bette davis eyes ± marybeth

traits de caractère / enfant, t'étais une gamine rêveuse. n'ayant pas peur de jouer avec les plus grands, de sauter dans les flaques d'eau ou de suivre tes aînés toute une journée entière pour crapahuter à travers les rues de la ville que vous connaissez par cœur. studieuse, sociale et la générosité héritée de tes parents tu es devenue une adolescente fleur bleue, romantique, toujours trop sage. il n'y avait que pour kenneth que tu repoussais les limites du raisonnable. pour un peu plus de ses bras, un peu plus de temps en sa compagnie. mariée très jeune, tu t'es rapidement mise en ménage avec l'homme de ta vie pour devenir la parfaite petite épouse. appliquée, bien ancrée dans son rôle. c'est que quelques années plus tard que tu t'es révélée être acharnée, travailleuse. forte, indémontable. ils te l'ont ôté car il t'as défendu, qu'il a su te protéger. placé derrière ces barres d'acier, te laissant seule. dix années passée en solitaire loin de ton homme et de son amour. femme libérée tu es devenue, grimpant les échelons pour pouvoir assurer le confort que vous aviez. il y a cette partie de toi qui reste cependant figée dans le temps, éternelle mélancolique lorsque tard le soir tes pensées s'évadent à l'aide d'une bouteille de vin rouge. ou lorsque tu peux retrouver le creux de ses bras une fois par an en échangeant un billet au bon gardien. redevenir la marybeth qu'il a épousée, celle pour qui il a vendu son âme au diable. toi aussi par la même occasion. loyale envers et contre tout, peu importe les différents, peu importe le temps.  

Ton regard se perd dans l'immensité du miroir. Reflet blafard, tremblant, sur le point de s'écrouler. T'ignores simplement si c'est de d'anxiété, de joie ou le retour de son imprévisibilité. Dix longues années, trois mille six cent cinquante deux jours. Cinq cent vingt-deux semaines, cent vingt mois. Autant de temps passé loin de ta moitié. Droits bafoués, flanquée sous les barreaux injustement. Qui sait, qui sait ce qui aurait pu se passer si tu n'étais pas tomber sur Kenneth cette nuit là? T'as été naïve, tu l'as toujours été. Tu voyais le bon en l'être humain, venant gommer ses moindres défauts même si parfois ils se voulaient que trop présents. Tout comme chez ton mari, tu ne voyais que sa tendresse à ton égard. L'amour dans son regard. Cette nuit là t'as pu voir danser ses démons dans ses opales alors qu'il cognait. Inlassablement pour te protéger. Droguée comme jamais tu n'as eu la chance de planer avant, les images s'embrouillent et t'es encore incapable que de décrire le tableau dans son entièreté. Il y avait cette bière partagée avec ton ancien collègue de travail. Un mec un peu paumé, que tu n'avais pas vu depuis son divorce. Tu t'es contentée d'être aimable lorsque ce dernier t'as contacté pour un peu de temps. T'as demandé comment les gamins allaient, comment lui il allait. T'as pas vu ce qu'il a glissé dans ton verre, t'as rien vu venir. Rien du tout.

Vous avez quitté les lieux joyeux et bondés, lui qui prétextait vouloir t'aider à rentrer. Jusque chez toi, en sécurité. Sa poigne s'est voulue imposante contre ton épiderme alors qu'encore un peu consciente tu lui intimais la réelle route à suivre. à quoi bon passer par barlow street, c'est tout l'opposé qu'tu lui as demandé. Le trouble, du trouble encore et encore. Inlassablement, te laissant dans le brouillard longuement. C'est la voix de Kenn' qui t'interpelle, qui te sort de la pénombre. Rallume une étincelle de vie dans tes yeux vitreux. Les secondes semblent des heures, tout n'est que slow-motion dès le moment où tu te retournes pour te noyer dans la noirceur de ses yeux. Son corps se tend, s'élance et frappe rapidement. Tu titubes, tombes sur le pavé en t'esquintant la peau de tes mains comme lorsque vous étiez gamins et que tu chutais de maladresse. Les coups pleuvent, ton mari cogne. S'emballe, grogne. L'hémoglobine se met à jaillir, les plaintes de douleur se tarissent. Tu trembles, t'es peut-être bien sous le coup du choc. Ou est-ce cette bière chimique qui vient éteindre la lumière? Tu n'sais pas vraiment. Il y a ces mots qui te sont soufflés, cette douce litanie alors que tu sens ton corps se soulever. Se réchauffer.

Tu t'revois sous ce saule pleureur, l'été de tes quinze printemps. Tu t'souviens de ces abeilles dans ton ventre d'adolescente, de ton myocarde battant la chamade de façon frénétique. T'avais peur qu'il ne te trouve pas si intéressante, que tu ne mérites pas sa venue à ton stupide petit rendez-vous. Il s'est pointé, électrique. Du moins c'est ce que ta colonne vertébrale aurait pu dire lorsque la pulpe de ses doigts et venue gagner le creux de ton dos pour t'attirer tout contre lui. Pour ne plus jamais t'offrir la possibilité de t'échapper, adresser à tes lèvres un tendre baiser. Tu t'es étonnée de la douceur de ses lippes, lui qui passait son temps entailler ces dernières lors de bagarres diverses. C'était toi qui soignais les bobos, pour Kenneth tu prenais un soin tout particulier à t'appliquer. A être douce lorsque le bout de tes phalanges venaient effleurer sa bouche en te laissant pivoine, les joues vermeilles. Il te taquinait, te faisait remarquer ton état. T'y pouvais rien toi. A partir de ce baiser plus rien n'a été pareil. Il a demandé ta main, vous vous êtes mariés quelques mois après. Votre amour avait tout du plus parfait des contes de fées. Cette jolie robe blanche, son sourire des plus resplendissants, vos familles rangées dans les allées de la petite chapelle de votre quartier. Les grains de riz que l'on vous a jeté lors de votre sortie, les rires entre-mêlés.

