tu viendras longtemps marcher dans mes rêves. (warston)

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{ Tu viendras longtemps
marcher dans mes rêves }
crédit/ tumblr ♛  w/ @nikolaï Warren

« Je te prouverais le contraire. C’est pas terminé Isa. Quoi que tu dises, quoi que tu penses. » Ses derniers mots ne sont pas sortis de son esprit depuis qu’il les a prononcés. Ils se sont répétés en boucle, dans ses tourments névrosés, un peu comme un disque rayé, à force de l’écouter. À force d’y penser. Elle n’a pas su comment les interpréter sur le moment, ni comment réagir. Elle n’a pas sur quoi dire. Il se trompe, Nikolaï. Tous les deux, c’est bel et bien terminé. Parce qu’ils se font plus de mal que de bien, parce qu’ils ne savent pas écouter ce dont l’autre a besoin. Ils ont essayé durant des jours, des semaines, de trouver un terrain d’entente, en vain. Ce n’est pas maintenant qu’ils sont séparés qu’ils sont capables de se retrouver. Pourtant, elle n’arrête pas pour autant d’y songer. De se torturer elle-même avec tout ce qu’il a pu lui confier. Tout ce qu’elle a pu elle aussi lui avouer. Elle l’aime, Nikolaï, elle l’aimera certainement toujours. Pas de celles qui oublient, elle sait pourtant tirer un trait sur ses amours. Mais personne avant lui n’avait formulé l’envie si forte de la retrouver. Il paraissait tellement désemparé, souffrir tellement à cause d’elle.

Et toi aussi,
tu souffres de cette rupture jamais désirée,
celle qui vous a juste été imposée.

Il pense que c’est elle qui ne veut pas se battre pour eux. Peut-être qu’il a raison, peut-être qu’elle est incapable d’accepter de lutter, quand tout lui semble déjà perdu d’avance. Car elle a pris l’habitude que ses relations se terminent si vite, car elle a fini par accepter qu’elles ne pourront jamais vraiment durer. Elle l’a cru avec lui, Isa, mais elle a eu tort. Tort de croire qu’elle a le droit au bonheur alors que toute sa vie lui a prouvé le contraire. Condamnée à vivre avec pour seuls compagnons tous ses démons. Ceux qui hantent son existence et son quotidien. Ceux qui submergent la moindre de ses pensées. Ceux qui reviennent chaque fois qu’elle se retrouve seule avec ses sombres idées. Elle a beau l’aimer, Nikolaï, elle n’est pas capable de les vaincre. Pas capable, non plus, de vaincre ce besoin de souffrance. Ce sentiment de se complaire au milieu des ronces. Vivre dans la douleur, c’est peut-être la seule manière que sait battre son cœur. La seule durable, la seule qu’elle aura, jusqu’à la fin.

Et tu acceptes ton sort,
parce qu’il n’y a pas de remède à la noirceur,
pas de solution pour guérir ton écorché de cœur.

Elle a pensé tant de fois à ce qu’elle aurait pu faire. À ce qu’elle aurait dû faire. Nikolaï, il ne lui a jamais dit clairement, mais ce qu’il voulait, c’était qu’elle rompt tout contact avec son ex. Qu’elle l’oublie comme elle était censée l’avoir oublier. Il n’a pas compris que ce ne sont pas les sentiments qui guident ses choix, Isa. Sinon, elle ne l’aurait pas quitté, certainement pas. Elle serait restée avec lui coûte que coûte. Non, c’est la douleur qui prime sur ses décisions. C’est elle, le seul moteur de tout ce qui peut se passer dans son existence. C’est cette douleur qui l’incite à se rapprocher de l’homme dont elle a divorcé. La douleur comme drogue, sans même qu’elle ne puisse le réaliser. Et il y a la culpabilité, qui va de pair avec la souffrance, la culpabilité qui la pousse davantage encore à lui rester liée. La veille, justement, ils se sont vus avec Luke. Un simple dîner, pour qu’elle lui donne son opinion sur son entreprise, mais un dîner n’est jamais simple avec Luke. Il l’a invitée dans un restaurant luxueux, où la tenue chic et élégante est de mise. Un restaurant côtoyé par le milieu mondain qui, facilement, les a repérés. Et les gens, déjà, ont commencé à parler.

