regards sans iris (ella)

☾ ☾ ☾
{ regards sans iris }
crédit/ tumblr ☾ w/@Coban Sorrentino

Les lignes qu’elle glisse sur le plateau sont comme une histoire qui la dévore à chaque nouveau chapitre. La poudre de fée exposée, avec tant d’harmonie, presque trop belle pour être sniffée. Mais elle ne perd pas de temps avec l’esthétisme de ses rails, Ella. Elle les enfile, l’une après l’autre, pour les laisser se diffuser dans son corps en manque. C’est bon. C’est tellement bon. Elle frotte son nez poudré de blanche tout en se relevant enfin, en transe. Peut-être que la soirée pourra enfin véritablement commencer. Bien plus que la musique, bien plus que l’ambiance festive, bien plus que tous les amis réunis. Ce ne sont pas pour eux qu’elle est venue, la junkie. C’est pour Elle, la c. De plus en plus accro à la merde qu’elle s’enfile, l’âme en perdition se laisse envahir par les effets tant désirés. Elle plane, Ella, elle plane pour mieux s’évader ; pour mieux oublie ; pour mieux s’oublier. Loin des démons qui la possèdent depuis trop longtemps, elle se sent libérée comme chaque fois que la dope fait son effet. Heureuse, enfin, de ce faux-bonheur qui paraît plus vrai que nature, elle s’amuse dans l’ivresse. Elle s’éclate à en perdre la tête.

Et tu oublies,
que demain matin, tu seras encore à l’agonie.

Éternelle rengaine, le refrain sans fin. Elle s’enivre de ces plaisirs éphémères ; elle chasse le temps d’une nuit l’enfer dans lequel elle est damnée. La môme est perdue, la môme se met à dériver. D’un couloir à l’autre de l’appartement, ses jambes commencent à flancher. Jusqu’à ce qu’elle se fasse soudain percuter. Violemment, peut-être, elle ne sait pas ; elle ne le réalise même pas. Trop sous l’emprise de la cocaïne, la maudite met quelques secondes de plus que Lui, pour comprendre de qui il s’agit. C’est la voix familière du jeune homme qui vient soudain lui rappeler, comme un retour vertigineux dans le passé. – Oh, p’tain, poussin !! elle l’affuble du surnom qui devait l’agacer, quinze ans plus tôt déjà. Coban, elle l’a rencontré au moment (certainement) le plus stable de son existence. Quand elle avait retrouvé Meg, Djawny, qu’ils étaient une famille. Les jolis souvenirs, commencent à remonter trop vite, avant qu’elle ne le prenne dans ses bras. Elle s’y jette davantage, en réalité, alors qu’elle aurait manqué de tomber sans le corps du jeune homme pour la rattraper. L’âme déchue le serre contre elle, comme si elle ne l’avait pas vu depuis une éternité. Pourtant, depuis toutes ces années, ils ont eu le temps plusieurs fois de se recroiser. Mais elle est trop stone, la camée, pour réaliser. Elle est juste heureuse de le retrouver. – Ça va très bien. dit-elle, sincère, parce que la coke fait trop bien son effet pour que ce ne soit pas vrai. – Mais, et toi ? T’es pas trop jeune pour v’nir ici tout seul ? elle lui demande tout en se reculant pour plonger ses pupilles dilatées dans ses opales. Ella, elle a l’esprit parti déjà trop loin, pour se dire qu’il n’est plus un gamin. Que, de tous les deux, là tout de suite, c’est elle qui paraît trop fragile pour rester seule dans ses dérives.

☾ ☾ ☾
{ regards sans iris }
crédit/ tumblr ☾ w/@Coban Sorrentino

Y’a une époque où elle n’avait pas besoin de ça. Ce n'est pas tant qu’elle n’en prenait pas. C’est à onze ans qu’elle a tiré pour la première fois sur la latte d’un joint. C’est jeune, trop jeune, indéniablement. Mais elle était dans cette période de sa vie où elle cherchait à s’évader de sa réalité. Elle défiait le monde constamment pour s’y sentir intégrée ; pour se sentir vivante. La coke a suivi, les autres substances aussi. Mais il n’y a que la poudre qui est restée, parce qu’elle est la came parfaite pour ce genre de soirées, celles où on veut seulement s’amuser. Elle n’était pas accro, durant des années, elle parvenait plus ou moins à contrôler. Elle pouvait s’en passer, quand elle était bien entourée. Quand il y avait encore Morgan qui venait la retrouver ; quand il y avait Djawny et Meg pour la ressourcer. Elle faisait plus attention, à ce moment-là, peut-être parce qu’il y avait des gens qui comptaient vraiment sur elle. Peut-être parce qu’elle n’était pas encore prise au piège.

