutu patron misogyne aussi gras que les fritures qu’elle se tape tous les jours depuis une semaine. Tout ça pour un salaire de merde, de quoi repousser pas mal de monde. Mais Alice elle en a besoin de cette rentrée d’argent, juste de quoi se prendre une nuit ou deux à l’hôtel et pas se les geler sous un pont. Une vie construite sur rien, les prémisses de la culpabilité naissantes sur son visage. Elle tente de faire le point. Mais Alice arrive pas à réfléchir, plus depuis qu’elle enchaîne les opiacés à tour de bras comme des sucreries, avide de péchés. Alors elle crie dans la nuit, les mains sur les tempes comme pour essayer d’apaiser ses démons. ”Putain ! Fait chier !” La rage décuplée par le manque de drogue dans son sang. Elle renverse la poubelle face à elle d’un coup de pied forcené, connaissant l’issue du combat si elle tente de frapper un mur. L’âme échouée, gamine perdue dans les vices qui l’étouffe, elle rêve d’une seule nuit de salut dans un lit chaud, éclatée par la drogue.

Les jambes frêles tanguent dangereusement lorsqu’au même moment, le myocarde brûle. Une pause. La brune balance son sac à dos à ses pieds, se laisse doucement glisser le long du mur d’un bâtiment face aux lumières violentes des lampadaires qui lui brûlent les yeux embués. Le contrôle entier de son corps meurtri lui échappe, les larmes rageuses perlant sur des joues qu’elle se hâte de frotter du revers de la manche. Il lui faut sa dose avant de perdre pied, au risque de tout lâcher. Elle est bien loin l’Alice pétillante de sa jeunesse, laisse place à la junkie pitoyable qui jonche le macadam là où d’autres ont probablement urinés. Elle ne s’est jamais sentie aussi seule qu’à cet instant précis. Les rues vides et les astres juges, même les clochards se font discrets. Comme si la nuit avait prémédité sa sentence. Pourtant, les phares d’une voiture viennent troubler les songes de la gamine aux yeux brillants. Un taxi. La main levée en sa direction et d’une force qu’elle ne se connaissait pas, elle se relève, attrape son sac pour s’approcher de son carrosse.

”Putain vous venez de me sauver la vie.” La voix qui tremble alors que ses pupilles croisent le regard noir d’une fille qu’elle connaît seulement dans la douceur de ses fantasmes. Alice a les joues brûlantes de surprise, de honte aussi. Pourtant, elle n’arrive pas à lâcher son regard. Perdue dans ses ébènes somptueuses. Elle ne connaît même pas son nom, mais rien que la douceur de ses traits apaisent une Alice en colère. ”Je… Vous savez m’emmener loin pour 10 dollars?” dit-elle en glissant ses derniers billets vers la chauffeuse, les doigts tremblants et les ongles rongés par le manque. Même la chaleur de cette fille n’arrive pas à réchauffer le corps en alerte de la gamine. ”V-Vous voulez bien monter le chauffage?” L’effort surhumain pour parler, chaque mot est une lame qui lui broie l'estomac. Super comme approche, tu peux être sûre que tu la reverras plus jamais.