S’ils savaient,
s’ils savaient tous,
qu’il n’y en a qu’un qui a ton amour.

Elle n’y a pas prêté attention, Isa. Elle a bien senti quelques regards mais s’est concentrée sur la raison de ce dîner. C’était un repas d’affaires, professionnel, même si Luke a tenté parfois de bifurquer le sujet. Étonné qu’elle ait accepté ce dîner vis-à-vis de son petit-ami, elle n’est pas rentrée dans les détails. Elle ne lui a rien dit, même s’il a compris. C’est facile de comprendre. Ce soir-là, elle n’a pas beaucoup souri. Mais le quotidien a repris son cours. Et c’est chez Peyton à cet instant qu’elle se trouve. Loin de ces préoccupations, elle est en plein travail lorsqu’elle entend la sonnette à l’entrée. Un peu surprise, elle va ouvrir,  s’attendant à retrouver un ami de sa sœur. Certainement pas à l’élu de son cœur. – Nikolaï ? lui demande-t-elle, plus que déroutée par sa présence. Il lui avait dit, pourtant, que ce n’était pas terminé.

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Il y a tout son être qui menace de s’effondrer. L’âme en permanence en équilibre, le cœur qui ne tient plus qu’à un fil. Elle pourrait tomber, elle pourrait chuter, si rapidement. Si facilement. Mais elle tient le coup, Isabella, parce que c’est ce qu’elle a toujours fait, tenir le coup. Elle a appris à encaisser la violence avec laquelle la vie s’affaire à la malmener. Elle a appris à serrer les dents et garder la tête haute, peu importe ô combien elle peut être torturée. C’est presque plus facile, en vérité, de supporter cette douleur qui lui lacère le cœur, que vivre en plein bonheur. Un bonheur inopiné, qu’elle n’a jamais pensé mériter, un bonheur qui lui a a été attribué par erreur. Un peu comme si elle n’en était pas la véritable destinataire, elle savait qu’à un moment ou un autre, il lui serait repris. Il lui serait enlevé, pour remettre chaque chose à sa place. Non, Isabella, elle n’est pas faite pour vivre une belle et grande histoire d’amour. Ce sont les chagrins qui s’enchaînent, les désillusions qui se déchaînent. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve à nouveau seule.

Mais seule, tu ne l’es jamais vraiment,
ils sont toujours là, tes vieux démons,
ils seront là, tant que tu respireras,
tant que tu vivras.

Comme une manière de se complaire au milieu de ses ténèbres. Elle reste confinée chez sa sœur, en plein travail, plutôt qu’à tenter de retrouver ailleurs un peu de lumière. Elle n’a pas le cœur à voir du monde, même si elle essaie, Isa. Elle essaie de se forcer, parce qu’elle ne le regrette jamais. Qu’il s’agisse de ses amis ou bien de sa famille, elle sent toujours ce petit souffle de vie lui revenir quand ils sont à ses côtés. Alors elle essaie, oui, elle a même accepté la veille au soir ce dîner. Elle a accepté de retrouver son ex, le temps d’une invitation, le temps de répondre à quelques-unes de ses questions. Cela lui a fait du bien, aussi, de sortir, s’aérer. Mais elle n’a aucune idée des conséquences de ces quelques minutes déjà envolées. Elle n’en a aucune idée quand elle entend la sonnette à la porte retentir une première fois, puis une deuxième. Un coup un peu fébrile, comme si la personne s’impatientait, comme si elle ne pouvait pas attendre. Sans s’offusquer, la latina part ouvrir la porte, sans se douter non plus, se retrouver face à l’homme qu’elle aime. Il l’a prévenue, qu’il ne comptait pas laisser tomber. Que, lui, n’allait pas abandonner.

Des mots auxquels tu n’as pas su réagir,
tu n’as pas su quoi dire,
tu n’as même pas su quoi ressentir.

