i'm in a dream - joan

Ore avait retrouvé son matelas humide aux ressorts cassés, y avait caché l’argent qu’il s’était fait après cette dure journée de travail. Puis, il était parti, pour ne surtout pas la rater. Il se posait toujours au même endroit, dans l’angle de cette rue bruyante où le brouhaha des passants se mêlait au bruit des moteurs des voitures. Mais il oubliait vite l’agitation effrénée autour de lui quand son regard se posait sur elle. Il pourrait la repérer entre mille. Elle déambulait dans la rue, sac à la main, pensive… Elle avait l’air d’avoir sa petite routine de tous les mardis soirs puisqu’à chaque fois, il la voyait. Elle était belle avec ses cheveux aux reflets roux. Elégance incarnée, courbes féminines parfaitement dessinées, elle était sans défauts. Véritable poupée de porcelaine, il fallait l’admirer avec précaution. Apprécier sans toucher de peur de la briser en mille morceaux. C’était ce qu’il faisait depuis des mois. Et chaque fois c’était la même chose. Quand son regard se posait sur elle, il ne s’en détachait jamais comme une poursuite illuminant les pas des acteurs sur scène. Mais elle, elle illuminait ses journées et réchauffait son cœur. Les rayons du soleil caressaient sa peau douce, donnant vie au petit prince romantique, à Orenthal Askora. Il en oubliait ses tracas quotidiens. Cette vie de misère qu’il menait depuis qu’il était arrivé ici. Ces nuits de galère rythmées par la peur, l’angoisse de tomber sur plus fort que lui, de finir en sang simplement pour avoir occupé ces lieux. Plus rien n’avait d’importance quand elle était là. Sa présence, même lointaine, le réconfortait.

Ce qu’il ne savait pas, le petit prince aux cheveux d’or c’était qu’elle avait plus de trente ans. Dix ans de plus que lui, treize pour être plus exact. Mais qu’est-ce que c’était au final, lui qui chérissait un art qui n’avait pas d’âge.  Ore n’y voyait que sa beauté aveuglante, son visage doux. Ensorcelé par ses charmes, il ne jurait que par elle même si elle ne le voyait pas. Invisible à ses yeux, elle ne croisait jamais son regard, ne sentait jamais sa présence, comme s’il n’était qu’un simple fantôme. Après tout, elle avait sûrement mieux à faire que d’être avec lui, que de perdre son temps avec lui. Il n’avait rien à offrir sauf de l’amour à revendre. Lui qui partageait ses nuits avec son art. La danse comme seul amour éternel. Mais aujourd’hui c’était différent, il était prêt à tout laisser tomber pour elle. Abandonnant son âme au diable.

Puis ce fut le contact. Électrisant, l’épiderme grésilla. Un frisson parcourut son être. Le myocarde à cent à l’heure. Les prunelles se croisèrent. Ses iris bleues dans les siennes. C’était bien lui qu’elle regardait, qu’elle voyait pour la première fois. Ça dura une demie seconde, suspendue dans le temps. Ore avait l’impression qu’elle sondait son âme, qu’elle parcourrait les moindres recoins de son esprit. C’était un véritable livre ouvert. L’expression dans son regard en disait tellement... Il mourrait d’envie d’aller vers elle mais il était complètement tétanisé. Impressionné par son regard transperçant. Il n’avait jamais connu quelque chose d’aussi grisant. Lui qui n’avait jamais rien connu. Il n’avait jamais été l’objet d’amour inconditionnel, n’avait jamais goûté aux plaisirs charnels. Ce sentiment qui l’animait, ces papillons qui virevoltaient dans son ventre, c’était quelque chose de nouveau, d’inconnu. Le coup de foudre pour elle, l’étrangère qui lui redonnait goût à la vie. La belle s’avança vers lui. Elle traversait la rue dans sa direction. Ore n’y croyait pas lorsqu’elle s’arrêta devant lui, un sourire aux lèvres. Il était incapable d’articuler un seul mot, se contentant de la dévorer des yeux, comme il avait l’habitude de le faire.

( Pando )

Apaisante. Douce. Velours que caressait la pulpe de ses doigts. Envoûté par l’aura mystique qu’elle dégageait, le cœur du petit prince n’était pas insensible à ses charmes. Pour la toute première fois, elle le voyait, lui. Beauté exquise. Rose épineuse qu’il admirait avec tendresse. Le petit prince était captivé. Ensorcelé par son parfum, son léger accent étranger, ses traits fins, son élégance distinguée. Ses jambes lui faisaient presque défaut, tremblantes, bien le contraire de toute la sérénité qu’elles pouvaient se parer lorsque ses pas foulaient le parquet. Prunelles grandes ouvertes devant la source de sa convoitise. Il avait imaginé des centaines de scénarios avec elle mais celui-ci ne figurait même pas sur la liste. Elle avait cette voix rassurante, qui l’attirait dans un monde de douceur. Voix suave dont l’invitation fut plus que surprenante. Ore écarquilla un peu plus les yeux, abasourdi. Elle s’intéressait donc à lui. Elle réclamait sa présence à ses côtés. Ou peut être qu’elle cherchait juste à faire sa bonne action de la journée. Aider le petit sans abris qu’elle ignorait en temps normal. Palier la maigreur apparente en lui donnant à manger.  
Le blondinet écarta rapidement cette idée de son esprit. Il était suspendu à ses lèvres, trop épris pour se méfier de quoi que ce soit. Il se passa la main dans les cheveux, et s’éclaircit la voix.

« Je.... je serais plus qu’honorer de vous accompagner... oui... j'veux bien vous aider. »

Elle déclenchait en lui quelque chose qui n’avait pas refait surface depuis bien longtemps. Cette candeur qu’il refoulait. Innocence bafouée. Ce jour-là, elle revint au galop. Petit gamin de vingt ans qui découvrait une toute autre partie du monde. Les masques tombèrent à la minute où son regard avait croisé le sien. Plus rien n’avait d’importance. Ore esquissa un sourire. Il décida de laisser derrière lui les bas fonds, les ténèbres, les cartons. Il lui emboita le pas sans une quelconque hésitation. Adieu méfiance et arrogance qui lui collaient à la peau.

« Je... hm... je m’appelle Ore... Orenthal en fait mais je préfère Ore. »

Voix hésitante, fébrile… à en oublier les formalités.
On lui avait maintes et maintes fois répété qu’il ne fallait jamais suivre un inconnu. Mais sa curiosité était piquée au vif. Pour lui, elle incarnait une énigme d’une complexité surprenante. Ore voulait percer à jour ses secrets. Il voulait apprendre à la connaître, la découvrir dans les moindres détails. Elle l’intriguait, obsédait ses pensées. Elle le guida dans ces rues familières, sans jamais un regard en arrière. Ils pourfendaient la foule, se faufilant parmi la masse. Ore gardait le rythme malgré l’allure effrénée de la belle inconnue. Puis ils arrivèrent devant une galerie d’art. Il était déjà passé devant quelques fois sans forcément prêter attention aux œuvres exposées. Le petit prince était persuadé qu’elle entendait son cœur battre la chamade: à la fois de peur, d’angoisse et puis d’excitation, d’adrénaline, de joie. Toutefois, il maintenait une distance respectable entre elle et lui. Contact physique redouté. Redoutable. Piètre façade. Frontière illusoires qu’elle franchira sans peine.

( Pando )