she's lost control again - Mel

traits de caractère / Habituellement solaire, son sourire faisait briller ses yeux noisettes. Un humour piquant sous ses airs sages. Rêveuse, elle se perd souvent dans des songes qui n'appartiennent qu'à elle, aujourd'hui ils sont hantés par les fantômes de ses enfants et c'est la mélancolie qui habille ses traits, guide ses mouvements. Elle erre désormais des cigarettes au vin. Elle cherche à enterrer la douleur, l'ensevelir, quelques médicaments. Juste un peu. Elle est fragile, elle a été si forte pourtant. Elle est fragile maintenant, et bien cachée dans le tiroir de sa table de nuit les pilules l'aide à supporter la nuit et à tolérer la journée. Ordonnée, elle est devenue maniaque, elle récure, elle arrange, elle trie. Maternelle, elle racontait des histoires, répondait avec la patience d'un ange aux trop nombreuses questions, elle pansait les plaies, les bobos et les balafres plus sanglantes. Elle a été son infirmière plus qu'à son tour. Amoureuse, elle l'était, profondément, dévouée et attentive. Elle regrette tellement, elle voit tout s'étioler. Parfois, elle ne voit qu'un étranger. Parfois, elle a envie d'hurler, de le frapper. Mais le plus souvent, elle évite son regard, elle évite même son ombre.

Droite devant la tombe de ses parents, elle accueille les condoléances. Orpheline perdue, elle ne sait pas encore où elle doit aller. Elle essaie de rester droite parce que si elle flanche elle n’aura personne pour la relever. Plus personne pour sécher ses larmes, remettre une mèche derrière son oreille. Sa mère lui manque, y’a comme un gouffre en elle. Elle a l’impression qu’elle va les voir, que le crash n’était qu’un mal entendu. Les cercueils sont vides, y’avait plus rien à mettre dedans. Rien, ce rien qui l’angoisse et qui l’englobe. Elle prend une inspiration, elle ne doit pas flancher. Son grand père pose la main sur son épaule, sa peau est parcheminée, il a le regard éteint. Elle a perdu ses parents, mais lui il a perdu sa fille. Elle peut pas imaginer ce que ça fait.

Elle apprend que son parrain a accepté de la recevoir chez lui. Elle ne le connait pas bien, il sort d’un drame lui aussi. Elle hésite mais ainsi, elle n’aura pas à changer de lycée. Il a une fille lui et si elle espère pouvoir trouver une sœur en elle, une confidente, elle comprend vite que ça ne sera pas le cas. La cadette est une boule de nerf. Elle comprend la colère, elle s’en fait réceptacle patient, s’enferme dans les études, dans divers clubs. Elle multiplie les activités pour ne pas avoir à penser. Vivre pour que ses parents soient fiers. Elle est prise à l’université de son choix, celle avec l’option art qu’elle souhait ardemment. Elle est allée l’annoncer à ses parents. Sur leur tombe, elle leur parle souvent. De sa vie, de ses projets.

Ils lui ont laissé assez d’argent pour payer une partie des frais universitaires. Elle prend un job à côté, dans un café librairie, elle y expose ses premiers dessins. La gérante la prend en affection. Elle construit doucement une jolie vie. Elle est sérieuse, elle est douce, elle est douée, elle est jolie Mel. Comme une princesse disney et tout le monde attendait d’elle qu’elle ramène un prince, un gentil, doux, un honnête prince. Les quelques garçons qu’elle avait fréquentés était de cet acabit là. Elle n’avait rien pour les mauvais garçons. Alors quand ce type qui se nommait Hadès était venu à sa rencontre la première fois, elle l’avait d’abord gentiment rejeté, puis plus durement. Elle s’était mise en rogne et c’était un fait rare chez elle.

