Elle est là, sur le balcon, une cigarette entre les lèvres, perdue dans ses pensées. Dans cet appartement sublime au dernier étage d’un immeuble luxueux, elle profite de la vue offerte sur New York le long de la baie vitrée. Elle a rarement assisté à une image aussi belle de la ville qui l’a vue naître. Elle en a pourtant connu, des hommes riches, des hommes aux portefeuilles tellement remplis qu’ils ne remarquaient même pas les billets qui leur manquaient. Mais, souvent, ils étaient un peu plus âgés. Parfois déjà mariés. Elle n’était que la maîtresse. L’aventure qu’ils cherchaient à cacher. C’est beaucoup plus agréable de fréquenter un homme comme Zende. Jeune, sexy, sportif, il fait partie de l’équipe de football américain de la ville. Il paraît que, pour les gens que ça intéresse, il est une véritable star. Qui monte en puissance, qui prend de plus en plus d’importance. De quoi faire rêver. De quoi donner des paillettes dans les yeux. Si seulement elle pouvait encore en avoir, Ella. Depuis qu’elle l’a abordé, ce soir-là dans ce bar, elle a réussi à trouver une place dans sa vie. C’était facile, autant que d’habitude. À la différence que, contrairement à d’habitude, il n’a pas encore essayé de la sauter. Il est respectueux, peut-être même un peu trop pour que cela lui échappe. Mais les questions, elle ne se les pose pas.
Tu te contentes de profiter, De savourer, Jusqu’au moment où il comprendra, Le moment où tout s’arrêtera.
Elle ne se fait aucune crainte, Ella. Elle connaît le refrain par cœur. Ils sont attentionnés au départ, prêts à satisfaire le moindre de ses besoins. Jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils n’auront rien. C’est là qu’ils prennent leurs distances. Cherchent quelqu’un qui leur donnera plus d’importance. Quelqu’un qui les aimera comme ils ont tant envie d’être aimés. Ou bien ce qu’ils prennent pour de l’amour, mais qui n’est qu’admiration. Dévotion.
Parce que les hommes, ils sont tous pareils.
Ce soir, Zende l’a invitée ici. Chez lui. Ce qui montre l’intimité qu’ils ont commencé à gagner, ce qui montre surtout qu’elle va certainement y passer. Elle termine sa cigarette dans une dernière bouffée revitalisante avant de la laisser s’échouer tout en bas, jusqu’au sol. De la hauteur à laquelle elle se trouve, elle ne la voit même pas, Ella. Un dernier soupir avant qu’elle tourne les talons, pour retourner à l’intérieur. Il a dû terminer son appel depuis le temps qu’elle est dehors. Il revient au salon en même temps qu’elle. Le sourire ravageur qui vient se dessiner sur ses lèvres carmin, elle s’approche de lui de son pas félin. – La vue est vraiment magnifique de chez toi. Les mots sincères, parce qu’elle n’est pas si fausse quand elle se trouve en compagnie de l’une des victimes. Elle sait juste s’adapter, suffisamment pour les intéresser, suffisamment pour les captiver. Ses bras qui partent s’échouer autour du cou du sportif, elle lève son regard de biche vers lui. Celui qui leur donne l’impression de contrôler, celui qui leur donne le sentiment de tenir un petit bout de femme fragile entre les mains. – Mais je meurs de faim. Tu ne veux pas qu’on aille on resto, dis ? qu’elle lui demande, le sourire charmeur sur les lèvres, le petit air enjôleur. Pourtant bien loin de se douter qu’il n’a aucun effet sur lui.
Bien loin de te douter que toi, tu n’as aucun effet sur lui.
Vingt et une heures trente, les clés encore dans la main mais le regard ailleurs, Zende contemplait l'effervescence nocturne à travers la vitre gigantesque de son studio. Luxueux par la taille, ingénieux pour sa fonctionnalité. Il pense d'ailleurs qu'il va rapidement se servir son whisky. Un peu comme à son habitude, alors que son invitée jalonne l'appartement. La belle plante du jour répondait au nom d'Ella. Élancée, grande, les cheveux aussi brushés que sont ses ongles aiguisés. Du vernis rouge, assorti à ses lèvres sublimes et brillantes. Un maquillage quasi parfait, touchant au charbonneux tout en y apportant une touche de luminosité. Et, bien évidemment, une tenue à se damner le premier hétéro du coin. Juchée sur ses talons hauts, elle avance vers lui. Il la connaît depuis peu, le footballeur. Il l'a rencontré à une soirée et elle était belle, charmeuse. Zende a pensé donner le change. Le genre de nana qui intéresserait fortement les journalistes, mitraillant ses sorties et oubliant le reste. Les excès, les secrets. Elle ignorait certainement qu'elle n'aurait jamais plus que cette visibilité médiatique, ces mains déposées délicatement sur son épaule lors de sorties. Pourquoi avouer à une inconnue (ou quasi inconnue) son plus grand secret ? Il lui avait bien volé un ou deux baisers une fois mais cela ne lui avait pas fait le même effet qu'un homme. Clairement pas. Cela le rassurait sur ses envies mais beaucoup moins pour ce côté inéluctable, irrévocable. Quand bien même aurait t-il eu envie d'y aller pour de vrai, il n'aurait pu véritablement y parvenir.
Il l'entend se rapprocher de lui, ses pas sont doux comme le velours mais les talons avertissent de son arrivée. Impressionnée par l'intérieur de son studio, comme doivent l'être tous. Il n'a pas ramené beaucoup de monde chez lui mais il sait que son studio peut faire rêver. Vu le prix qu'il coûte, c'était la moindre des choses. Il aimait les choses en grand, Zende. Elle arrive enfin à sa hauteur après avoir complimenté sa demeure. Il tourne sur lui-même, lui faisant face tout en gardant une certaine distance. Il réalise que cette femme l'appâte, elle n'est pas en reste. Parfait pour un coup d'éclat, juste posé là. Il fait quelques pas avant d'attraper la télécommande multi fonctions. Il pianote sur plusieurs touches et ouvre en simultané l'écran plat et le mini bar. Il repose la télécommande , le menton toujours relevé pour assoir son égo, sa fierté. « La vue ne s'arrête pas là. ».
Il revient vers elle pour discuter mais il comprend très vite qu'il est tombé dans un énième guêpier de la gente féminine. Franchement, pour le coup, il aurait pu le deviner. Il était un pro des coups bas, de la tentation mais elle l'avait prise de court. Les bras autour de son cou, il était piégé dans ce ravin des plus parfumés et des plus innocents. Innocent car il ne tomberait pas dedans. Elle lui sortit son regard de biche, le balbutiement des cils n'étant franchement pas loin. Il soupire avec aisance et une certaine satifaction, Zende. Son numéro de charme est travaillé, ça doit être son sport à elle, tiens. Il place ses mains sur sa taille, joueur comme à l'accoutumée. Ce qui importait, c'était de gagner.