Et puis, elle a dérivé,
à force de se noyer,
elle a fini seulement par couler.

Couler dans les abîmes, bercée par l’agonie. Elle se laisse mourir à petits feux pour oublier qu’elle aurait pu aimer la vie. Dans un autre monde, une autre réalité, ça aurait été possible. Mais, dans celui-ci, il n’y a plus de place que pour les vices. Puis, aussi, pour les amis, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui,
ceux qui sont plus ou moins ancrés dans sa vie,
ceux comme lui.
Coban, elle le serre dans ses bras, fort, plus fort qu’elle ne s’en rend compte. Elle est heureuse de retrouver la frimousse qui a toujours eu le don de l’attendrir. Cadet de la sulfureuse, elle l’a pris sous son aile, un siècle en arrière. Elle se recule pour mieux le contempler, les pupilles qui pétillent, alors qu’il se met à son tour à la taquiner. – Fais gaffe à ce que tu dis, gamin. elle lâche, comme elle le faisait, des années auparavant.

Comme si une éternité ne s’était pas écoulée,
comme s’il n’était pas devenu un adulte désormais.

Le sourire au bord des lèvres, la brune incendiaire suit le regard de son ancien protégé, posé sur cet ami avachi sur le canapé, en train de fumer. Elle laisse échapper un petit rictus avant de reporter son attention sur celui qui se tient à ses côtés. – J’espère que c’est pas lui qui te ramène. qu’elle lâche, d’une voix qui se veut autoritaire. Il éveille toujours en elle ce côté protecteur, son poussin. Alors même qu’elle ne se préoccupe de ces questions pour personne, surtout pas dans cet état. Attrapant un paquet de clopes sur la table un peu plus loin, elle en allume une pour tirer une taffe. Bien sûr, elle ne lui propose pas. – J’suis venue jouer les chaperons. elle élude, l’air taquin, un sourire malicieux sur ses lèvres carmin. L’âme déchue porte une nouvelle fois la cancéreuse jusqu’à elles avant de reprendre. – Toi, par contre, t’es pas si souvent là. Alors, dis-moi, poussin, tu deviens quoi ?

Il a grandi, le poussin,
il n’est plus un gamin,
il a dû évoluer,
il a dû se dépasser,
et toi, t’es toujours là, à te défoncer,
condamnée à te répéter,
damnée.

☾ ☾ ☾
{ regards sans iris }
crédit/ tumblr ☾ w/@Coban Sorrentino

La mélodie de sa voix est à la fois douce et amère.
Parce qu’elle renvoie à une époque  révolue ; une époque où elle était, à peu près, heureuse. Déjà hantée par les démons, elle les empêchait mieux de faire d’elle leur possession. Autant que la came, qui n’était pas encore une addiction. Coban, il provoque les effluves solaires, les souvenirs enchanteurs. Elle se rappelle, il la faisait rire aux éclats chaque fois qu’il s’essayait à imiter la ténébreuse.
Comme si elle était un exemple, Ella.

Le modèle de tout ce qu’il ne faudrait pas faire,
le contre-exemple pour ne pas finir en enfer.

Il a toujours été plus ou moins dans sa vie. Mais elle en a perdu la place ultime.
Celle qui le surveillait, celle qui veillait, celle qui comptait.
Ella, elle n’est plus que la poussière de ce qu’autrefois, elle était.
Mais elle retrouve dans son sourire le gamin qui la réchauffait.
Un rire léger sort de ses lèvres vermeil, la louve y porte sa cigarette. D’une main, elle tient le cancer ; de l’autre, l’ivresse. Mais, dans ses iris sans éclat, il n’y a que les mêmes ténèbres. Les poumons embrasés oscillent entre la mort et la vie quand elle a cessé depuis longtemps, elle, d’hésiter. – Arrête, on a que trois ans de différence.
C’est drôle comme la vie, elle change ;
c’est drôle, comme autrefois, c’était lui qui balançait cet argument.
Mais les taquineries n’empêchent pas l’instinct protecteur de l’écorchée vive sur son cadet. D’un hochement de tête, elle acquiesce, les prunelles inquisitrices venant à s’assurer qu’il n’est pas en état d’ébriété.

Ce serait difficile de t’en rendre compte, Ella,
quand t’es toi-même défoncée,
la poudre enfoncée jusqu’à tes pupilles dilatées.

