le rayonnement des supernovas (elea)

- maman veut que tu reviennes tu sais.
elea a fugué.
elea s’est enfuit.
le sac à dos remonté sur ses épaules et l’héritage de papa fichu en l’air, dilapidé comme tout le reste.
(pourquoi tu pleures pas toi ?) elle n’a jamais répondu, s’en est allé, lassée des pleurs et des condoléances à n’en plus finir. elea elle s’abîme sur l’asphalte une fois la nuit tombée, maquille ses traits princiers avec la lumière bleutée d’une salle de concert. elea elle rêvait de tour du monde, s’imaginait déjà traverser les continents, pourtant sa chute s’est figée sur une avenue du queens, le temps suspendu dans un rire cristallin. elea ses baskets sont usées par le temps, ses jeans troués à force de maladresse et reste parfois la tâche carmin.
(parce qu’on pleure pas quand on n’est pas triste).
- dis lui que je ne reviendrai pas.

Les heures défilent. Filent.
Elle erre entre les rues mal éclairées de la ville, foule le bitume sur les empreintes encore chaudes du passage d’une voiture. Elea elle ne sait plus vers où, s’enfuit simplement lorsqu’elle traverse sans attendre le vert, flirte avec le rouge (si beau) et accélère quand les phares la surprennent quelques fois.
Le bar du coin est déjà trop loin. Les âmes esseulées prennent de la bouteille, terminent ivres. Un peu comme elle chaque fois que le sommeil refuse de franchir le seuil de sa porte. Un peu comme ce soir.
Les minutes s’étiolent. L’abîment.
Un goût salé lui tombe sur les lèvres, fait se froncer les traits de son visage et elle remonte la capuche sur ses cheveux blonds. La pluie orage freine un temps ses pas et elle cherche à s’échapper, à se cacher de l’averse. Ses pieds se noient dans les flaques, le souffle coupé parce qu’elle se met à courir à la recherche d’un toit pour s’abriter. Une maison de paille qui s’effondrera si le vent se lève. Une maison de bois que la bourrasque brisera. Elle est trempée quand elle arrête sa course sous un abris-bus, grelotte en plaquant ses bras croisés sur sa poitrine. Elle n’a plus qu’à attendre Elea. Attendre.

- maman a retrouvé quelqu’un, elle aimerait te le présenter.
elea elle emprunte les bouteilles, ramène ses rêves dilués pour troquer un verre contre un toit où dormir. elea joue de son accent anglais, fausse princesse anglaise, seule princesse déchue d’un royaume qui s’est effondré quand les pleurs ont commencé. enfant terrible dans les rues du queens, elle érige le majeur quand les paroles se font trop moralisatrices, son sac à dos qu’elle balade de la laverie à une adresse inconnue. elea ce sont les nuits improvisées sur des canapés qui se multiplient et les cadavres qui s’empilent.
faudrait qu’elle pense à trouver un appart.
- …
à ce message sur le répondeur non plus elle n’a pas répondu.

elea elle escalade les immeubles de la ville, son visage caché sous une casquette noire quand elle arrive sur les toits interdits. sur son toit du monde, une clope coincée entre ses lippes et des rêves pleins la tête. elea elle se fiche de tout ça, ne laisse qu’un sourire sur son visage, une comptine enfantine dans la tête quand ses pieds épousent le rebord. en contrebas les phares des voitures, en contrebas les petits points. elea elle a la tête dans les étoiles, pointe quelques fois du doigt celle qui la protège (quand il n’y a pas de nuage devant). un jour elle aussi elle s’envolera, dans son habit de cosmonaute.

elea a les fesses cloués sur son skate (parce qu’elle ne sait pas en faire).
elea elle a quitté l’angleterre il y a deux ans (parce que sa belle-mère pleurait trop, ça lui donnait des maux de tête).
elea elle ment pourtant.
sourire enfant, sourire artifice pour oublier qu’ici elle n’est pas vraiment chez elle.
mais elea elle rit quand vient le jour, charme sans trop savoir comment faire quand tombe la nuit (juste pour le pourboire).    
elea elle aime les jolis mots et les beaux tableaux (même qu'elle essaye parfois d'être comme ceux qu'elle adore, le fusain au bout des doigts -mais les mots, eux, restent trop souvent maladroit)