Elle lui demande avec un autre sourire si bien dessiné de l'emmener au resto. Ces femmes, toutes les mêmes. Surtout ce genre. Elle devait les amadouer avec un bel os à la clé avant de les laisser, seuls et démunis. Il se sentait au moins chanceux de ne pas avoir une quelconque attirance physique pour elle - bien qu'il admirait sincèrement - son apache, son audace. Il entrait dans le jeu et il voulait lui montrer qu'il s'amuserait à son tour... avant de la mettre face à son manège. Il répondit, sereinement dans un premier temps. « Moi aussi, j'ai très faim. On peut aller à la Dolce Vita?». Néanmoins, il n'allait pas la laisser croire qu'il ne voyait rien. Il fallait néanmoins rendre cela subtil. Il réfléchit une poignée de secondes avant de poursuivre. « À moins que tu veuilles quelque chose de plus... branché? Je t'invite et je suis certain que tu veux me dire quelque chose d'important... pour vouloir faire encore un resto cette semaine. » Il ne regardait pas spécialement la dépense, Zende. Il aimait profiter. Cependant, il percevait bien que ce qui l'intéressait c'était le luxe, le beau. Et il allait lui faire rencontrer sa conscience et surtout... la vérité. Celle qu'elle ne pourrait plus cacher, au bout d'un moment. Restait à savoir si c'était celle qu'il pensait.
Elle l’aime bien, Zende. Il est agréable à regarder, plus que les hommes sur lesquels elle décide de jeter son dévolu parfois. Il a un certain enthousiasme pour la vie qui lui fait du bien, aussi, à elle qui a tendance à tout voir du mauvais côté. Il est marrant, intéressant. Il a bien plus de conversation qu’elle le redoutait pour un sportif de haut niveau. Il ne lui parle pas constamment de ballon et, rien que pour cette raison, elle l’apprécie. Elle a trop l’habitude que les victimes qu’elle prend pour cibles ne savent parler que de leur métier. Certainement parce qu’ils n’ont rien d’autre que leur travail, sinon ils seraient peut-être un peu moins naïfs. Peut-être qu’ils réaliseraient combien elle se joue d’eux. Combien elle fait semblant de s’intéresser à leurs histoires pour mieux obtenir d’eux tout ce qu’elle veut. C’est différent avec Zende. Elle a un peu la sensation d’être avec un copain. Pas son copain, certes. Il est sexy, il n’y a rien à redire là-dessus. Mais sûrement pas assez brisé pour capter son attrait. Sûrement trop heureux, trop sain, pour celle qui se tourne toujours du côté des plus abîmés.
Mais tu sais jouer le jeu, Attiser en eux ce feu, Les rendre, presque, amoureux.
Loin de se douter des pensées de son beau sportif, elle lui adresse un sourire mutin en découvrant le luxe plus immense encore qu’il lui offre. Il expose sa richesse avec impudeur, sans penser une seconde que c’est ainsi qu’il risque d’attirer de mauvaises intentions. C’est bien ainsi qu’il a attiré la diablesse. Et qu’il l’attire encore. C’est avec l’aplomb de celle qui détient toute confiance en elle qu’elle approche de sa cible du moment. Ses bras qui l’enlacent comme des barreaux qu’elle entoure autour de lui. Elle l’emprisonne contre elle, pour elle. Son parfum sucré et envoûtant, son regard de biche effarouchée qui contraste juste comme il faut avec ses lèvres séductrices, jusqu’à ses longs cheveux bruns qu’elle laisse libres de suivre chacun de ses gestes, elle mise sur le moindre détail. Car elle le sait, chaque détail compte. Ce sont ses atouts physiques qu’elle met le plus en avant, Ella. Parce que, plus il sera hypnotisé longtemps, plus elle le gardera sous sa coupe longtemps. Sans avoir besoin de se donner à lui, sans avoir besoin de partager son lit. Elle ne se laisse pas aller si facilement, pas systématiquement. Elle ne le fait que si elle en a réellement envie. Pas encore avec lui. Mais qui sait ? Les mains qu’il place sur sa taille ne la dérangent aucunement. Là où elle a plus de mal à faire semblant avec les autres, avec lui elle le fait si facilement. Elle le berce déjà de sa voix mélodieuse, un brin plus aigu, plus légère, que celle qu’elle a naturellement. Comme une habitude avec les hommes qu’elle prend pour cibles, comme une seconde nature pour celle qui est presque devenue comédienne. À sa réponse, elle le contemple, toujours avec ce petit sourire en coin, mi-amusée, mi-étonnée. Si l’invitation au restaurant italien lui plaît grandement, ce sont ses mots suivants qui captent toute son attention. Depuis le temps qu’elle pratique le métier, elle sait reconnaître un homme intrigué. Un homme intrigué, c’est un homme qui se pose des questions. Peut-être trop de questions. Elle ne doit surtout pas se griller. – Tu me trouves trop gourmande ?, elle lui demande, comme si elle cherchait seulement à le taquiner. Montrer toujours un peu plus de complicité. Mais elle gagne surtout du temps pour trouver une véritable réponse. – En fait, non, j’ai juste faim… Mais si tu veux cuisiner pour moi, je t’en prie, j’adorerais voir ça. ajoute-t-elle enfin, son regard toujours ancré dans le sien. Elle ne doit surtout pas le laisser croire qu’elle veut à tout prix sortir. Elle sait qu’elle ne doit pas oublier qu’il une double-raison de se méfier, Zende. Non seulement il est riche, comme tous les autres, mais il a aussi une notoriété. Une qui doit attiser beaucoup d’envie. Ce n’est pourtant pas du tout ce qu’elle recherche, Ella. Toi, tu ne cherches pas les paillettes. Ni la célébrité, ni les fans, ni rien de tout ça. Tu veux juste assez d’argent pour te payer ton prochain loyer. Mais tu ne peux pas vraiment lui expliquer, hein ?
