Hart-Jewels vient d’ouvrir une nouvelle boutique dans le Queens traditionnel. Ma chargée de Relations Publiques a vu les choses en grand, champagne, personnalités mondaines, petits cadeaux pour nos invités. Quand la réception est enfin finie il est à peine midi mais ma tête tourne de l’alcool ingurgité et mon sourire crispé d’avoir dû faire trop de courbettes. Mon entreprise de Joaillerie est toute ma vie, c’est tout ce que m’a légué Christian mon mari. Depuis sa mort, je me suis jetée à corps perdu dans le travail, régnant en maître sur toute cette agitation parfois futile de la fourmilière qui gravite autour de moi. J’ai une armée d’assistantes à mes trousses et un chauffeur qui m’attendent. Seulement, là tout de suite, je n’ai qu’une envie c’est de fuir. Alors que la foule commence à sortir de la boutique, je profite du mouvement pour me laisser emporter. L’air frais de la rue pique mes joues. Les journées commencent à se rafraichir en ce moment d’octobre. La brise lourde de New-York frappe mon visage de sa morsure glacée et me laisse dans état à demi second. Parfois, cette seule sensation de liberté me manque. Pouvoir laisser aller mes pas et me laisser guider où bon me semble. A la mort de Christian j’aurais pu… juste profiter de sa fortune, vivre en veuve éplorée, en profiter pour jouer les frivoles, vivre six mois de l’année dans notre maison de la Barbade. Seulement j’aurai eu l’impression de trahir l’amour de ma vie. Ne pas continuer à faire vivre ce pourquoi il s’est battu toute sa vie aurait été comme de le perdre une deuxième fois. Mes hauts talons me portent dans une rue bondée de gens pressés quand tout à coup mon regard se pose sur un salon de tatouage à une centaine de mètre à peine de là d’où je venais. Me laissant porter par cet impulsion folle, je pousse la porte à la fois décidée et complètement dans le flou de ce monde qui m’est totalement inconnu. — Bonjour… Mon premier mot est plutôt timide, ce n’est pas dans mon caractère mais je suis bien consciente que je fais tâche dans cet univers. Mon chignon strict, mon tailleur noir, mes Louboutins et mon sac Chanel ne doivent pas être les apparats habituels des clients de ce genre de salons. Pourtant la jolie jeune femme aux cheveux de feu m’accueille avec un sourire si charmant que finalement ça me pousse à m’ouvrir et à expliquer ma demande. — Je voudrais, le dessin d’un croissant de lune, avec des vagues à l’intérieur, sur le poignet. Mon index caresse l’intérieur de mon avant-bras droit en arc de cercle comme si la jeune femme avait besoin d’un cours d’anatomie, ou peut-être est-ce pour me convaincre moi. Que c’est la bonne chose à faire. J’y pense sans arrêt ces temps-ci. Peut-être est-ce Gabriel et ses si beaux tatouages qui m’ont poussé à franchir ce pas. Peut-être aurais-je dû d’ailleurs lui demander à lui de me recommander un endroit plutôt que de pousser la première porte qui venait. Maintenant j’y suis et il n’est plus question de reculer. — Est-ce que c’est possible ? Maintenant ? Mon empressement est peut-être grossier et c’est sûrement dangereux de me montrer si présomptueuse envers la personne qui va m’enfoncer une aiguille dans le bras dans les prochaines minutes, mais je ne sais pas m’exprimer autrement. Trop l’habitude de diriger mon monde et de le faire tourner dans le sens que je désire. Pourtant à ce moment-là, je sais que je ne maitrise rien. Cette douleur sur ma peau, je veux la ressentir plus que tout, qu’on m’ouvre le cœur pour enfin pouvoir évacuer. Christian… Il me manque tant. Je veux le graver sur ma peau, tel l’astre qui veille sur moi à chaque instant et à jamais.
