dernière danse. (thomas)

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{ dernière danse }
crédit/ tumblr ☾ w/@Thomas Farrel

L’astre solaire sur le déclin,
une clope à la main,
elle l’observe,
installée au creux de sa fenêtre.
La môme pensive savoure la douce brise qui lui est offerte. Elle porte de temps à autre la cancéreuse entre ses lèvres. L’esprit ailleurs, perdue dans ses songes, elle pense à lui.
Lui, qu’elle a accueilli chez elle.
Lui, dont elle a parfois eu du mal à accepter la présence trop soudaine.
Trop habituée à agir en totale liberté, elle a eu parfois plus de difficultés à accepter l’intrusion d’un colocataire.

Trop attachée à son indépendance,
pourtant, Ella, elle s’est fait à sa présence.

Elle s’est habituée à tous ces jours passés avec lui. Toutes ces nuits où ils ne voulaient pas dormir. Toutes ces heures à partager leurs larmes, leurs rires. Tout ce temps à se sentir en vie. Dans la vie de quelqu’un, tous les jours, au quotidien. Quelqu’un qui l’incite, seulement par sa présence, à se lever chaque matin. Quelqu’un qui la pousse, seulement par sa lumière, à relever la tête.

Et maintenant, il s’en va,
il s’en va,
Thomas,
et la la laisse là.

La gorge plus nouée qu’elle ne l’avouerait, le cœur plus serré qu’elle ne l’admettrait. Elle appréhende, Ella, de le voir partir. Elle appréhende de retrouver la vie qu’elle avait, avant lui.
Mais elle ne l’admettra pas,
la gamine,
elle est trop fière pour ça.

Les prunelles rivées vers le ciel assombri, à la recherche des astres invisibles, elle sort soudain de ses pensées. La porte vient de claquer. – Hé, tu veux casser la porte avant de partir ou quoi, p’tain ? elle lâche, en guise de salut, à son futur ex-colocataire. Elle sait que cette soirée est particulière,
c’est la dernière.
Et ça lui fout le cafard, à Ella, ça lui donne envie de chialer, mais elle le dit pas. Elle observe son ami qui débarque, tellement de cartons entre les mains qu’elle ne peut même pas apercevoir son visage. Elle ne bouge pas, elle reste plantée là. – Ah ouais, donc pour notre dernière soirée, tu crois que je vais t’aider à ranger tes trois pauvres tee-shirts ? elle le nargue, elle le taquine. Elle l’embête pour qu’il ne voit pas combien elle est triste. Le sourire narquois sur les lèvres, la gosse agaçante y porte sa cigarette, toujours sans bouger de la fenêtre. Elle flirte avec le danger, joue avec les limites. Comme à son habitude, elle n’a jamais eu peur du vide,
ou peut-être seulement celui de sa vie,
celui qu’elle va éprouver, sans lui.

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{ dernière danse }
crédit/ tumblr ☾ w/@Thomas Farrel

Elle ne pensait pas s’attacher autant à lui.
Non pas qu’il ne paraisse pas attachant, Thomas, il a le cœur sur la main et ce rire adorable de gamin. Il est doux, prévenant, attentionné avec elle, chaque fois qu’elle en a eu besoin. Même quand elle lui affirmait qu’elle n’en avait pas du tout besoin. Il l’a vue dans des instants délurés, d’autres plus graves, des instants où elle perdait pied, et d’autres où elle se laissait succomber. Il a tout vu d’elle, Thomas, tout même le pire. Il a vu le pire, même, avant de voir tout le reste. Il a vu le pire mais l’a incitée, tout doucement, au rythme de l’âme trop farouche, à révéler le meilleur. Il est la première personne, en dehors de sa nièce, dont elle a pris soin. La première personne à qui elle ne devait rien, mais à qui elle a fait du bien. Il lui a fait entrevoir un autre fragment d’elle, plus beau, plus facile à supporter. Il a eu confiance en elle, elle qui s’est toujours crue vouée aux ténèbres.