Le regard encore posé sur cette belle créature,Zende réalise qu'il ne sait rien véritablement d'Ella. Il ne lui a pas posé tant de questions sur son parcours, son passé. Une erreur évidente tant elle résonnait en lui à présent. Pourquoi l'avait t-il faite? Lui qui prenait garde à l'accoutumée, à en juger par ses plans qu'il se gardait bien de commenter et de montrer aux journalistes. C'était peut être parce qu'elle était belle avec sa crinière de lionne ou ses yeux de biche. Ou bien car elle était talentueuse, au fond. Elle le caressait sans même l'effleurer, l'envoûtait au moindre contact visuel. Elle était tactile , ajoutant à ses paroles bienfaitrices des gestes tendres, affectueux. C'était si beau de la voir user de son charme pour obtenir ce qu'elle voulait. Etait-ce cela, au fond, qu'elle cherchait? Était t-elle une de ces femmes à mettre le grappin sur un homme fortuné? Il n'aimait pas ce genre de pensées, se surpris même à le suggérer mais ses dépenses parlaient d'elles-mêmes. Elle voulait du grand, elle voulait de l'audace. Des restos, des apéros. Bientôt elle lui proposerait d'aller faire sa garde robe. Non pas qu'il détestait y aller (il adorait faire du shopping en réalité) mais il craignait de ne pas arriver à la suivre. Certes, elle lui était bien utile quand il s'agissait d'assister à un événement ou se faire photographier dans un stade lors d'un match. Il sortait son big smile et lui passait une main autour de la nuque pour la tirer vers lui. Toutefois, la réalité le rattrapant, il avait été impossible d'aller plus loin, surtout hors caméras. Il avait cette crainte qu'elle ait compris. Qu'elle n'était qu'un pion, qu'elle ne lui servait uniquement de couverture médiatique. Peut être qu'il pourrait y avoir plus, une amitié naissante. Il appréciait sa compagnie et il lui semblait être là la meilleure issue qu'ils pourraient avoir. Pour le moment en tout cas, tout était brouillé, confus.
Il émit un petit rire quand elle se remit en question sur sa gourmandise. Elle lui en demandait beaucoup, c'était évident. À jouer ce petit jeu, à le taquiner comme un petit copain, Zende se dit qu'elle était tout de même drôle. Drôle de s'y atteler, de s'accrocher. Son salaire ou son compte en banque en valaient sûrement la peine. Bien que cela l'attristait d'une certaine façon, il pût reconnaître d'un autre côté qu'elle avait sacrément du panache.
Il la titille,répondant sans détour en la taquinant à son tour. «Tu l'es oui... juste un peu alors on dira!» . Il lui mima avec ces doigts pour amener l'image à l'expression. Elle le faisait rire en un sens et cela, il l'appréciait.
Quand elle supputa qu'il était cuisiner, il leva les yeux au ciel. Ce temps n'avait jamais existé. Il faisait cramer les poêles plutôt qu'autre chose. Les bons plats mijotés , les soirées Netflix en couple , c'était pas lui. Pas son truc. Il pensait soudainement qu'il était le parfait pigeon pour cela, à dilapider sa fortune dans les restaurants et plus souvent dans les Ubereats. Cela était la solution de facilité et il allait y recourir ce soir une nouvelle fois. Surtout qu'il devait réellement discuter avec Ella et rester chez lui était une bonne option.
«Je veux pas incendier mon loft si luxueux... Alors je nous commande à manger. Chinois? Italien? Japonais? Thaï? Français? »
De multiples possibilités bien que cela l'importait peu, au final. C'était la suite qui était importante. Celle de savoir ce que leur relation voulait dire. Ils étaient plus que de simples connaissances mais pas amis, proches mais pas intimes. Il allait mettre le nez là dedans comme on le plongeait dans une carte anniversaire avec la mélodie. On sait d'avance que ça va être douloureux pour les oreilles mais on y va quand même.
Comme pour lui annoncer plus ou moins la couleur, il lui dit, avant de prendre sa commande.
«Je suis certain qu'on a plein de choses à se dire... »
En somme, il ne la lâcherait pas. Il voulait savoir ce qui se tramait exactement. Quitte à y laisser de la tune, autant payer maintenant. Pas dans trois mois avec plus de reproches et plus d'affinités. Il ne sait pas si il pourrait l'encaisser.
Elle ne parle pas d’elle, Ella. Elle ne le fait presque jamais, même pas avec les rares personnes qui lui sont proches. Celles qui sont encore à ses côtés, malgré tout ce qu’elle est. Elle le ferait encore moins avec quelqu’un qu’elle connaît à peine, quelqu’un qu’elle a seulement pris pour cible. Ce n’est pas tant qu’elle refuse de se livrer. Pas tant le besoin de se protéger. Ses blessures, ses souffrances, elle les a acceptées. C’est peut-être juste qu’elle a conscience que sa vie n’a rien de passionnant. Rien d’intéressant à raconter. T’es seulement une fille paumée, une fille en mal de vivre. Une fille qui a appris uniquement à survivre. Elle fait partie des oubliés, Ella. Ceux que la vie a choisi d’ignorer. Tout le contraire de l’homme en face d’elle, celui qui a su déployer ses ailes. Il est si beau, Zende. Ce n’est pas seulement son apparence, c’est toute sa prestance. Tout ce qu’il dégage, tout ce qu’il inspire. Il a le charme de ceux qui savent ce qu’ils veulent et n’ont pas peur de l’obtenir. Ceux qui rêvent en grand, pour avoir encore plus grand. Il est son opposé, c’est peut-être ce qui lui plaît, à lui. Car, sinon, elle ne saurait dire. Elle ne saurait bien deviner ce qui peut l’attirer chez elle. Rien d’autre que sa beauté, qu'il ne cherche même pas à posséder. Peut-être qu'elle n'est pas la seule à avoir des secrets, peut-être que lui aussi aurait des choses à lui avouer. Peut-être qu'elle n'est pas la seule, cette fois, à duper. Elle ne l'a pas soupçonné jusqu'à présent, Ella, pas un instant. Car, malgré tout, il y a cette complicité entre eux. Qu'ils soient sur le devant de la scène, au milieu des photographes, ou bien seulement tous les deux. Elle ne s'est jamais sentie mal à l'aise avec lui, au contraire, elle se sent un peu plus légère. Elle a le sourire aux lèvres, comme à chaque fois qu'elle entend ce rire de plus en plus familier résonner. La taquinerie qu'il lui renvoie en mimant à quel point elle est gourmande. Le sourire qui s'agrandit un peu trop instinctivement.
Fais attention, Ella, Ce n'est qu'un jeu, n'oublie pas.