Sujet: Re: Moon and fire (Joanne) Mer 16 Oct - 3:45
moon and fire
Susan - Joanne
«La jalousie ne permet jamais de voir les choses telles qu'elles sont. Les jaloux voient le réel à travers un miroir déformant qui grossit les détails insignifiants, transforme les nains en géants et les soupçons en vérité.» Miguel De Cervantes
Les journées passent et se ressemblent. T'enchaîne les heures de présence au salon et tes soirées à travailler sur les différents projets que tes clients viennent te proposer. Faut dire que Red Devil Tattoo fonctionne du tonnerre, le bouche à oreille se fait parfaitement. L'équipe est formée, vous êtes trois à travailler comme des acharnés vos dermographes fièrement ancrés à vos mains comme s'ils faisaient partie de votre anatomie. Heureusement, que t'as des collègues géniaux. Torbjörn est un associé parfait, vous avez les mêmes idéaux et la même vision professionnelle. Vos styles se complètent parfaitement et l'on vous contacte d'ailleurs souvent pour un tatouage à quatre mains comme vous les appelez. Ces moments où vous liez votre art l'un à l'autre pour l'apposer sur l'épiderme de vos clients en même temps. Une oeuvre unique reflétant l'harmonie dans laquelle vous travaillez. Sans oublier Rebel, votre jeune recrue. Le bleu de l'équipe, l'apprenti aux traits déjà bien prononcés malgré son manque d'expérience. Il a rapidement pu commencer à piquer en autonomie, il apprend vite auprès de vous deux. Il est studieux et appliqué. Se remet en questions, beaucoup trop jusqu'à lui créer de l'anxiété parfois. Mais vous êtes là pour le rassurer et lui montrer qu'il ne fait que s'améliorer. Il est pédagogue aussi le suédois, il est patient. Il t'apprend à être une meilleure personne aussi, au passage.
L'automne semble arriver petit à petit sur la grosse pomme venant rafraîchir les rues qui ne cessent jamais de s'animer peu importe la météo. Ta saison préférée s'en vient et t'es pas mécontente de dire au revoir à la chaleur étouffante pour apprécier le frais ambiant et pouvoir admirer les teintes des arbres virer à l'orange. Pouvoir ressortir les gilets confortables ou les larges pulls. Passer le dimanche au lit avec pour seule compagnie le bruit de la pluie contre la vitre en appréciant la chaleur d'un plaid et d'une boisson chaude... T'aimes les choses simples Joanne, t'es franchement pas compliquée. Mais ça, il n'est pas capable de le voir Gabriel. Qu'tu restes une gamine t'extasiant sur des trucs à la con. Mais nan, t'es ce grossier personnage qu'est juste bon à faire la gueule quand t'es en sa compagnie. La connasse qui rigole jamais à ses blagues alors que bordel il y a des fois tu te retiens tellement de pas te laisser aller. De garder ton sérieux et de ne pas laisser filer la moindre esquisse sourire. Tu peux pas t'cramer comme ça Jo, pas après autant de temps. Ça serait bidon que d'niquer ton masque de nana fière maintenant. Alors tu t'mords la langue et tu t'contentes de crever un peu plus intérieurement. Et pourtant t'fais l'inatteignable, celle qui n'souffre pas. Elles sont rares, les personnes à savoir ça, à s'en être rendu compte. Sans compter que Gab lui il en ignore tout. Sur toute la ligne.