Il a eu envie de croire en toi, Ella,
c’est plus que ce que personne n’avait jamais fait pour toi.

Et maintenant, il s’en va,
il s’en va, et ça lui fait peur, à Ella.
Ça lui fait peur, parce que sans lui, elle sait de quoi elle est capable. Elle sait qu’elle peut se laisser couler avec une facilité effrayante. Elle sait qu’elle peut passer des journées entières, clouée au lit, sans lui pour la pousser à l’en sortir. Elle sait qu’elle peut se laisser mourir, à petits feux, sans Thomas qui veille à la nourrir. À s’occuper d’elle ; à prendre soin d’elle ; à l’aimer, aussi, un peu, autant qu’elle a pu l’autoriser à le faire.

Il va lui manquer,
terriblement lui manquer.

Ça lui fait peur, ça lui fait mal. Pourtant, elle a conscience qu’ils se reverront. Que c’est loin d’être des adieux puisque, maintenant, ils sont liés pour de bon. Ils sont amis, de vrais amis, de ceux qui lui manqueraient s’ils sortaient de sa vie. Mais la peur panique de l’abandon, elle est toujours là, ancrée en elle. Et quand elle le voit revenir, les cartons plein les mains, plus que jamais, elle la submerge. La gamine, toutefois, ne dit rien ; elle se préfère espiègle. Taquine pour éviter de se laisser engloutir par les affres sentimentales, elle lui adresse un sourire amusé mais non moins sincère quand il lui présente ses excuses aussitôt. – C’est rien, ça fera rager la vieille d’en bas. elle s’en réjouit, la gamine perfide. Elle n’est pas la voisine parfaite, sûrement pas plus qu’elle n’a dû l’être comme colocataire. Mais Thomas n’a pas l’air tant traumatisé alors qu’il désigne les sacs remplis pour leur soirée. Elle le contemple, l’air attendrie, plus qu’elle ne le voudrait. C’est le souci avec lui, il fait fondre ses allures intouchables beaucoup trop vite. – Une soirée, ça, c’est cool. elle admet avant d’éteindre la cancéreuse dans le cendrier avec les autres cadavres. Elle quitte enfin la fenêtre pour se rapprocher de lui et de tout ce qu’il a pu leur acheter. C’est là qu’il la prend dans ses bras, Thomas. Il voudrait la faire éclater en sanglots qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Elle laisse échapper un gémissement d’insatisfaction. – Hé, j’sais pas qui tu cherches à consoler mais moi, ça va très bien. elle ment, Ella, mais peut-être pas si bien. Ou c’est lui qui a appris à la connaître par cœur. Elle grimace légèrement alors qu’il essaie de la rassurer. Elle a du mal à avouer, la camée, combien elle peut redouter le départ de son ami. Elle se détache de son emprise, pas prête à lui confier ses craintes, pas encore. – Oui, oui, je viendrais voir si tu tiens encore debout sans moi. elle lance avec malice avant de s’atteler à sortir les achats du jeune homme pour les poser sur la table. – Vas-y, j’emmène les verres. elle acquiesce au sujet du vin, puis part récupérer ce qui leur manque pour leur petite fête. Elle se laisse tomber sur le canapé, les prunelles rivées sur lui, juste à ses côtés. – T’as beaucoup de travaux à faire alors ? Car il pourrait rester chez elle, le temps de finir, il pourrait rester… avec elle.
Dire qu’elle ne voulait même pas d’un colocataire.