- Tu dis ça parce que tu es jaloux… Tu ne peux pas te permettre trop d'excès, alors que moi si. lui rétorque-t-elle, la voix amusée, joueuse. Elle a pris le temps de l'observer, Zende. Elle sait qu'en tant que sportif de haut-niveau, il doit avoir une hygiène de vie irréprochable. Tout ce dont elle n'est pas capable. Les taquineries qui reprennent naturellement, elle laisse échapper à son tour un léger rire quand il parle d'incendier son loft. Ce serait bien dommage, en effet. - Hum, je suis gentille, je te laisse choisir. Choix stratégique, l'envie de lui faire plaisir. Le besoin d'assurer ses arrières, aussi, qu'il ne pense pas qu'elle tente de profiter de lui non plus. Parce qu'elle a cette sensation étrange, ce soir, une qu'elle n'a pas eu ceux qui ont précédé. C'est, un peu, comme si c'était elle qu'il voulait cuisiner. Ou peut-être que, justement, il a envie d'accélérer les choses entre eux. Mais ce n'est pas du tout ce qu'il suggère dans ses paroles. C'est même tout l'inverse puisqu'il évoque de nouveau cette conversation. Le regard qui se perd un instant sur lui, la sulfureuse ne dit rien, le laissant simplement prendre la commande de son choix avant qu'il lui revienne. Elle prend la liberté de s'asseoir sur le canapé, la place qu'elle laisse délibérément libre à ses côtés. Quand il se rapproche enfin, Ella lui tend la main. Main qui garde la sienne. Du bout de ses ongles affutés, elle le caresse à peine dans un frôlement, mais ses yeux sombres ne quittent pas les siens. Autant que son corps effleure le sien. La sirène en action, elle se lance dans cette fameuse discussion. Parce qu'elle le sait, Ella, elle sait qu'il vaut mieux prendre les devants dans une telle situation. Elle sait que la meilleure défense, c'est encore l'attaque. Alors, elle attaque, de ses yeux de biche, jusqu'à son air angélique, mais que l'on ne s'y méprenne pas.
C'est bien une louve qu'il a tout près de lui.
- J'ai l'impression que t'as quelque chose à me dire. Est-ce que… Est-ce que c'est au sujet de nous ? demande-t-elle, le regard soudain effarouché. Comme effrayé de ce qu'il pourrait lui confier. Ce qu'elle peut se détester, dans ces moments, ce qu'elle peut avoir envie de se gifler. Les demoiselles en détresse, en attente de leur soi-disant prince charmant, elle les trouve tellement ridicules. Mais elle est bien obligée d'avoir l'air attachée. Attachée comme le serait une fille banale, une fille normale, une fille qui ne serait pas elle. Pourtant, sincère, il y a une partie qui l'est. Elle a besoin de lui, elle a encore besoin de lui. Mais sans doute pas comme il le faudrait.
Son regard, charbonneux et harmonieux à souhait, ne laissait que peu de place à un éventuel conflit. Zende était pris au piège à la fois par son orgueil (qui lui interdisait l'échec) et par la beauté sans pareille de la demoiselle. Il faut dire qu'avec son joli minois, son teint de porcelaine et ses courbes à faire pâlir le moindre individu : elle ne pouvait qu'avoir des atouts en main. Comment pouvait t-il lui, pauvre australien loin de sa contrée lui tenir tête ? Elle semblait dominer son petit monde du haut de ses escarpins qui épousaient si parfaitement ses longues jambes. Elle semblait être au dessus de toute tentative d'intimidation. Zende n'avait pas de réels soupçons, il remettait simplement en question tout l'attrait qu'Ella lui portait. Il n'était pas rare que les gens se rapprochent de lui en vue de le duper, de l'extorquer. Il se demandait si la jeune femme n'en faisait pas partie, au final. Elle pourrait chercher à le dépouiller, à l'humilier. Il avait peu confiance, le jeune homme. Que ce soit avec ses coéquipiers de football ou ses compagnons de fortune, il gardait ses oreilles bien ouvertes et ses yeux de toute part pour guetter. Au moindre faux pas, à la moindre recherche de plus, de l'intime... Il se dérobait. Il se voulait insaisissable, Zende. Qu'aucune épée le touche, aucun rouge à lèvres sur ses joues, aucun coeur envahir le sien. C'était une paroi invisible qu'il construisait avec les autres. Et pourtant... Pourtant Ella était là. Chez lui. Là où aucun homme ne demeurait ni ne mettait les pieds, d'ailleurs.
Tournant sur elle-même et se moquant gentiment de lui, Ella lui suppute qu'il n'est que jaloux. Un pauvre envieux de sa condition à elle, de son corps à elle. Il était clair qu'Ella était une joueuse hors pair et se confronter à elle n'était pas chose aisée. Fort heureusement, le jeune homme était aussi un joueur. Il aimait la compétition et il n'allait pas s'estimer vaincu si facilement. Il rétorqua, un sourire du coin des lèvres. - Dois-je comprendre que tu ne me trouves pas à ton goût ? Il sait que ce n'est pas risqué, qu'il ne mettra pas sa tactique séduction en marche. Il veut seulement la pousser dans ses retranchements, elle aussi. Lui démontrer qu'il la tient. Elle le laisse choisir, il prend alors son téléphone et commence à composer le numéro d'un restaurant chinois. Il se répétait que si la soirée ne prenait pas la tournure qu'il espérait, au moins il aurait le ventre rempli de bonnes choses. Il l'informa, posant une main sur le téléphone tandis que les sonneries se succédaient. - Tu mangeras chinois ce soir, Ella... Pas préparé par mes soins mais vraiment délicieux. Il s'éloigne ensuite, passant la commande. Il prend des nems, des nouilles, des samosas par trois et du riz cantonnais. Incapable de choisir entre une sauce salée et sucrée, il accepte les deux. Il entend au loin dans le combiné que le gérant donne la commande au cuisinier. Il lui confirme que le livreur viendra dans une trentaine de minutes. Il le remercie et raccroche. Quand il revient dans la pièce il sent une atmosphère... différente. Il ne saurait l'expliquer mais il sent bien que la jeune femme le regarde avec insistance. Elle s'est assise sur le canapé, prête à l'attendre. Il s'assoit à son tour, le coeur tambourinant d'inquiétude. Qu'allait t-elle faire à présent ? Cherchait t-elle à l'ensorceler ? S'il n'était pas gay, il aurait pu tomber aisément dans ses filets... Mais là, maintenant, il semblait bien qu'il n'échapperait pas à son envoûtement. Ses ongles plantant dans sa chair, elle garda sa main dans la sienne. S'il se sentait mal à l'aise, Zende reconnût qu'elle avait du panache et de l'aplomb. Elle se lançait à l'assaut d'une discussion. Ses yeux trouvaient les siens et il ne voulait plus s'en détacher. Bien qu'il ne voulait pas baisser la garde, il devait bien avouer que la jeune femme avait un don pour atteindre quelque chose chez lui. Comme une sorte de tendresse, de vulnérabilité. Il se sentait stupide de penser une telle chose mais cela expliquait clairement pourquoi il ne la renvoyait pas chez elle. Pourquoi il continuait à lui chercher de bonnes raisons de lui parler, pourquoi il faisait taire toute possibilité de tromperie... Réaliser qu'elle lui mentait le mettrait plus bas que terre, le plus commun des mortels. Le couperet tombe,pourtant. Quelques secondes plus tard pour évoquer leur relation. Entendre le "nous" fit sursauter le jeune homme. Déjà peu habitué au couple, il l'était encore plus à s'imaginer avec une femme. Elle emprunte un air effarouché sans quitter son regard du sien, sans chercher à être sincère? Une petite voix somme Zende de creuser. Il fronce les sourcils, bien décidé à attraper cette perche... pour mieux la déstabiliser. Il répond, sur un ton calme. - Pourquoi dis tu cela ? Tu as peur pour nous ... ou pour toi? Il sait que c'est infime, cette part d'elle qu'il ne connaît pas, qu'il ne voit pas. Il sait qu'il avance sur un terrain miné, que s'il se trompe, elle saura le faire payer. Il sent pourtant qu'il ne se trompe pas. Que sa question est tout sauf innocente... Aurait t-elle peur pour elle? Pour sa position? Elle le mettait dans le doute, lui qui se méfiait déjà de tout le monde à l'accoutumée. Il reprend son expression, bien décidé à voir comment elle se dépêtrait de ce qu'il allait lui tendre. - Et moi j'ai l'impression que tu ne me dis pas tout, Ella... Qu'est-ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu veux vraiment? De lui, de leur soi disait nous. Qu'elle assume de le chérir comme elle le prétend ou de le duper telle qu'elle le dissimule depuis plusieurs semaines maintenant. Il sait qu'il arrive à un point de non retour, Zende. Il n'a pas d'autre choix que d'avancer le premier pion sur l'échéquier. Elle avait ouverte la discussion sur un sujet épineux. A voir lequel des deux se piquerait en premier.