lorsque tu t'es réveillée dans tes draps blancs ton premier réflexe à été de demander après ton mari. tu répétais son prénom inlassablement, le cherchais du bout des doigts en attendant que ta vue se fixe. Retrouve de sa netteté. Il y avait tes parents, qui s'contentaient de te dire que ça allait aller. que tu n'avais pas à t'en faire. ton regard s'est ensuite posé sur les deux officiers, stoïques et silencieux. Juste assez pour agacer ton système nerveux. tu t'es relevée, d'un bond. Ton corps était lourd, n'était pas en ta pleine possession. T'es venue faire sauter les fils à tes bras, t'es tombée lourdement au sol parce dans le fond tu n'étais capable que de ça. T'implorais qu'on te le rende, qu'il te revienne. Victime colérique, hystérique. Ils pouvaient pas l'emmener loin de toi, pas après tout ça. Tes yeux se sont perdus sur la bague à ton doigt, l'anneau te liant à lui jusqu'à la fin de vos jours. Vous vous l'êtes promis. T'as d'abord été tranquillisée, puis replacée dans un sommeil des plus profonds. Sans avoir ton mot à dire. Les jours qui ont suivit ont été compliqués. T'as été entendue au poste, tu leur as offert ta vision de l'accident. Mais ils s'étaient déjà fait leur opinion. Tu as simplement pu alléger la peine, prouver que si tu n'avais pas été mise en danger par cet homme rien de tout cela ne serait arrivé. Les analyses de ton sang ont confirmé la présence de drogue, la sentence est tombée. Vingt longues années. Autant de temps vous étant dérobé.  

T'es au volant du break, l'regard rivé sur la verdure qui défile. Le temps s'écoule d'une façon drôlement aléatoire dans le fond. Tu te souviens comme si c'était hier de la douleur ressentie lorsque le juge à prononcé le jugement du jury. Tu te rappelle de la déchirure, de la douleur. De la peur aussi. Qu'est-ce que tu allais devenir, toi qui n'avais toujours vécu qu'avec et pour lui? On vous as ôté la possibilité d'être une famille, non sans efforts de votre côté. Avant même qu'il ne soit enfermé, vous aviez ce désir profond d'enfant. De créer le fruit de votre amour, en vain. Ton corps défectueux, incapable d'enfanter correctement. Fausses couches sur fausses couches, disputes inlassables alors que tu ne pouvais que t'en vouloir à toi et tes entrailles pas assez fortes. Aujourd'hui t'as abandonné tout espoirs, c'est plus facile comme ça. Kenneth et toi aurez bien assez de ces dix ans à rattraper après tout. T'as un sourire qui se dessine sur ton visage alors que l'une des stations de radio ringardes que tu peux écouter diffuse l'une de vos chansons préférées. Bientôt vous pourrez vous lover l'un contre l'autre dans le confort de votre appartement et non à travers un parloir des moins intimes qu'il soit. Dans peu de temps vous pourrez déguster un bon petit plat accompagné d'un peu de rouge pour fêter son retour parmi les siens. Vous avez été patients, vous vous êtes battus sans relâche pour qu'il puisse espérer sortir plus tôt. Ton myocarde s'accélère, alors que tu te rapproches du centre d'incarcération. Et s'il n'aimait pas la femme que tu es devenue?

La Mary active, frottant des coudes pour réussir à se faire une vraie place parmi les requins de wall street. Foutus courtiers qu't'écrases de tes prédictions, tu n'as eu que ça à faire pendant tes soirées. D'passer au crible le marché. L'étudier. Elle a disparue cette nuit là, cette petite femme au foyer douce et docile. Celle qui pouvait passer des heures à nettoyer l'appartement de fond en comble et préparer de bons petits plats à l'homme de sa vie. T'as dû apprendre à te débrouiller par toi même. Juste ce qu'il faut pour maintenir la qualité de vie que vous aviez. L'améliorer au passage. Clignotant d'un doigt, bras tendus sur le volant alors que tu débouches sur le parking ton cœur rate un battement lorsque tu l'aperçois au loin. Toujours aussi beau, toujours aussi imposant. Son chapeau vissé sur le crâne, baluchon de fortune sur le dos. Faut dire que si t'avais pas eu trois heures de routes à faire pour le rejoindre t'aurais pu être là bien plus tôt et ne rien manquer de son arrivée hors des grillages le retenant férocement. Tu viens te stopper devant l'entrée et sans même prendre la peine de couper le moteur tu viens tirer sur le frein à main. Ceinture de sécurité bien gênante que tu détaches avec hâte, tu te rues hors de la voiture pour atterrir dans la chaleur de ses bras. T'as retrouvé ta moitié Mary. Combien même tes doigts picotent au contact de sa peau irradiante, t'y crois pas.