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{ dernière danse }
crédit/ tumblr ☾ w/@Thomas Farrel

Une soirée tous les deux, une soirée rien qu’à eux. Comme toutes celles qu’ils ont partagées, tous ces mois qu’ils ont vécu avec une telle proximité. Elle se souvient, Ella, le jour où il lui a confié ne plus avoir d’appartement. Elle s’est résolue à l’emmener chez elle ; sans trop savoir quoi faire. Elle avait la sensation d’adopter un petit animal errant et blessé dont elle n’avait pas encore appris à s’occuper. Mais il lui a appris, Thomas. Il lui a appris à prendre soin de quelqu’un ; prendre soin de lui comme elle ne l’avait jamais fait auparavant pour personne. Elle était si paumée, l’écorchée vive, elle-même trop abîmée pour croire qu’elle pourrait être capable d’aider quiconque. Mais c’est ce qui s’est passé avec lui. Comme il a veillé sur elle, lui aussi. Autant qu’elle pouvait bien le laisser faire, l’âme farouche et bien trop obstinée pour laisser entrevoir trop longtemps ses faiblesses. Seulement il a appris à les connaître, Thomas, même à les reconnaître. Précisément comme ce soir, certainement, où, sans qu’elle ne lui fasse part de ses peurs, il les décèle. Il devine toutes les craintes, toutes les frayeurs, toute la douleur aussi de se dire qu’elle doit laisser partir celui qui est depuis si longtemps son colocataire. Ella, elle a le sentiment tortueux qu’elle va le perdre.

Et tu sais que ce n’est pas vrai,
tu sais que tu vas le retrouver,
mais c’est différent de côtoyer quelqu’un de temps à autre et vivre avec lui,
c’est différent avec Thomas depuis,
qu’il a pris une place aussi immense dans ta vie.

La peur au ventre, elle est incontrôlable, elle n’a rien non plus de sensé ou de raisonnable ; elle est irréfrénable. Mais cela, la camée ne l’admettra pas. Alors quand il tente de la rassurer, elle ne peut pas s’empêcher de le repousser. C’est elle, au fond, l’animal blessée qu’il veut à tout prix apprivoiser. Elle lui affirme que tout va bien, trop têtue, trop obstinée, trop fière pour confier ses craintes. Pourtant, quand il confirme ses propos, il y a son cœur qui, instantanément, se resserre. L’ombre d’un sourire un peu fêlé apparaît sur le minois de la ténébreuse quand il propose de lui donner un jeu de clés, s’il vient à trop lui manquer. « C’est plutôt toi qui vas revenir ici en me suppliant de te reprendre. » elle le charrie, elle le taquine ; pour s’efforcer d’oublier sa peur du vide, le vide qu’il va laisser derrière lui. Il n’empêche qu’elle est soulagée, Ella, quand ils commencent à parler d’autre chose que ses sentiments… même s’il s’agit de son très prochain emménagement. Elle avale une gorgée du breuvage alcoolisé, attentive néanmoins aux paroles avancées.  « Et tu sais faire tout ça, toi ? » elle lui demande, la voix amusée, mais aussi intriguée. Thomas est un homme plein de surprises ; plus débrouillard qu’il n’y paraît. Mais elle en découvre encore sur lui. Devant les mots qui suivent, la féline ne peut retenir un sourire. Un sourire sincère, cette fois, presque attendri ; authentique. «  Tu sais que t’es le bienvenu s’il faut de toute façon… » elle serait même soulagée, de se dire qu’il peut encore passer.

Parce que t’es pas prête à le voir définitivement s’en aller,
pas prête à le voir te laisser tomber,
tu sais que ce n’est pas ça, Ella,
mais tu n’y peux rien, tu le ressens comme ça.
t’as trop peur de l’abandon pour que ce ne soit pas le cas.

Le bras de son futur ex-colocataire qui entoure ses épaules, la torturée laisse sa tête se poser contre la sienne, sans une parole ; un peu préoccupée, ou peut-être juste perdue dans ses pensées. Il l’en sort lorsqu’il évoque la possibilité qu’il soit avec une fille ; elle laisse échapper un rire. « Bah, comme ça, elle saura direct qui est la première femme de ta vie. » elle rétorque avec malice. Peu à peu, elle retrouve le sourire, avec lui. Grâce à lui. «  De toute manière, j’sais que t’as déjà quelqu’un en tête. » elle confie enfin, les confidences dont elle n’a pas eu besoin. Elle le connaît, Thomas, elle a vu cette lueur s’éveiller dans ses opales.
T’as vu le changement en lui,
tu en as été la première spectatrice,
il ne doit sûrement pas imaginer,
au fond, combien tu es fière de lui,
combien tu l’aimes, aussi.