L'alchimie. Elle est là. Indéniablement, elle est là. Elle est palpable, elle flotte dans l'air. Elle la sent, Ella, bien plus qu'il ne lui arrive de le ressentir avec ses victimes habituelles. C'est peut-être parce qu'il est différent des autres, Zende. Il est beau, jeune, ambitieux et plein de vie à la fois. Le sourire charmeur qui doit en faire tomber plus d'une, elle en oublierait presque sa fortune. Il sait mettre de côté ce qui est censé être la seule source d'intérêt de l'arnaqueuse de tous ces jolis cœurs. Il sait lui donner la sensation d'être dans sa vie, pas seulement dans sa ligne de mire. Il sait lui donner le sentiment d'être avec une personne qu'elle apprécie, une qu'elle a envie de voir, plutôt qu'elle n'en a besoin. Ce serait presque un jeu dangereux, si elle n'en maîtrisait pas les règles aussi bien.
Il sait, simplement, te faire oublier trop facilement que ce n'est rien d'autre que cela, un jeu.
Mais elle est capable de faire la part des choses, Ella. Elle peut profiter de cette complicité beaucoup trop rare avec ses cibles, sans pour autant se laisser amadouer. Au jeu des faux-semblants, elle est la reine. Laisse son charme opérer à la manière des sirènes. Le regard empreint de cette lueur malicieuse, elle joue avec lui, plutôt que de lui. Elle le taquine, naturellement, comme elle le ferait avec un ami. Ou peut-être même un petit-ami. La réponse de son complice ne la déstabilise pas, bien au contraire. Il la fait sourire de plus belle. - Il faudrait être aveugle. Simple constat, empreint de vérité. Le corps athlétique de ceux qui s'entretiennent tous les jours, il a le minois tout aussi charismatique. Et l'un de ces sourires qui fait chavirer, faut-il le rappeler. Mais elle n'en fait pas trop, n'en dit pas trop. Même dans son rôle de la dulcinée conquise, elle ne va pas si loin. Elle reste presque celle qu'elle est, Ella. Se contente d'enjoliver ce qui, elle le sait, ne plairait pas. C'est comme une meilleure version d'elle-même qu'elle lui offre, à Zende. Celle qu'elle pourrait être, celle qu'elle aurait pu être, dans une autre vie, si elle n'était pas aussi abîmée. Mais la belle n'en montre rien sous ses airs enjôleurs. Les prunelles ténébreuses, le sourire séducteur, elle lui donne ce qu'il veut. Ce qu'ils veulent tous. La plus belle version, celle qui est fragile mais pas cassée. Celle qui est joueuse, mais pas insolente. Celle qui est pétillante, mais pas exubérante. Tout en nuances qui attirent autant que son apparence. Parce que ce sont les formes ravageuses et la silhouette de rêve qui attirent, mais c'est la personnalité qui retient, assez, pour éviter de les lasser. Pour les garder jusqu'à ce que, elle, finisse par se lasser. Mais ce n’est pas encore le cas avec lui.
Ce n’est pas près d’arriver avec lui.
Un petit hochement de tête entendu suite au choix de son beau sportif, la jeune femme lui répond d’une voix amusée. - Oui chef. Très bon choix, chef. Et elle se surprend, Ella, à être si légère. Plus qu’elle ne l’est en général avec ses victimes, plus même qu’elle ne l’est avec n’importe qui. C’est cette lueur d’insouciance qui s'est éteinte beaucoup trop vite en elle, c'est elle qu'elle retrouve chaque fois qu'elle est auprès de Zende. C'est certainement pour cette raison qu'elle se sent si bien en sa compagnie. Il la sort, sans le savoir, de ses tourments habituels. Il est, comme, une pause au milieu du chaos. Au-delà des avantages financiers qu'il lui offre depuis quelques semaines déjà, c'est cette sensation qu'il lui procure qui lui manquerait. Parce que des hommes fortunés, elle peut en trouver plein. Mais, comme lui, il n'y en a qu'un. C'est aussi ce qui l'incite à prendre les devants, Ella. Prendre l'initiative de cette fameuse conversation plutôt qu'attendre la sentence comme une coupable en attente de jugement. Ses mots paraissent le surprendre mais, bien vite, le jeune homme retrouve tout son aplomb. Il pense qu'elle a peur pour elle.
Peut-être bien.