Le sourire fêlé, elle l’écoute, l’abîmée. Elle l’écoute lui confier quelque chose qu’elle ne sait que trop bien. Il n’y a pas de place pour les rêves et les idéaux, pas de place pour la vie magnifique, pas dans le Queens. Ils sont les âmes maudites et délaissées par la vie. Ils sont les rejetés de la société, les relents que même les dieux des enfers préfèrent dégurgiter. – Il s’avère que le théâtre, ça paie pas. elle lui apprend, comme une évidence qui ne la frapperait que maintenant. Les desseins échappés, les ambitions inoubliées.
Avant, elle y croyait.

T’aurais aimé, Ella, trouver ta voie.,
ça aurait voulu dire que t’es faite pour quelque chose ici-bas,
qu’t’as autre chose à faire qu’attendre ton trépas.

Le soupir éreinté, pas d’une nuit d’insomnie, mais d’une vie entière passée sans vivre, elle laisse échapper son amertume. – Y’a des choses qui changent pas. elle rétorque, la voix nonchalante ; parce qu’elle a appris que paraître indifférente, c’est donner à l’autre l’occasion de l’être vraiment ; sans faux-semblant. Sans prétendre que l’on s’inquiète les uns pour les autres. Coban, il vaut mieux que tous ces autres. Mais il y a trop longtemps qu’elle n’est plus une constante dans sa vie. Il n’a aucune raison de sauter sur son fil en déséquilibre. Il pourrait tomber, lui aussi.
Et ça, tu ne le supporterais pas, Ella.
La cancéreuse glisse à nouveau entre ses lippes alors que les opales sombres de la junkie viennent chercher celles de son ami du passé. – T’as l’air différent, poussin. Comme si t’avais changé. Il est plus calme que dans son souvenir. C’est peut-être ce qu’on appelle grandir.
Toi, t’as jamais réussi.

☾ ☾ ☾
{ regards sans iris }
crédit/ tumblr ☾ w/@Coban Sorrentino

Y croire,
avoir de l’espoir,
y’a longtemps que c’est fini, tout ça.
y’a longtemps qu’elle a cessé d’espérer quoi que ce soit.
Les parents destructeurs, l’amour ravageur, elle a tout perdu, Ella. Même son rêve, celui de se confondre dans une autre peau que la sienne. S’insérer dans un autre rôle, un autre monde, en devenant comédienne. Tout pour oublier son propre univers. Tout pour oublier combien sa vraie vie peut être cauchemardesque. Elle a essayé, la môme avait un semblant d’ambitions ; mais quand tout a commencé à s’effriter, elle s’est résolue à un abandon.

Elle ne sera pas comédienne,
elle ne sera même pas célèbre,
elle sera juste la junkie de toutes ces fêtes,
celle qui s’enfonce dans les ténèbres,
celle qui n’a pas peur de finir en enfer,
parce que l’enfer, elle le connaît déjà sur terre.

D’un haussement d’épaules malhabile, l’écorchée vive confirme les mots empreints de fatalisme ; et tait les maux qu’ils signifient. Elle aurait voulu une autre vie que celle-là mais peut-être qu’elle ne l’a pas suffisamment désirée. Peut-être qu’elle n’avait pas la passion en elle. La seule drogue qui l’accroche, Ella, c’est celle qui coule dans ses veines. Portant son verre de vodka – ou bien de rhum, elle ne sait plus trop – jusqu’à ses lèvres, la ténébreuse en prend une gorgée alors qu’elle écoute les songes amers de son ami d’autrefois. L’impression d’être jugée, l’impression d’être blâmée. Condamnée par ce garçon qui, quelques années plus tôt, l’admirait. Accusée de continuer à être celle qu’il appréciait. Elle n’a pas changé, peut-être juste parce qu’il n’y a jamais eu rien pour la pousser à s’améliorer. Ou, même quand c’est arrivé, elle a tout gâché. Les effluves du passé remontent alors qu’il continue de parler. Et elle, en train de se remémorer Meg, Djawny. Tout ce qu’elle a détruit. Elle détourne ses pupilles noires un bref instant comme pour réfuter tout ce qu’il peut dire. Perdue perdue pour l’âme déchue. – Et j’peux espérer quoi d’autre, hein, Coban ? Tu crois qu’il y a la place pour autre chose dans cette putain de vie ? le ton n’est pas monté, mais la voix paraît légèrement agacée. Blessée, en réalité, de se sentir attaquée, pour être celle qu’elle est.  L’éthanol est y sans doute pour quelque chose.  Mais moins encore que la douleur qui s’accroche. Prunelles enfoncées dans ses homologues,  la tourmentée laisse échapper un faible soupir avant d’éteindre son mégot. Si elle paraît fatalement se complaire dans la déchéance devenue ordinaire, le poussin lui semble désillusionné. Comme s’il avait cessé de croire en ce qu’avant, il tentait au moins d’espérer. Comme si la vie l’avait rappelé à l’ordre, lui fait comprendre qu’il n’est plus un gosse.