Peut-être qu’une partie d’elle s’est sentie frustrée, blessée, qu’il veuille encore un peu plus les torturer. Mais il y en a une autre qu’elle n’avouera probablement jamais. Touchée, elle a été touchée en vérité. Touchée de voir qu’il était prêt à tout pour la garder. Pour la retrouver. C’est juste que… elle sait que c’est impossible, Isabella. Elle sait qu’il y a des choses qui ne se réparent pas. Elle a trop souvent essayé, elle a trop souvent été quittée. Ou bien c’est elle qui a toujours choisi de filer. S’éloigner, lentement, pour les pousser à partir brusquement. Le bonheur, cette chimère qu’elle n’a pas les moyens de frôler du doigt. Avec Nikolaï, elle a réfléchi à tellement de possibilités. Elle a envisagé de rompre tout contact avec son ex-mari, mais cela n’aurait pas été juste pour lui. Cela aurait été se trahir elle-même aussi. Elle a songé à  une nouvelle, une énième conversation avec son petit-ami. Mais rien n’y fait, elle a compris qu’il ne l’acceptera jamais. Non, elle n’a aucune option, aucun moyen de réagir sans que l’un d’eux soit laissé pour compte.

Et c’est ton couple que t’as anéanti,
ton amour, ton bonheur, ton souffle de vie,
sacrifiés, à l’instant où t’es partie.

Alors peut-être qu’elle a été touchée, c’est vrai. Mais elle aurait préféré éviter que ses promesses soient exécutées. Elle aurait préféré que son cœur soit, une nouvelle fois, chamboulé. Elle ne sait pas si elle va tenir longtemps. Mais elle se rend compte, rapidement. Il n’est pas dans son état normal, pas comme d’habitude, Nikolaï. Il paraît nerveux, les deux océans aussi glacials que des lames de rasoir, rivées dans ses prunelles prises au dépourvu. Elle fronce à peine les sourcils, comme si elle ne saisissait pas, ce dont il peut bien parler. – Qu’est-ce qui est une blague…? elle lui demande, tentant de comprendre. Et, enfin, il prononce les mots. Ceux qu’elle n’attendait pas, mais qu’elle aurait dû prévoir. Ceux qu’elle ne peut plus entendre de sa bouche. Elle baisse le regard, Isa, pas par honte ou par culpabilité, plutôt par consternation. – Nikolaï, je n’ai aucune envie de me disputer encore avec toi. Oui, elle était avec Luke. Elle ne le dit pas, elle n’a pas besoin de le dire. Bon sang, elle ne devrait même pas avoir à le dire. C’est pour arrêter toutes ces disputes qu’elle est partie. Elle n’a aucune envie de continuer maintenant qu’elle n’est plus avec lui.

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Rien n’a changé. Isabella, elle n’a pas changé. La force de ses sentiments pour Nikolaï est toujours aussi marquée, aussi ancrée en elle, peut-être à tout jamais. Elle ne peut pas envisager cesser de l’aimer un jour, un peu comme s’il était entré en elle depuis le début pour toujours. Il est dans chacun de ses pas, chacune de ses pensées, heureuses ou bien tourmentées. Il est dans tous ses rêves, il coule partout dans ses veines. Elle l’aime, Nikolaï, elle l’aime éperdument. Elle l’a même avoué lors de leur dernière rencontre, parce qu’elle n’a pas cherché à taire ses sentiments. Elle n’a pas cherché la facilité du mensonge. Elle l’avait fait une fois, quand Luke l’avait obligée à le quitter, sous peine de le mettre en danger. Elle avait réussi à le faire uniquement pour le protéger. Mais elle n’en a pas la force à cet instant, elle n’en a pas la force après tout ce qu’ils ont traversé ensemble. Ce serait mentir, ce serait briser tout ce qu’ils ont été. Toute cette relation magnifique qu’elle ne regrettera jamais. Non, elle ne peut pas se résoudre à mentir sur son amour. Mais elle n’a peut-être pas besoin d’user de mensonges quand ses actes suffisent. Quand toute cette haine et cette rancœur qu’il éprouve à l’égard de son ex-mari se poursuivent. Elle le fait douter de son amour sans le décider, sans même le souhaiter. Sans même le vouloir.

Comme si tu étais faite pour tout gâcher,
comme s’il n’y avait rien que tu ne peux pas entacher,
de cette noirceur qui vient tout absorber.