Son regard accroché au sien, elle ne se laisse pas intimider. Elle en a vu d'autres. Elle sait que, dans le pire des cas, elle devra simplement tourner la page sur celui-ci. Même si t'en as aucune envie. - Les deux ? S'il a quelque chose qui n'allait pas entre nous, ça me toucherait forcément moi aussi. Jusque-là, rien de surprenant. Elle ne sait pas où sont les soupçons de Zende. S'il a peur qu'elle veuille se servir de lui, ou bien l'utiliser à ses dépens. Elle ne souhaite pas lui faire du mal, au fond. Elle a juste envie de savourer les bons moments qu'il peut lui offrir. Ce n'est pas parce qu'elle a le cœur dans l'impossibilité d'aimer, qu'elle doit se passer de l'avoir à ses côtés. Pourtant, quand ses yeux se perdent dans les siens, elle oublie toute crainte. Elle a l'impression qu'il y a quelque chose d'agréable qui passe entre eux. Comme s'ils n'osaient pas, ni l'un ni l'autre, faire le premier pas, mais qu'ils étaient bien là. Bien ensemble. Ou peut-être pas. Quand elle entend sa question, c'est la surprise qui envahit le visage de la louve, loin de s'y attendre. Il a compris. Il a compris qu'il y a quelque chose.
C'est à toi de jouer, Jouer la fille déstabilisée.
Elle n'a pas besoin de jouer beaucoup. Déstabilisée, elle l'est. Car il est le premier, depuis une éternité, qu'elle apprécie pour de vrai. Le premier avec qui elle n'a pas tant besoin de mentir. Mais c'est lui qui la soupçonne. Peut-être justement parce que tu ne joues pas assez. P't-être parce que tu t'es laissée aller. P't-être que t'en as trop dévoilé. - Je veux rien, Zende. Je me sens bien avec toi, ça fait longtemps que ça ne m'était pas arrivé. Elle détourne les yeux, parce que c'est la vérité. Parce qu'elle se sent réellement vulnérable à cet instant. Et elle n'aime pas ça, Ella. Elle devrait peut-être tout arrêter dès à présent. S'en aller, sortir de sa vie. Mais elle reste là, juste à côté de lui. - Mais t'as parlé de… De cette discussion et… C'est ce que font les hommes, généralement, avant de se barrer. Alors je… Je préférerais que tu me le dises si je ne t'intéresse plus. Je préférerais savoir… Avant de m'attacher encore plus à toi. Elle est douée, n'est-ce pas ? Elle paraît plus fragile qu'elle ne l'a encore jamais été devant lui. Elle n'a pas eu besoin de chercher loin ses envoûtements, cette fois. Parce que cette fille blessée, cette fille qui a peur de l'amour, c'est bien elle. Une partie d'elle qu'elle ne laisse pas entrevoir, avec les autres. Elle vient pourtant de le faire avec lui.
Il n'aimait foutrement pas les explications, Zende. Ni celles qui dévoilaient le jeu de l'autre, ni celles qui signifiaient que tout allait changer. Il pouvait voir le changement comme quelque chose de positif comme dans cette carrière qui avait explosé aux Etats Unis ou encore dans ses coéquipiers dont certains lui étaient assez proches. Toutefois, dans les autres domaines, il guettait toute modification comme l'annonciation de quelque chose de mauvais, de bancale. Il n'avait pas eu vraiment de bon pressentiment lorsqu'il avait reçu Ella mais il avait pensé réfuter son instinct. Comme si cela était possible, pour un sportif qui n'avait écouté que son ressenti pour axer sa stratégie. Il avait pourtant essayé de mettre de côté ses doutes, ses profondes interrogations. Sur elle, sur cette jeune femme qui semblait être tombée sur lui comme par magie et sur cette relation bien trop simple et gracieuse à ses yeux pour qu'elle soit vraie. Il faut dire que l'Australien ne connaissait que des déboires comme seules preuves d'amour. L'amour? Il ne savait même pas ce que c'était, lui qui en avait brisé des coeurs à défaut d'entendre même battre le sien. Lui qui était si égoïste, si calculateur pour ne pas se faire tromper. Jamais. Il était bien trop vulnérable pour essuyer un échec ou trop fier. Les deux allaient de paire et Zende savait pertinemment qu'il avait déjà franchi le pas en laissant la jeune femme venir chez lui. Une habitude qu'il avait aussi écarté pour l'inviter à dîner. Qu'est-ce qui clochait chez lui, bon sang?! Il avait joué sur un tableau qu'il ne connaissait pas et paraissait soudainement contrarié que la couleur ne soit pas celle qu'il pensait.
Elle commence à répondre, la belle et le jeune homme se touche la barbe comme pour l'écouter attentivement. Il aimerait voir clairement cette pente glissante, celle qu'elle prend maintenant pour lui confirmer que leur relation la touche, qu'elle ne voudrait pas qu'il se passe des choses négatives. Pour autant, le brun ne veut pas y croire. Il ne veut pas penser qu'elle est si innocente. Quand bien même réside t-il une once d'espoir qu'elle ne se joue pas de lui, Zende veut déjà prononcer son game over.
Elle lui donne ce qu'il veut entendre, ce qu'il pense lui aussi. Oui, il est bien avec elle. Oui, il se sent bien. Oui cela n'était pas vraiment arrivé auparavant. Mis à part ces gars qu'il se tapait aussi vite qu'il les jetait, il ressentait auprès d'Ella une sensation différente. Comme si... comme s'il lui donnait la sensation d'être quelqu'un , d'être un homme sans complexe. Elle ne savait pas qu'il était gay, le soupçonnait peut être mais il n'avait pas envie de parler de cela avec elle. Il n'avait pas envie mais il y serait contraint. Ils avaient atteint un point de non retour, une discussion s'imposait. Il serra les dents. Il se sentit soudainement en accord avec elle et lui lâcha, dans une voix si douce et si basse qu'un murmure.
- Moi aussi. J'sais pas pourquoi mais j'suis bien.
Il ne savait pas comment l'expliquer et l'admettre était déjà assez pour lui. Il voulait lui dire aussi parce qu'elle le méritait. Elle méritait de savoir qu'elle était la meilleure, la plus douée dans ce jeu, qu'elle le menait à la baguette et qu'il se faisait avoir comme un bleu. Lui qui avait tant oeuvré pour ne pas se faire entuber, il était dans de beaux draps.
Il resta un moment à la regarder dans les yeux quand elle aborda ce fameux moment. La conversation de trop, les paroles qui faisaient que l'homme partait. Il avait eu une de ces expressions toutes faites de "il faut qu'on parle", "on doit se dire les choses", etc... Il n'aimait pas les utiliser, notamment car elles ne lui laissaient aucun autre choix de pointer ce dont il avait peur. Parler de cela était la preuve qu'elle avait été plus forte que lui, qu'il s'était fourvoyé à jouer les amoureux pour du vent, pour son argent. Cette conversation était aussi l'illustration de son attachement à elle, à cette situation car sinon, il l'aurait dégagé sans ménagement. Il ne savait pas pourquoi il prenait autant de gants. Et son regard qui restait plongé dans le sien alors que soudainement, la sonnette vint interrompre leur échange non verbal. Il ouvrit, l'odeur du repas livré embauma la pièce. Leurs ventres respectifs devaient crier famine mais leur discussion n'était pas terminée. Il emprunta un sourire volontairement hypocrite au livreur et lui donna un peu plus que le paiement pour qu'il débarrasse rapidement le plancher.