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{ dernière danse }
crédit/ tumblr ☾ w/@Thomas Farrel

Dernière soirée,
dernière soirée à rire et s’amuser,
à refaire le monde à leur manière, plus belle que dans la réalité,
dernière soirée,
à savourer ses câlins et sa tendresse,
toute cette affection devenue si nécessaire,
dernière soirée,
et Ella, elle préfère ne pas y penser.
Elle préfère oublier que, bientôt, elle sera seule dans cet appartement sordide. Seule dans cet appartement qui sera complètement vide. Alors elle n’est pas seule, la louve, elle est même plutôt bien entourée. Il y a ses amis, puis… Ambroise, aussi. Le cœur pris en otage depuis déjà quelques temps, elle devrait survivre à l’absence de son futur ex-colocataire dans son logement. Seulement elle s’est tant habituée à la présence de Thomas à ses côtés. À l’avoir, constamment, tout le temps auprès d’elle. Il est devenu le soutien insoupçonné, celui qui lui fait retrouver le sourire les jours un peu trop gris, celui qui l’empêche de faire une connerie, quand elle part à la dérive. Il est devenu l’ami qu’elle n’aurait pas cru, celui de son quotidien, celui devenu un besoin.
Et maintenant, il s’en va,
alors bien sûr, elle a mal,
bien sûr, elle a peur,
peur du vide qu’il va laisser dans son cœur.
Mais elle ne veut pas y songer, non, elle veut seulement profiter. Profiter de ces dernières heures à ses côtés, comme les deux colocataires qu’ils ont été. Elle préfère éviter les conversations trop sentimentales ; la peur de craquer si elle se retrouve face à ses états d’âme. Elle préfère savourer sa présence sans penser au lendemain. Elle préfère se moquer de lui plutôt que lui dire combien elle l’aime. Un rire léger s’échappe des lèvres de l’âme abîmée, quand il évoque la cuisine qui va lui manquer. « Tu rigoles, je t’ai nourri que de pâtes. » parce qu’elle sait peut-être faire quelques plats, Ella, mais elle déteste ça. Cuisiner dans l’étroitesse de sa cuisine typiquement new-yorkaise ; passer son temps à faire la vaisselle ; non, elle n’a rien d’une parfaite ménagère. Mais elle est contente, et un peu fière, d’avoir su rendre heureux de temps à autre son colocataire. Thomas, elle a pris soin de lui, comme une mission qu’elle s’était donnée. Elle ne s’en est pas rendu compte car tout s’est fait naturellement, comme une évidence qui l’a frappée. Elle a eu envie d’être là pour lui, envie de l’aider, envie de l’aimer. Il lui a appris qu’elle était capable de quelque chose avec autrui… au moins, en tout cas, avec lui.
Et ça, c’est le plus beau cadeau qu’il pouvait lui offrir.