Il est là, devant elle, le visage fermé sous la colère. L’air nerveux, prêt à craquer et en même temps si amer. Comme si la haine et le dégoût avaient fini d’effacer toute trace des souvenirs passés, comme s’il se demandait comment il avait pu l’aimer. Elle ne l’a jamais vu ainsi, Nikolaï. Elle l’a encore moins mis, elle, dans cet état. Elle sent la rage qui l’habite, elle la ressent intensément, comme si elle pouvait encore deviner ce qu’il peut éprouver. Leurs deux cœurs ont peut-être cessé de battre à l’unisson, mais ils sont toujours liés. Ils seront toujours aussi liés. Avoir une nouvelle conversation, une nouvelle dispute, au sujet de Luke n’est pas une option envisageable. Elle n’en a plus la force, Isa, trop vulnérable. Trop occupée à se battre contre ses propres souffrances pour se battre encore contre l’homme qu’elle aime. Et c’est ce qu’elle lui dit, ce qu’elle lui demande sans un bruit. Ne pas se disputer encore avec lui. L’âme trop écorchée, elle n’est pas faite pour tous ces conflits. Mais il n’est pas venu pour rien, Nikolaï, peut-être que c’est ce dont lui a besoin. Il paraît même sous le choc qu’elle puisse réagir de cette façon, encore plus nerveux, encore plus anxieux.

Tu ressens son angoisse comme si c’était toi qui la vivais,
comme si vous étiez à jamais liés,
pour vous être trop aimés.

Mais elle n’était pas préparée à la violence des mots prononcés. Il croit qu’elle est passée à autre chose, il croit qu’elle est avec Luke. Les prunelles de la latina s’arrondissent de stupeur alors qu’il lui laisse à peine le temps de lui répondre. - C’est une plaisanterie... souffle-t-elle, sous le contrecoup, plus pour elle-même que pour lui. Lui, de toute manière, n’est pas prêt à l’écouter. C’est seulement toute sa colère et son incompréhension qu’il a envie de verser. Mais Isa, elle est stupéfaite qu’il puisse encore venir lui demander des comptes au sujet de Luke, alors que c’est précisément à cause de toute cette pression qu’elle est partie. Elle est partie parce qu’il ne lui faisait absolument pas confiance, qu’il lui donnait la sensation de subir toute cette souffrance. Et il reproduit la même chose, encore et encore. Il va même encore plus loin cette fois, en insinuant qu’elle avait prémédité de retomber dans ses bras. - Mais comment peux-tu penser une chose pareille ? C’est précisément ce qu’il est en train de se faire, des idées. Il se laisse aller à son impulsivité. Aux doutes qui doivent le ronger. Les doutes qu’elle lui inspire, Isabella, quoi qu’il a pu en dire. Elle secoue la tête de gauche à droite, fébrilement, comme dépassée par le moment. - Tu réalises au moins que c’est précisément à cause de ta paranoïa que l’on en est là ? Et tu continues encore, tu... tu ne te rends même pas compte ! Et il ose prétendre qu’il n’arrive pas à y croire. Mais c’est en elle qu’il n’a jamais pu croire. Comment peut-il douter comme il le fait, comment peut-il manquer autant de clarté ? Comment peut-il oublier combien elle peut l’aimer ?

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Son amour pour lui est né comme un sursaut. Éclat de bonheur inattendu au milieu des flots, il est entré dans sa vie par effraction. Il s’est immiscé lentement, comme un délicieux poison, sans même qu’elle ne s’en rende compte. Mais le poison a ses mauvais côtés, il l’a laissée dépossédée. Dénuée de toutes ses forces, elle en est là, à nouveau cassée. À nouveau brisée. Peut-être qu’elle n’a jamais cessé de l’être. Peut-être que tout ce bonheur n’était qu’une chimère. Une illusion bien vite rattrapée par les méandres trop sombres de sa vie. Elle s’en rend compte, Isabella, alors qu’il est là devant elle. Lui si aimant, autrefois, lui qui l’éclairait de toute sa lumière. Il est devenu ce visage qui la hante, cet amour maudit qui la ronge. Elle savait qu’aimer pouvait être compliqué, elle l’avait déjà expérimenté. Mais elle n’imaginait pas que l’amour puisse être aussi destructeur. Aussi ravageur. Jusqu’à lui faire oublier les tourments habituels de son existence faite de noirceur. Jusqu’à éclipser tous les autres maux, comme si les démons eux-mêmes de son esprit torturé avaient choisi de filer. Comme s’il les avait tous chassés. Il paraît que, lorsqu’un corps est blessé à de multiples endroits, c’est la douleur la plus intense que l’on ressent. Celle qui met de côté tout le reste comme si le cerveau ne se concentrait plus que sur cet endroit précisément. C’est peut-être la même chose pour le cœur. C’est peut-être la pire des douleurs.