Il déposa le sac sur la table à manger et revint en face d'elle. Il passa une main derrière sa nuque, manifestant son malaise.
- Le repas est prêt mais avant...
Son ventre n'allait pas attendre longtemps mais il n'avait pas d'autre choix. Il devait savoir, il avait besoin de savoir.
- Dis moi Ella... Dis moi si tu te fous de moi depuis le début. Si c'est que les billets verts qui t'émoustillent...
Il avait une certaine rancoeur qui montait, peut être parce qu'elle était trop maligne. Elle avait cet air attendrissant qu'il affectionnait et en même temps, qui lui faisait tant de mal. Mal car il n'était qu'un pion dans tout cela, qu'un gars qui s'était fait avoir. Un de plus qui tombait dans le panneau, un mec en plus sur son tableau de chasse. Il le voyait trop tard, lui qui aurait tant aimé passer une nouvelle fois sa main dans ses cheveux. Il ne pût s'empêcher de toucher ses pointes noires brillantes, si magnifiques dans cette nuit étincelante. Les lumières des buildings qui se reflétait dans la vitre alors qu'il soutenait son regard pour mieux lui faire part de sa déconvenue, de ses regrets.
- Félicitations, Ella. Tu m'as vraiment prise pour un con.
Tout est en train de t’échapper, Ella, Il est en train de t’échapper.
Elle sent qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Quelque chose qui risque de changer à tout moment, quelque chose qui risque de bouleverser une nouvelle fois une existence qui manque déjà trop de stabilité. Elle ne sait pas ce qui a pu semer le doute dans l’esprit de Zende. Peut-être ce côté trop parfait. Peut-être qu’il est différent des hommes qu’elle a connus, les hommes qu’elle prend habituellement pour cibles. Peut-être que c’est elle qui l’a trop traité différemment de ses autres victimes. Parce qu’il est là, le souci. Tu t’es trop livrée à lui. T’as pris le risque de t’attacher à lui. Elle pensait que ce serait plus facile. Si, pour une fois, elle apprécie sincèrement l’homme qu’elle fait semblant d’apprécier, cela devrait être plus facile. Plus crédible. Mais elle a manqué de clairvoyance, Ella. Elle a oublié de se préserver, oublier de se protéger. Oublier de réfléchir parce que, en vérité, elle ne réfléchit plus quand elle est avec lui. Elle se contente de laisser son instinct agir. Peut-être trop agir.
Parce que ce soir, c’est trop tard, Tu vas tout perdre, Zende aussi, tu vas le perdre.
C’était si bien parti. Trop bien parti. Il a appris à s’ouvrir à elle, lui qui paraît si inquiet de laisser les autres l’approcher. Elle a pu, plusieurs fois, le constater. Elle a vu cette complicité se créer. Elle l’a senti dans son cœur qui, pour de vrai, battait un peu plus fort à ses côtés. Elle l’a senti dans son regard à lui, chaque fois qu’elle lui souriait. Mais elle est allée trop loin, elle s’en rend compte. Elle s’en rend compte alors qu’elle est là, à lui confier qu’elle se sent bien avec lui. Tu devrais te taire. Tu devrais te lever et lui dire que tout est terminé. Seulement, elle est têtue, Ella. Elle n’a pas si souvent d’idées arrêtées. Mais quand elle décide quelque chose, elle s’y tient. Elle a décidé de le faire sien, elle le fera. Elle n’a jamais libéré aucune de ses victimes, la sirène. Elle en tire tout ce qu’elle peut avec tout ce que cela entraîne. Il ne fera pas exception à la règle, Zende.
Mais n’est-ce pas déjà ce qu’il est, au fond, Une exception ?
Elle ne l’imaginait pas autant. Pas jusqu’à présent. Mais c’est quand il lui confie qu’il se sent bien, lui aussi, avec elle qu’elle réalise. Que la réalité devient si visible. C’est son palpitant qui réagit trop vivement qui vient lui dire. Tu t’es attachée à lui, Ella. Elle s’est attachée à ses taquineries espiègles, elle s’est attachée à sa légèreté entière. Elle s’est attachée à ce sentiment qu’il inspire, celui si exaltant, d’être vivant. Elle s’est attachée à sa lumière. Et, même, à son mauvais caractère. Elle s’est attachée à lui, mais il a compris. Il a compris son manège, il a compris son petit jeu. L’argent comme seule motivation, plus que le rêve d’être à deux. Elle est encore prête à le contredire quand il revient, muni d’un repas qu’elle ne touchera sans doute pas. Parce qu’elle n’est pas naïve, Ella, elle voit bien qu’il est en train de lui filer entre les doigts.,Encore prête à renier ce qu’il a déjà percé à jour, elle est déjà préparée à lui balancer tout son discours. Celui habituel qu’elle peut donner quand la situation tend à lui échapper. Celui qu’elle donne aux hommes lambdas, ceux auxquels elle ne s’attache pas. Mais il vient glisser ses doigts, délicatement, contre sa chevelure ébène.
Tu peux pas, T’y arrives pas
Elle déglutit difficilement et prend une profonde inspiration. Se laisse une seconde pour accepter cette conversation. Celle qu’elle n’avait pas préméditée, celle qu’elle n’avait même pas envisagée. – Je… Je te voulais pas de mal. L’aveu à demi-mots, ceux qui vont tout changer. Ceux qui vont tout arrêter. Et tu sens que t’en as pas envie. Tu sens que t’as besoin de le retenir quand il est déjà trop tard. Il y a son regard qui parle pour elle. Cette souffrance coupable dans ses prunelles. – Je voulais juste… Tu vois, oublier ma vie pourrie, le temps de quelques soirs. Elle détourne les yeux, l’air coupable. L’air minable. Elle se rend compte combien ce qu’elle dit est affreux. Combien il est en train de voir clair dans son jeu. Dans la personne qu’elle est, celle qu’elle cache derrière ses sourires angéliques, et son regard malicieux. Pas une fille paumée, pas une fille brisée, juste une manipulatrice qui a voulu faire de lui sa marionnette. Mais, ce soir, tout s’arrête. La main qu’elle passe fébrilement dans ses cheveux, elle reste pourtant face à lui. Elle reste alors que, en temps normal, elle serait déjà partie. Son secret percé à jour, elle n’aurait plus de raison de rester. Plus de raison hormis Zende. – Je te mentais pas quand je disais que je me sentais bien à tes côtés. Je… Je me suis attachée à toi, je t’assure, c’est vrai. J’ai pas joué sur ça, j’ai pas joué quand j’étais avec toi. Et, pour une fois, elle ne ment pas. Pour une fois, elle expose la réalité telle qu’elle la voit. Telle qu’elle la ressent.