Elle qui se sent si inutile, si fragile. Elle qui ne sait même pas ce qu’elle pourrait faire de sa vie. Si elle a eu un impact sur lui, même minime, mais positif, elle ne peut qu’être heureuse d’y être parvenue. Elle accepte distraitement de la tête, l’air un peu ailleurs, alors qu’il lui parle la décoration de sa future demeure. Mais, soudain, elle réalise le nom qu’il vient de prononcer, celui de l’être tant aimé. « Attends… t’as dit quoi, Ambroise qui va t’aider ? » elle est quelque peu déstabilisée, troublée en fait, qu’ils puissent se connaître. Car elle ne parle jamais d’elle, la junkie, elle n’a jamais évoqué l’homme qu’elle aime. Mais Thomas a l’air de parler de lui, non seulement comme s’il le connaissait, mais aussi comme s’il savait. Comme s’il savait, qu’elle était censée savoir elle aussi, qui est cet homme qui vient l’aider. « Tu connais Ambroise ? Je… J’savais pas. » elle avoue, soudain intimidée. Ella, la sulfureuse, l’explosive, Ella, celle qui ne redoute rien ni personne, se retrouve timide, devant l’évocation de son petit-ami. Mais elle tente de se reprendre pour accepter néanmoins sa demande. « Enfin, je veux bien t’aider en tout cas. La déco, c’est plus cool que la peinture et tout ça. » elle déclare avec un petit sourire en coin. Réchauffée, surtout, par l’idée qu’il ait encore besoin, un peu, d’elle.
Qu’il ne veuille pas si facilement l’oublier.
« Toi aussi, tu seras toujours le bienvenu ici… » toujours, toujours, elle murmure, alors qu’elle glisse un baiser contre sa joue. Le bras du jeune homme autour de ses frêles épaules, la conversation se poursuit sur un tout autre sujet. Elle lui adresse un sourire empreint de malice et, bien sûr, ne rebondit pas sur ses dires. C’est sur cette mystérieuse fille qu’elle veut se focaliser, celle qui paraît l’avoir complètement envoûté. À peine commence-t-elle à l’évoquer que son ami perd totalement ses moyens… Elle bluffait, Ella, elle ne savait rien. Rien hormis le fait qu’il ait changé, soudainement, qu’il se soit comme… allégé. Il a toujours un sourire sur les lèvres, puis cette flamme dans ses prunelles. « Oh, là, tu m’en dis pas assez !! » affirme-t-elle en se redressant pour se trouver face à lui, son regard planté dans ses iris. Elle le contemple, l’air encore plus intéressée, même très captivée. « Allez, raconte-moi ! Qui c’est ? Comment tu l’as rencontrée ? Elle est comment ? » le pauvre, elle ne s’inquiète même pas de le brusquer. Mais il y a longtemps qu’ils ont dépassé le stade des confidences inavouées. Elle a partagé des choses tellement intimes avec lui, des secrets difficiles, puis lui… il lui a confié le pire. Il peut bien, aussi, partager le meilleur avec elle, sa meilleure amie.

