stop fighting

traits de caractère / Amara est une personne spéciale, à part. Elle est rêveuse, on lui a souvent reproché d'avoir la tête dans les étoiles et de rester dans ses mondes imaginaires qu'elle s'est inventé. Adorable pourtant, elle est douce et gentille, prête à tout pour rendre ses proches heureux. Artiste et passionnée, elle peut passer des heures à illustrer une toile, perfectionner un croquis de bijoux ou juste observer son oeuvre en cherchant comment l'améliorer. De ce fait, c'est quelqu'un de solitaire, qui n'aime pas être entourée de trop de monde, surtout quand elle doit être concentrée. Ses créations reflètent sa sensibilité et son côté romantique, tout comme son style vestimentaire - bohème et sensuelle. Rarement visible sans sous sourire sublime, elle aime à croire qu'elle est capable de rendre la gaité à n'importe qui, par sa légèreté, son humour particulier ou sa naïveté. Pas très douée avec les mots, elle préfère s'exprimer par l'art plutôt que par des phrases. Elles peuvent être mal interprétées alors qu'une peinture, elle arrive à procurer tout un tas d'émotions même pour les non initiés.
Parfois maladroite, elle a ce tic nerveux qui consiste à se mordre la lèvre et jouer avec ses longs cheveux blonds. Parfois difficile à suivre et à comprendre, elle aime attiser le mystère autour de sa personne. Parce que ce qui est secret, est préservé, pas vrai ? Dans sa vie amoureuse, c'est la même chose. Elle est fidèle mais a du mal à montrer ses sentiments. Les actes parlent plus facilement pour elle. Elle est prête à rester une nuit entière éveillée à guetter le retour de son amoureux pour lui faire une surprise. Elle peut prendre sur elle pour faire plaisir à l'autre, quitte à parfois s'effacer au profit de son partenaire. Une erreur qu'elle ne compte plus faire aujourd'hui. Les erreurs du passé lui auront au moins appris à rester elle-même, coute que coute. Elle a pour ambition d'être heureuse à son tour, comme sa soeur de son vivant. Mais l'amour est capricieux avec elle, il joue avec ses sentiments et l'empêche d'atteindre son but. L'idéal pour elle, est inatteignable. Pourtant elle continue d'y croire, encore et toujours.

Je regarde la toile que je viens de finir et je craque. Je pleurs, je laisse tomber mon pinceau et ma palette au sol dans un sanglot. Cette peinture est ma plus belle réussite. Mais ce n'est pas pour ça que je m'effondre en larmes. Je suis contente d'avoir relevé ce défi mais aussi dévastée de contempler le visage qui me fait face à présent.
Jenny. Ma soeur disparue. Elle est là, face à moi, peinte en aquarelle, aussi belle que dans mes souvenirs. L'expression du visage est identique au modèle, son sourire aussi communicatif qu'à l'époque. Je pensais qu'en peignant son portrait j'allais plus facilement faire mon deuil. Mais c'était encore pire. De me dire que la seule façon de la voir aujourd'hui était comme ça, en photo ou en peinture.
Sa disparition est trop difficile à endurer. Tellement soudaine. Tellement inattendue. Je me rappellerais toujours de ce coup de fil en pleine nuit. Suile qui appelle pour m'annoncer à la fois la naissance de mon neveu et la mort de ma grande soeur. Je me souviens de mon silence, de mon incompréhension. Puis de mon cri dans le noir. Mon fiancé de l'époque, Jack, se réveillant en sursaut à côté de moi. En dix minutes j'étais habillée et en direction de l'hôpital. Il fallait s'occuper de Lily et maintenant de Lucas. Il fallait accompagner Suileabhan dans cette épreuve affreuse et injuste.

Déni. Impossible, une chose aussi horrible ne pouvait pas arriver à ma soeur Jenny. Le rayon de soleil de la famille, mon guide, mon modèle. Je répétais ses mots en boucle dans ma tête sur le trajet qui menait à l'hôpital et encore après quand je vis l'expression dévastée sur le visage habituellement si souriant de Suile. Tout ça était impossible. Ça ne pouvait pas nous arriver.
Colère. Un sentiment de puissante injustice, l'envie de taper quelque chose ou quelqu'un. Alors que je suis la personne la plus pacifiste sur terre. Le chauffard mérite l'enfer, ne devrait même plus être en vie. Pourtant il est là, dans une chambre annexe, légèrement blessé et encore sous le coup de l'alcool. Il n'a même pas conscience de ce qu'il vient de provoquer. Personne ne peut l'approcher, il est gardé par la police qui l’emmènera dès qu'il sera rétabli. Il sera jugé, puni. Mais en vie.
Négociation. Très peu pieuse, je me mets à prier dans la chapelle de l'hôpital. Tenter de trouver une solution à ce drame. Pourquoi elle ? Sa vie ne devait pas se finir là. Elle était maman, femme. Elle était indispensable pour tant de personnes. Elle avait un projet professionnel en cours, une maison magnifique, une famille soudée qui l'aimait. Et moi ? J'étais fiancée à un homme bien plus vieux, père lui aussi. Juste pour compenser mon manque, pour me créer ma propre famille en sachant très bien que je n'arriverais jamais à être aussi heureuse que Jenny. Pourquoi elle ? Pourquoi le chauffard n'est-il pas mort en percutant un arbre ? Pourquoi ne m'avait-elle pas appeler pour l'accompagner à la maternité ?
Dépression. Les pleurs. Encore et encore. Avec mes parents. Devant Suile qui tentait de garder une certaine contenance pour ses enfants. Lily qui était à la maison avec le frère. Et moi qui n'arrivait pas à accepter cette perte. Qui ne voyait pas ma vie sans ma grande soeur. Sans la mère et la femme modèle qu'elle représentait à mes yeux. De nombreuses nuits sans sommeil, gorgées de larmes et d'incompréhension. La rupture de mes fiançailles pour pouvoir rester auprès de Suileabhan et ses enfants. L'arrêt temporaire de mon travail pour combler le vide, tenter de donner à Lily et Lucas une enfance normale en dépit de la perte du centre de leur univers. L'emménagement dans leur maison pour être plus proche d'eux, pour les aider au quotidien. Faire quelque chose d'utile pour égayer leur journée, ne serait-ce qu'un peu. Le presque oubli de ma propre peine au profit de leur bonheur, à eux.
Acceptation. Phase encore en cours. La maison familiale vendue, Suile a repris le bar de Jenny et recommence sa vie ailleurs. Pour créer de nouveaux souvenirs. Moi ? J'ai un appartement près de chez eux, pour être là à n'importe quel moment. Je ne voyage plus. Je crée toujours mais je sous-traite la vente. Ça me rapporte moins mais j'ai d'avantage de temps pour ce qui compte vraiment. Eux, ma famille. Je ne veux pas remplacer ma soeur, c'est insensé et impossible. Mais pourtant je suis là, parfois dans l'ombre. Je vois l'homme que j'aime et admire depuis des années reprendre doucement vie même si les sourires sont rares et courts. Il est un père formidable malgré tout. Son bar fonctionne, permet de garder la mémoire de ma soeur en vie, pour toujours.

Cette toile, je compte la lui offrir pour orner un mur du bar, justement. Pas tout de suite, la plaie est encore béante. Mais un jour, quand le souvenir de Jenny sera d'avantage joyeux que douloureux, alors je serais fière de voir son visage orner les murs de ce lieu qui porte son nom.