Quelques mois qu’ils se voient. Elle pense, elle sait qu’il en voit d’autres. Mais il revient toujours. Y’a quelque chose chez lui qui lui fait du bien. Toute la colère qu’il s’autorise et qu’elle se refuse. Ses amis lui disent de se méfier, le bon sens lui hurle de faire attention. Et quand elle tombe enceinte elle ne sait pas quoi faire. Elle est pas certaine de pouvoir compter sur lui, elle imagine plutôt le voir claquer la porte et disparaître. Elle s’imagine pas non plus avorter, rien à voir avec les conneries religieuses. Mais pour la première fois depuis la mort de ses parents, elle sent le gouffre se refermer. Une famille, un amour à dispenser. Alors elle lui dit, à demi mots rapidement soufflés.

Elle ne pensait pas le voir revenir. Encore moins avec une bague. Elle essaya de ne pas pleurer, mais l’intense sensation de bonheur submergea le moindre effort pour conserver une contenance. Elle n’était pas une de ses filles qui avaient longuement rêvé de la robe blanche, mais elle avait longuement espéré pouvoir un jour construire une famille. Elle ne pensait pas que cela viendrait de lui. Quand elle l’annonça à son entourage, la plupart de ses amis se montrèrent sceptique quant à la capacité d’Hadès à se montrer un bon père. A se montrer présent pour elle. Mais à quelques rares exceptions personne ne semblait considérer Hadès comme digne de Mel. Il était trop éloigné de son monde pensaient-ils. Un jour, il lui cognera dessus, murmuraient-ils tristement. Elle le connaissait, elle savait les démons, mais jamais il ne lui ferait du mal, il n’était pas le genre de lâche à cogner sur sa femme parce qu’il avait passé une sale journée. Elle n’était pas assez naïve pour imaginer qu’elle le sauverait.

La grossesse se passe relativement bien et quand il regarde sa fille, elle perçoit pour la première fois chez lui, une fragilité. Et elle se sent son prudent amour pour lui perdre sa retenu. Elle est heureuse, vraiment, sincèrement heureuse. Même lorsqu’elle est inquiète, même lorsqu’elle soigne ses plaies, qu’elle le recoud. Elle ne le blâme pas, il revient. Il est là, pour elles. A nouveau enceinte, elle n’hésite plus à lui dire. En parallèle sa carrière se porte bien, elle a plusieurs contrats et son nom est synonyme de qualité dans le monde de l’illustration. La vie n’est pas parfaite, ni toujours simple, mais elle sourit sans jamais se forcer, elle aime sans y penser.

Fin du bonheur, fin des sourires, face aux tombes de ses enfants. Elle est debout, droite, la rage au fond du cœur. Encore une fois, seule. Hadès est à côté, mais il est si loin. Seule, avec dans le ventre ce gouffre réouvert, béant, abyssale. Ne pas chuter. Droite alors qu’elle voudrait s’écrouler sur leur tombe, se laisser engloutir par la terre meuble, les rejoindre. Ses petits, ses amours. Il y a des larmes sur son visage, silencieuses. Elle se sent flancher, elle accroche sa main à celle d’Hadès, elle sert trop fort ; elle a mal. Il y a du monde. Des amis, de la famille, des camarades d’école aux sanglots intolérables. Elle veut partir, elle veut quitter ce lieu, s’enfuir. Elle a déjà trop enterré. Plus qu’à son tour. Elle serre et les jointures de ses doigts sont blanches. Elle sait pas si c’est elle ou si c’est lui, si elle s’accroche à lui ou lui à elle. Enlacés comme on étreint un roc en pleine tempête.

Et puis les étreintes se sont fait rares. Ensemble face au monde, incapables de retrouver l’intimité. Elle le laisse s’éloigner, essaie d’être là pour lui, essaie de s’oublier. La rage toujours au fond d’elle, qui la gangrène doucement. Les médocs aident, elle sait plus comment vivre. Elle se met à boire un peu trop, elle erre. Elle fait si bien semblant, alors que parfois, elle pense qu’elle est déjà morte. Une morte vivante. Elle tend la main à Hades, elle se sent plus que jamais Perséphone à régner sur ses morts.