Coban, il voudrait autre chose.

Comme elle, comme eux, comme le monde entier. Il aspire à une vie qui n’est pas la sienne ; à se laisser tenter par un autre univers. Là où on pourrait croire encore aux rêves. Mutique, l’âme déchue le contemple de ses prunelles défoncées, déroutée et à la fois pas si étonnée. – Et t’as envie de quoi alors, Coban, dis-moi ? Continuer de venir à des soirées qui te plombent l’humeur pour oublier que t’as le cafard même quand t’es tout seul ? Ne pas faire la fête, pas prendre le risque de t’amuser, parce que tu devrais de nouveau affronter ta triste réalité ? elle approche de la table pour se servir un nouveau verre. Pas de diluant, ni rien pour rendre le breuvage moins intense, elle avale tout sec l’alcool brûlant. – Moi, je crois qu’on essaie tous de survivre chacun à sa manière. Y’en a juste qui y arrivent mieux que d’autres.

Et tu fais pas partie de ceux-là, Ella,
toi, tu sais pas y faire,
tu tombes chaque fois que t’essaies,
tu tombes plus bas que terre.

Spoiler:

☾ ☾ ☾
{ regards sans iris }
crédit/ tumblr ☾ w/@Coban Sorrentino

En manque,
c’est ainsi qu’elle s’est sentie toute sa vie, la junkie, en manque.
En manque de protection, en manque d’attention, en manque d’affection. Le manque d’amour a généré le manque de confiance, le manque de confiance celui d’ambition, puis c’est toute son âme qui est tombée en perdition. Elle n’est qu’une camée, Ella, une camée qui n’attend plus rien de son existence. Juste quelques doses, quelques lignes de cocaïne qui, peut-être, lui feront oublier quelques heures la misère de sa vie. Seulement, se retrouver devant Coban la confronte à tout ce qu’elle a été ; tout ce qu’elle aurait pu être, surtout. Il connaît les rêves déchus, les illusions perdues. Elle lui disait, Ella, qu’elle serait comédienne ; qu’elle foulerait les planches de Broadway. Elle lui disait, le sourire moins fêlé, que celui qu’elle lui offre désormais. « C’est ce qu’on croyait quand on est gamin, ça. » elle lance, la voix amère ; acerbe à cause de cette réalité trop cruelle.

Désillusionnée, l’écorchée vive peine chaque matin à se lever de son lit,
comment pourrait-elle espérer quelque chose de la vie ?

Elle a renoncé, Ella. Elle a relancé au bonheur qui n’a jamais été à sa portée. Elle a renoncé à tout ce qu’on ne lui a de toute manière jamais donné. Mais l’air désabusé, presque fataliste tant elle a accepté de sombrer, se laisse disparaître derrière une fausse colère contre Coban. Ou bien elle est réellement en colère, mais pas contre lui. Non, juste contre cette vie ; celle qui ne veut pas d’elle. Les pupilles sombres fixées sur son ami du passé, l’abîmée l’écoute lui expliquer comment, lui, il parvient à vivre. Pour lui, il n’est même pas question de survie. Il se laisse errer, d’une vie à l’autre, le cœur vagabond. « Donc tu me dis qu’il faut rien attendre de la vie pour pas être déçu ? C’est quoi la différence avec moi, j’ai l’air d’attendre quelque chose là ? » Peut-être. Peut-être que tu attends désespérément le moment où on viendra te sauver. Ou peut-être juste que tu patientes jusqu’à celui où tu vas trépasser. Peut-être que tu veux seulement sortir de ce maudit purgatoire, peu importe la manière, peu importe si tu finis au paradis ou en enfer. Gorge nouée, elle encaisse les mots de Coban sans protester. Elle ne peut pas contredire des faits avérés. « Sûrement. Si tu veux bien, la camée va maintenant se barrer… » elle pose maladroitement son verre sur la table la plus proche ; prête à tourner les talons. Admettre le chaos dans lequel elle est plongée, elle peut y arriver. C’est plus difficile d’affronter les prunelles de Coban, celles qui, autrefois, brillaient, quand il la contemplait.

J’aurais voulu que rien ne change,
que tout reste comme avant,
j’aurais voulu ne jamais vous perdre,
toi, Djawny, Meg,
j’aurais voulu, Coban,
j’aurais tellement voulu qu’on redevienne des enfants,
qu’on remonte le temps,
qu’on soit comme avant,
mais on se retrouve piégé dans ce putain de présent.