jouer au pendu ; tao

01/ résidu de fausse-couche de china town, il est l'enfant unique d'un couple gérant une laverie. faut dire que maman était douée pour faire déguerpir la moindre tâche, qu'elle soit de fraise ou de sang, faut dire que papa il était presque classe avec son journal entre les doigts, à jauger les américains qu'osaient le mater de haut. il a toujours préféré dire qu'il vient de pékin, tao, ça sonne encore plus exotique que le quartier à côté, qui renifle les gâteaux aux petits mots sur l'avenir et l'huile de friture pour la poiscaille. y'avait de quoi créer des bateaux en disant l'ailleurs, y'avait de quoi pointer des horizons du bout de l'ongle - et faire pleurer les dragons d'or.

02/ son enfance est pas glorieuse, pas foireuse, elle est pas plus belle ou plus grandiose qu'une autre - le fait est qu'il se fait chier, tao, qu'il a les doigts qui piétinent sur les tables, que les notes suivent pas et qu'il a la même concentration qu'un enfant de six ans sous speed. c'est pas qu'il s'énerve, c'est qu'il s'en cogne, qu'il hausse mollement les épaules et qu'il laisse l'indifférence l'enrouler d'un doux linceul - soupir au bord des lèvres, il commence la clope à seize ans, se fait tatouer une croix à la con par un pote dans le creux du poignet, dans sa chambre la même année. le combo aiguille soi-disant lavée et encre de chine ça a pas été bien gagnant, il a faillit en choper une infection - pire du pire, il s'est dit tao, qu'il aurait plus qu'à se couper la paluche.

c'est basique, c'est classique. les rendez-vous de famille ça se fait le dimanche, ça cause chinois et ça se vante du cousin ou ça se plaint des voisins. lui il s'emmerde, lui il gribouille sur la nappe en papier - il baille à s'en péter la mâchoire et se prendre un coup dans l'arrière du crâne pour l'affront. il se marre, tao. c'est pas un pauvre gosse abandonné, détesté, c'est juste la moisissure dans les murs qui lui file l'envie de gerber.

y se casse à dix-neuf ans du bercail, il veut faire genre il est grand, tao, il veut faire genre il peut se démerder, sans diplôme dans lequel il peut se reposer. y se dit, connement, qu'avec un peu de couleurs et de pinceaux à deux balles il arrivera à trouver un appart' pas trop dégueulasse - le fait est qu'il est tombé de haut, le fait est qu'il a enchaîné les boulots, fast-foods, service, plonge. puis il en a eu plein le cul, il a commencé à se glisser solo, à force de causette, dans les mauvais retords de new-york - elle lui rend bien, alors c'est pas si dramatique.

03/ le problème c'est qu'il ressent tout trop fort, tout trop vite aussi. le problème c'est que tao c'est une éponge qui crache du miasme pétrole, qu'il a tellement d'émotions qui se bousculent qu'il sait plus où les ranger. le problème c'est qu'il peut monter très haut un jour, puis tomber très bas le lendemain - c'est pas la galère adolescente et les hormones qui lui auront tiré une balle en plein dans le pied, c'est des restes bipolaires qui foutent à la casse tout le bon sens. y'a le goût de néant qui se complète avec le trop présent - pas assez de thunes pour suivre un traitement, y se contente de se rassurer, de se dire qu'il peut s'auto-gérer. foutues conneries - mais il est pas con, il est au moins passé par la case psy.

04/ il veut disparaître, tao, disparaître sous les tatouages, sous les dessins, se faire oeuvre signée par toute une populace - il met pas mal de billets pour une partie de son corps, puis pour d'autres. c'est pas vraiment de l'alcool, ni de la clope, le fait est qu'il cumule, qu'il enchaîne, qu'il arrive pas à s'arrêter - et qu'il dort mieux sous l'aiguille que dans un lit.

05/ puis y'a sami une fois. y'a eu le sourire en coin de lippes, y'a eu le goût d'une bouche qui s'empresse, qui s'enlace, d'un dos qui se plaque au mur, qui s'épouse d'une paume. puis y'a eu liv deux fois. y'a eu l'éclat de rire qui s'est vu vrombir contre ses cordes vocales, y'a eu les baisers posés sur sa clavicule, descendant lentement jusqu'à son ventre creux. y'a eu eux. y'a eu ceux - il dira jamais comme une lumière tao, parce que c'est surfait, parce que c'est pas à refaire, parce que c'est pas vrai. ils sont pas lumière, ils sont pas éclair. ils sont le maintenant, ils sont la chair, ils sont le vivant, ils sont le tangible, ils sont le frisson qui s'extirpe du bout des ongles, ils sont le frisson qui s'éparpille de sa nuque jusqu'à ses talons, ils sont le cri, la porte claquée, les soupirs qui s'épuisent à épeler leurs noms.

06/ fume exclusivement des roulées, cause bien chinois même si le lire ça reste un calvaire, fervent supporter des sweats il en a une tripotée impressionnante, il sent la peinture et le café, se ronge les ongles, grand gamin face aux chiens, amateur de dessins à l'encre ou à la gouache sur dos nus, bouffe constamment des amandes.