Comme s’il n’y avait pas pire que de le perdre,
l’homme que tu aimes,
l’homme qui te déteste.

Elle la voit, la haine, dans les prunelles assombries de Nikolaï. Dans les deux océans, dans lesquels elle s’est si souvent noyée, qui la glacent. Peut-être qu’il la hait à la hauteur de l’amour qu’il peut éprouver, peut-être que ce sont les personnes qui nous font tant de bien qui nous font ensuite le plus de mal. Parce qu’il lui fait mal, à cet instant, vraiment mal. Elle a l’impression que chaque mot est un coup de poignard qu’il inflige à son cœur déjà trop écorché. L’impression, encore plus douloureuse, de lui infliger les mêmes  plaies. Ce n’est pas ce qu’elle voulait, elle n’a jamais voulu faire de mal à personne, surtout pas à lui. Surtout pas à lui. Plus de tendresse entre eux, juste toute cette violence incontrôlable. Juste cette douleur viscérale. Il y a toute cette nervosité en Nikolaï, comme s’il menaçait à tout instant de craquer ; de crier ; de frapper. D’extérioriser ce mal-être avec lequel elle l’a contaminé, celui avec lequel elle vit, elle, depuis trop d’années. Il est en train d’imaginer le pire, même plus encore que ce qu’il peut dire, mais c’est déjà bien assez pour la toucher en plein cœur. Lui lacérer son maudit cœur. Devant ses mots, elle a cette sensation d’être une usurpatrice, d’avoir passé tout son temps à lui mentir. Mais c’est faux, il devrait savoir combien c’est faux. Il devrait la connaître bien mieux que ce qu’il pense à cet instant. Il lui demande des explications, comme un amant jaloux, comme s’ils en étaient toujours là. Il lui demande de se justifier alors qu’il a déjà décidé de ne plus la croire. Il ne le faisait pas quand ils étaient ensemble, pourquoi le ferait-il maintenant ? Pourtant, visiblement, c’est elle la responsable. Elle qui le pousse à penser comme il le fait. Les provocations balancées, comme s’il pensait que c’était autre chose, comme s’il n’avait plus confiance. Comme si, cela aussi, elle l’avait perdu quand elle l’a perdu, lui. – Tu ne devrais même pas me poser une question pareille ! Tu es censé me connaître mieux que ça ! Il pense réellement qu’elle pourrait avoir des intentions cachées envers Luke, il pense qu’elle lui a menti tout ce temps ?

Il pensera bientôt que tu ne l’as jamais aimé,
sans réaliser combien il est en train de te tuer.

– Mais pourquoi je te mentirais ?! Pourquoi je continuerais à te mentir ?! La sensation douloureuse qu’elle aura beau dire tout ce qu’elle veut, son opinion est déjà bien claire. Il n’est pas venu pour l’écouter, juste pour extérioriser sa colère. La rage qui le consume, celle qu’il crache sur elle comme un venin. Elle peut à peine réagir, Isa, elle n’a plus les cartes en mains. Elle n’a plus rien entre les mains. Et quand il commence à analyser ce qu’elle peut bien ressentir, c’est la goutte d’eau de trop, celle qui fait tout exploser. Comme si tout ce qu’il avait versé n’était encore que l’essence, mais qu’il venait de balancer l’allumette pour tout faire brûler. Pour la faire, elle, imploser. – Tu ne sais rien ! Tu n’as aucun droit de déduire quoi que ce soit sur ce que je peux ressentir, parce que tu n’as aucune idée de ce que je peux vivre ! Comment peut-il la juger, comment peut-il douter de ce qu’elle peut éprouver, après tout ce qu’ils ont traversé ? Tout ce qu’elle lui a confié ? Ne le voit-il pas ? Elle n’a, juste, plus la force de lutter, plus la force de courir après un bonheur qui n’a jamais été fait pour elle. – Tu fais toujours ça ! Tu déduis des choses tout seul, comme si tu étais à l’intérieur de moi, comme si tu pouvais deviner ce qui se passe en moi ! Mais je ne suis pas toi ! Je ne fonctionne pas comme toi, tu peux le comprendre ? Et il a réussi à la mettre en colère. Comble de l’exploit, elle qui affirme ne plus avoir la force de le faire. Plus la force de se battre. Mais il l’a toujours poussée au-delà de ses limites, Nikolaï.