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{ dernière danse }
crédit/ tumblr ☾ w/@Thomas Farrel

C’est la nuit qu’il lui manquera le plus,
toutes ces nuits d’insomnie,
toutes ces heures à discuter et rire,
à refaire le monde et à imaginer leur vie,
tout ce temps à devenir amis,

une part d’elle aurait voulu,
que jamais cela ne se finisse.

Elle sait bien que leur amitié n’est pas terminée. Il ne sera pas loin, Thomas, juste dans le bâtiment d’à côté. Mais, jusqu’à présent, elle n’avait qu’à franchir le pas de sa porte pour le trouver sur son canapé. Dans ce salon, où elle finissait elle aussi, blottie contre lui. À parler de tout et de rien, à se contenter d’être ensemble, parce que ça leur suffisait. Ça leur a toujours suffi. Et ça leur suffit encore pour cette nuit. Encore, pour une dernière nuit. La tête tournée vers son futur ex-colocataire, l’écorchée vive tente de repousser les idées beaucoup trop amères qui la submergent. Elle ne veut surtout pas gâcher cette petite fête… c’est la dernière. Un sourire amusé apparaît sur le coin de ses lippes, ravie qu’il n’ait pas fini par détester sa cuisine – si on peut l’appeler ainsi. Mais son sourire disparaît bien vite quand elle découvre l’ami qu’ils ont en commun. Pour Thomas, c’est un ami, un ancien voisin, visiblement. Pour elle… pour elle, Ambroise, il est bien plus qu’elle ne saurait le décrire. Devenu vite, trop vite, cet être indispensable à sa vie. Mais elle n’en a rien dit à son ami, peut-être par peur qu’il disparaisse aussitôt qu’elle aura rendu leur relation officielle. Ambroise, il a encore quelque chose d’irréel, pour elle. « Wow, je ne savais pas… » elle commente, un peu perdue dans ses pensées. Elle s’interroge, une brève seconde, se demande ce que l’élu de son cœur a pu dire sur leur relation à son colocataire. Celui-ci évoque un crush, ce qui fait timidement sourire l’amoureuse. « Eh bien… en réalité… »  bon sang, elle est beaucoup trop gênée. Seulement car elle sait qu’il va la tuer, Thomas, d’avoir gardé un tel secret. « Je crois que… on est ensemble, lui et moi. » Il y a quelque chose de fou dans le fait de ne lui avoir rien dit, à lui, qui partage tous les instants de sa vie. Ce n’est réellement pas contre Thomas, c’est juste cet amour naissant qu’elle a ressenti le besoin de préserver du reste du monde. Même à celui qui vient de la désigner comme sa meilleure amie. Une appellation qui fait sourire l’âme farouche alors qu’elle approche instantanément de lui. « Tu peux même en prendre plusieurs. Que je sois partout, partout, partout. » elle rétorque avec malice avant de se laisser prendre au jeu des selfies. Ils prennent plusieurs clichés, un moyen aussi de se remémorer cette soirée.

Et naturellement,
le jeu s’inverse,
dans les confidences,
à elle de tendre l’oreille.

Plus observatrice qu’elle n’en a l’air, la tourmentée a remarqué sans mal le changement d’attitude de Thomas. Plus ouvert sur le monde, plus souriant, plus confiant aussi. Son voyage jusqu’à la demeure familial l’a sans doute aidé à chasser certains démons de son passé. Et peut-être qu’elle aussi, à sa petite échelle, a contribué à son bien-être grâce à tout ce temps qui est passé. Exactement comme lui, il a su lui apporter une stabilité qu’elle ne pensait plus retrouver. Ils se sont épaulés, l’un l’autre, ils se sont tant donnés. Alors c’est presque une évidence qu’elle puisse comprendre qu’elle n’est plus la seule à venir éclairer un peu de son obscurité. Silencieuse, enfin, Ella se tait pour le laisser parler. Pour le laisser dire, même, tout ce qui peut lui passer à l’esprit. Elle écoute avec attention la description de cette Ivy dont le prénom lui rappelle cette fille qu’elle détestait au lycée. Mais loin de se focaliser sur ce fantôme du passé, elle préfère encore écouter les confidences de son ami. Il paraît déjà attaché, à l’écouter, mais aussi inquiet. Il confie la peur qu’il a de mal agir avec elle, comme l’angoisse de se retrouver face à des sentiments incontrôlables. « Je comprends ce que tu veux dire… c’est normal d’avoir peur… peur de laisser entrer quelqu’un dans ta vie et… dans ton cœur. » elle le sait, Ella, elle a ressenti la même chose quand elle a retrouvé l’être aimé. Elle l’a même ressenti plus d’une fois en réalité, chaque fois qu’elle a senti comme elle s’est rattachée à autrui. À une famille retrouvée, une autre qu’elle a décidé, à ses amis… à lui, aussi. Thomas, elle a eu peur de s’y attacher. Mais elle n’ose plus imaginer sa vie, désormais, sans lui à ses côtés. « Tu sais, Thomas… toi aussi t’as souffert. Je pense que si y’a un mec qui peut la comprendre et être patient avec elle, c’est toi. » il sera maladroit, peut-être. Il fera des erreurs, peut-être. Mais il saura rassurer son cœur comme personne. Elle le sait, Ella, il a su apprivoiser le sien pourtant bien sauvage.