Tu fais un peu de paperasse à l'accueil. Les gars sont tous les deux occupés sur leurs clients et faut dire que t'essayes de t'alléger un peu ces derniers temps pour te remettre la tête dans toutes les factures, livraisons à venir et agendas à mettre à jour. Le salon vient d'ouvrir ses portes pour ce début de journée et les dermos vrombissent déjà furieusement. T'es en train de traiter les mails alors que la porte du salon s'ouvre. Tu relèves les yeux alors qu'une voix timide vient t'interpeller poliment. Tu tombes sur une femme plutôt jolie, perchée sur de hauts talons et serrée dans sa tenue étroite. T'as un grand sourire qui se veut chaleureux alors que tu décolles ta carcasse flamboyante du meuble sur lequel t'étais penchée à trimer. "Bienvenue à Red Devil Tattoo! J'peux vous aider?" T'es amusée presque de voir une nana aussi classe un peu perdue dans ton shop. Sa voix reprend alors que penchée contre l'un de ses poignets elle t'indique le pourquoi de sa venue. Tu contournes le comptoir pour venir à sa rencontre tout en attrapant avec douceur sa main dans la tienne pour prendre idée de la zone à tatouer. Elle s'empresse de te demander si t'es disponible sur le moment, faut dire qu'elle manque pas d't'amuser la jolie dame.
Normalement pour passer sous tes aiguilles ça nécessite une prise de rendez vous vue l'affluence que vous subissez, un dépôt de garantie et beaucoup de patience... Puis pour de si petites choses tu laisses à Rebel la capacité de s'exercer et de se faire un peu d'argent. Ton apprenti est occupé, il risque d'en avoir encore pour un moment. Tu prends un court temps de réflexion "Mhh..." Allez Jo', un petit truc à l'ancienne. Puis tu dois bien avoir un flash qui traîne qui pourrait correspondre à l'une de ses envies. "Allez. Ca d'vrait pouvoir se faire, mais c'est seulement pour voir un sourire sur votre visage hein! Vous m'suivez?" T'es bienveillante lorsque tu te rends compte d'une certaine nostalgie. Ou de la mélancolie tu sais pas vraiment. Vous les tatoueurs, vous êtes un peu psychologues aussi. Beaucoup de personnes viennent avec une idée personnelle qui leur tient à coeur. Vous êtes aussi là pour écouter. Permettre d'aller de l'avant. Tu lui rends sa mimine et vient mettre un coup de clef à la porte d'entrée et tourner la pancarte invitant à repasser plus tard les artistes étant en séances. Joyeuse, tu viens l'intimes à te suivre jusqu'au premier étage que vous rejoignez rapidement. RDT, trois étages, trois tatoueurs. Rez de chaussée votre accueil et coin exposition, premier palier les studios. Trois pièces, chacune la votre. Le dernier étage étant ton appartement. C'est plutôt grand, t'es pas peu fière de posséder un tel endroit.
Gagnant l'endroit te servant de repère t'abats une longue traînée de papier absorbant sur le fauteuil de tatouage pour en recouvrir le cuir et t'invites ta cliente à s'y installer. Tu t'laves les mains férocement en attrapant du pied ton fidèle tabouret roulant alors que tu te rapproches sur tes roulettes du fauteuil d'allonge servant à tes clients. T'as choppé une paire de gants stériles, ton désinfectant et tout un bazar sur ton meuble amovible aux tiroirs garnis du parfait attirail de tatoueur. "Alors une lune hein? J'en ai une aussi!" Qu'tu désignes sur ton poignet en souriant toujours. Tu l'as faite toute seule au tout début de ton apprentissage en handpoke avec une aiguille et un flacon d'encre que t'avais réussi à chiper de façon savante. Des années encore elle reste fièrement sur le côté de ton poignet. Tes doigts gantés venant chercher un emballage de feutre pour peau jetable. Pas de flash finalement, t'as bien envie de te le faire au feeling et de venir dessiner directement sur sa peau de ta pointe colorée qui te servira de repère. Histoire de rajouter un peu plus de challenge et un côté toujours plus unique à ce moment. Le free hand c'est un truc que tu fais souvent, moins pour ce genre de demandes imprévues. "Promis, le premier c'est le plus agréable de tous. On se fait une montagne concernant la douleur et au final c'est pas grand chose. Ça devient pire plus on augmente les tatouages croyez moi!" Que tu rajoutes pour détendre le côté un peu tendu qu'elle pourrait éventuellement ressentir. Tu commences à tracer tout contre son épiderme les contours de l'astre lunaire.