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Il est en train de la dévaster. Nikolaï, il va la tuer. Après lui avoir donné un second souffle, après lui avoir redonné vie, c’est comme s’il était en train de la tuer. Comme s’il voulait reprendre tout ce qu’il lui a offert par le passé. Comme s’il l’avait trop aimée, pour ne pas autant la détester. Mais elle ne le haït pas, elle, elle essaie depuis le début de se séparer de lui en douceur. D’éviter de torturer un peu plus leurs deux cœurs. Mais c’est comme s’il n’était pas capable d’en faire de même, pas capable de les préserver, au nom de ce qu’ils ont été. Comme s’il n’y avait que cette haine, cette colère. Cette rage qui le consume et l’entraîne, elle aussi, avec lui. Elle n’est pas faite pour ressentir de telles émotions, Isabella. L’âme déjà trop écorchée, le cœur trop abîmé, il est juste en train de la briser. Il la brise plus qu’elle ne l’est déjà quand il lui a toujours promis de tout faire pour la sauver. C’est tout le contraire qu’il réalise, sans scrupule, comme s’il voulait qu’elle souffre autant que lui. Pourtant, il n’a pas de crainte à avoir, elle a mal, Isa. Elle a aussi mal que lui, peut-être plus mal encore que lui. Elle n’a pas seulement perdu l’amour, elle perd aussi le soutien et la présence incommensurables qu’il lui offrait chaque jour. Elle perd tout ce qui l’aidait à tenir debout, tout ce qui la maintenant encore en vie malgré tout. Elle se retrouve face à cet homme qu’elle reconnaît à peine. Tellement touché par la douleur et la peine. Il aura fallu de quelques jours pour le changer, Nikolaï. Quelques jours de souffrance pour qu’il devienne aussi cruel, aussi dur avec elle. Alors comment… comment ne peut-il pas se rendre compte combien elle, peut être touchée. Cela ne fait pas seulement quelques jours qu’elle vit avec la douleur, Isabella. Ce sont des années, des années entières de souffrance qu’elle porte sur les épaules. Il lui a suffi de quelques jours, lui, pour changer. Il est incapable d’imaginer ce que des années entières pourraient provoquer. Ce qu’une souffrance aussi forte pourrait faire de lui. Ce qu’elle a fait d’elle.

Mais il ne voit rien,

rien d’autre que tes travers,
rien d’autre que tes ténèbres,

et pas ce dont t’as besoin.

Peut-être que c’est sa faute. Peut-être que c’est elle qui est trop compliquée, trop névrosée. Trop torturée pour qu’il puisse la comprendre, ou même l’accepter. Peut-être qu’elle n’a jamais été capable de guérir des sévices infligées. Peut-être qu’elle est juste trop brisée. C’est comme si elle était malade, Isabella, et que le mal s’était répandu partout. Dans tout son corps, dans tout son esprit, dans tout son cœur. C’est dans tout son être qu’elle est submergée, et c’est Nikolaï qu’elle parvient à contaminer. Elle le voit dans cette lueur assombrie dans ses iris plus si bleutées, dans cette voix remplie de haine à chacun de ses mots balancés. Il n’est devenu que de la rancœur, à cause de cette jalousie, à cause de toute cette douleur. À cause de cet amour qui le détruit avec elle. Et quand, sous le choc de tous les doutes qui l’assaillent, elle essaie de lui faire réaliser combien il est loin de la réalité… il continue à lui demander de se justifier. Il continue à lui demander des réponses, des explications, comme si c’était tout ce qu’il avait besoin de savoir, ce qu’elle a fait avec Luke. Comme s’il ne la connaissait pas, comme s’il ne la connaissait plus. – Mais parce que tu ne devrais même pas me poser la question ! Et si tu le fais, c’est que nous nous sommes tous les deux trompés ! Non, elle n’a pas pu donner toute sa confiance à un homme qui ne lui en accorde aucune. Elle n’a pas pu autant se dévoiler à un homme qui n’a aucune idée de celle qu’elle est réellement. Une idée trop difficile à envisager, elle ne peut pas l’accepter.