D'ordinaire, Zende était friand de propositions et d'adjectifs qu'il pouvait recevoir. Suscitant les convoitises autant que les critiques, il était fier et heureux de déclencher tant d'émotions à la fois. Il avait rêvé de gloire dès son plus jeune âge et toucher du doigt ce succès immense le remplissait de joie. Pourtant, il ne s'était pas habitué à la tromperie. Quelque chose qu'il fuyait, presque autant que l'engagement. Il avait beau s'être préparé, la douche était glaciale. Devant lui, la belle Ella qui se démenait pour mener son récit. Elle déglutissait, la brune incendiaire. Elle avait été la plus joviale, la plus proche des deux. Ce soir, elle peinait à le regarder dans les yeux, marquant un temps de pause avant de lui répondre que ce mal n'était pas intentionnel, qu'il était aucunement prémédité. Zende serra les dents, croisant ses bras pour amortir le choc... et peut être aussi pour contenir sa rancoeur. Plus que de la rancoeur, il avait cette fureur qui grondait en lui. Une colère de Zeus qui se propageait dans son être, dans ce corps. Son sang ne fit qu'un tour quand il réalisa qu'elle était là, à cet instant précis, la plus sincère. Forcément, se faire prendre la main dans le sac n'était certainement pas quelque chose qu'elle avait prédit mais qui lui pendait au nez. Las, Zende gardait sa mâchoire serrée pour ne pas montrer plus, pour ne pas s'humilier davantage. Ses coéquipiers rigoleraient bien de lui s'il le voyait. Lui, le gay refoulé qui s'était fait avoir comme un amateur au premier jeu de regard d'une belle femme. Il n'y était pas habitué, l'Australien. Il ne les regardait jamais les femmes, encore moins quand elles s'intéressaient à lui. Il savait qu'il ne pouvait rien leur offrir et il jouait les indifférents pour s'en débarrasser. Mais Ella... Tout de suite, il y avait eu autre chose. Un ressenti qu'il n'avait jamais eu auparavant... et n'aurait certainement plus jamais. L'intime conviction qu'elle n'était pas sur son chemin par hasard, qu'elle était faite pour s'entendre avec lui...
Cette souffrance, cette culpabilité dans ses yeux ne font pas oublier à Zende comme il s'est fourvoyé. Il pensait presque pouvoir pardonner, pouvoir oublier ce qu'elle lui avait fait. La rancoeur parlait à la place de sa compassion, de son empathie qu'il pourrait avoir envers elle. Qui l'empêcherait de la dénoncer à son manager, de lui faire une réputation peu reluisante. Elle reprend la parole pour lui déverser son quotidien, pour montrer une image si négative, si triste de sa propre vie... Zende la stoppe d'un geste de la main.
– Tu ne me voulais pas de mal... Mais tu m'en fais. Là, maintenant. Il s'étonne lui-même d'être aussi dur, de lui dire les choses comme elles le sont. Il n'aimait pas se confier alors rebondir sur ses dires et lui confirmer qu'elle avait atteint cette case qu'elle ne pensait pas viser, c'était reconnaître une fois de plus qu'il s'était attaché. Trop attaché, déjà trop collé à elle, à l'illusion de leur "nous".
Pourtant elle titille sa curiosité. Evoquant une vie minable, une vie qu'il ne serait bon de relever, de souligner. Zende passe ses mains sur son visage et pense au repas. Il serait bientôt froid. Il devait être tiède mais en réalité, il se demandait s'il avait encore faim. Reposant ses yeux sur Ella qui passait une main dans sa chevelure ébène si scintillante, il ne peut s'empêcher de vouloir en savoir plus. D'aller jusqu'au bout au risque de découvrir quelque chose de pire. Il ne peut que voir cette belle jeune femme en proie à ses doutes, à cette partie d'elle-même qu'elle vient de dévoiler. Il n'en est pas sûr mais il perçoit qu'elle est mal à l'aise, qu'elle ne se sent pas forcément bien. Ils étaient deux dans ce salon, chacun avec ses états d'âme et ses certitudes, chacun avec une vérité révélée et d'autres secrets bien gardés.
Il prit à son tour la parole, après avoir passé quelques doigts sur sa barbe, histoire de réfléchir encore un moment. Il demanda, calmement.
– Comment pourrais tu avoir une vie si minable ? Minable pour profiter de moi? Minable pour me le cacher ? Toi qui souriais si souvent...
Il recula, quelques pas en arrière pour repousser cette main qu'il lui tend. Il sait qu'il ne devrait pas, il sait qu'il est trop impliqué, qu'il pourrait se brûler le bras à force d'être si compréhensif. Si patient avec celle qui aurait pu lui voler n'importe quoi dans son sommeil, en un claquement de doigts s'il avait le dos tourné. Confiance bafouée, que pouvait t-il attendre d'une telle personne ? L'inconscient ignorait sa raison avec panache.
Le couperet tombe. Surprenant, déroutant mais si... si rassurant. Elle lui dit qu'elle aussi tient à lui, qu'elle s'est attachée. Peut être avec plus de raison que l'Australien mais le simple fait de le voir sert à éclairer son âme. Ainsi n'était t-il pas le seul à avoir cette douleur de l'égo mais aussi de cet attachement. Réciproquement, ils s'étaient découvert et avaient un lien réel. Plus que ce qu'il avait imaginé.
– Moi non plus Ella... J'étais bien avec toi, j'ai oublié mes soucis à tes côtés et... et tu m'as permis de me sentir si bien. Mais dis moi. Dis moi pourquoi tu voulais profiter de moi?
Il craint la réponse à cette question, peut être parce qu'il la sait déjà.Sa fortune ne sera bientôt un rêve devenu réalité et il pourra encore avoir des vautours qui tourneront au dessus de sa tête. Mais Ella, elle ne l'est pas. C'est une colombe au milieu de ces rapaces, un éclat de lumière dans cette nuit noire où il demeure solitaire. Et elle restera, sans aucun doute, sa douceur dans ce quotidien si brut, si effréné. Son havre de paix, son échappatoire.
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Sujet: promise the moon. (Zende) 
Dim 8 Sep - 14:05