Et tu empires encore la situation,
chaque fois que tu éludes ses questions.

Elle ne se rend même pas compte du cercle sans fin dans lequel ils se plongent. Cercle vicieux qui finira par avoir raison d’eux. Elle pourrait lui dire, simplement, qu’elle a seulement accepté ce dîner pour des raisons professionnelles. Lui dire qu’il ne se passe rien avec Luke, qu’il ne se passera jamais rien. Mais il ne l’écoutera pas… il ne la croira pas. Il ne l’a pas crue, tant de fois, elle ne voit pas ce qui changerait cette fois. Il ose prétendre qu’elle ne lui dit rien alors qu’elle ne compte plus toutes les conversations qu’ils ont eues, toutes les tentatives pour le rassurer perdues. – Je te l’ai dit des centaines de fois ! Mais tu ne me crois pas, tu ne m’as pas crue, pourquoi cela changerait maintenant ? Comment cela pourrait changer maintenant alors que tu es déjà sûr de tout savoir ! Le ton de sa voix n’est plus calme du tout. Il a réussi l’exploit de la mettre à bout. Ce n’est pas si souvent qu’elle est en colère, c’est même quelque chose qu’elle n’est jamais. La situation qu’elle garde en permanence sous le contrôle, elle n’en a pas besoin en réalité. Pas besoin, sauf avec lui. Parce qu’elle n’a jamais eu le contrôle, avec lui. Il la fait sortir de ses gonds, lui fait perdre toute maîtrise de la situation. Dès l’instant où il se met à analyser son âme en perdition.

Il n’a pas le droit au jugement,
il n’a aucune idée de ce que tu ressens,
il n’en aura jamais l’idée, parce qu’il ne sait pas ce que c’est,
il ne saura jamais ce que c’est.

Et il continue de la juger. Juger ce qu’elle peut éprouver. Juger qu’elle le vit bien, alors qu’il n’en sait rien. Il n’a aucune idée de combien elle souffre. – Je ne comprends même pas comment tu peux… Elle ne termine pas sa phrase, trop blessée qu’il puisse douter de ses sentiments. Douter qu’elle souffre, douter qu’elle l’aime. Douter d’elle. C’est comme si, soudain, elle n’était plus rien. Comme s’ils n’avaient en réalité jamais rien partagé, jamais rien vécu ensemble. Et, pourtant, lui est bien décidé à lui prouver qu’il la connaît. Qu’il a tout cerné en elle, tout compris, comme un mystère qu’il a résolu. La vérité, sa vérité, qu’il lui balance, sans aucun ménagement. Il lui crache au visage combien elle n’est qu’une âme torturée, qui préfère vivre dans le passé. Vivre avec sa douleur plutôt que croire au bonheur. Qu’elle brise sa propre vie en choisissant le mal plutôt que le bien, en se tournant vers la noirceur plutôt que la lumière. Il est en train de la détruire, coup par coup, jusqu’à complètement l’anéantir. Et Isa, elle ne dit plus rien, elle encaisse quand elle voudrait qu’il s’arrête. Qu’il se taise.   – Je suis… attirée par les ténèbres… c’est comme ça que tu me vois… Jamais, on ne lui a dit une chose pareille. Isa, elle est plutôt de ceux que l’on voit dans la lumière. Sauf qu’ils se trompent, les autres, elle est ensevelie sous sa noirceur. C’est lui qui a raison, c’est lui qui dit la vérité. Mais la vérité fait mal, plus encore quand elle est si brutalement balancée. – Je veux que tu t’en ailles. qu’elle lâche, la voix chargée par l’émotion. Chargée par le cœur qu’il a détruit en mille morceaux.