little kids shoot marbles
where the branches break the sun
into graceful shafts of light…
i just want to be pure
LA LUNE BLANCHE - je suis dean davis, un gosse paumé du queens. gosse au parfum de la jeunesse envolée au rythme de mes propres envolées. mes propres insécurités, et mes propres dérapages. putain qu'c'est dur de grandir. chez maman, tout semble si beau, si lisse et si propre que tout le reste autour ne peut qu'être aussi éblouissant. mais
naïveté trompe avec de beaux mensonges pour mieux cacher l'affreuse réalité.
naïveté m'a poussé fort dans ses roses intoxiquées et dès lors j'ai goûté à un poison insoupçonné : celui de la liberté. tous les gosses rêvaient d'être un peu libres, s'échapper du nid douillé qu'impose un schéma familial, et vaquer à des occupations que chaque parent à peu près conscient déteste. moi, je vous avoue faire partie de ce lot. j'aimais dévorer l'air doux de ma liberté. tous les mardis, jeudis et vendredis après les cours, je pratiquais le basketball, enfermé dans un gymnase plusieurs heures avec comme unique pensée
défoncer toutes ces petites merdes en face de moi pendant les tournois. dit comme ça, c'est flippant. mais notre coach – comme tous les autres avant lui – nous avait appris à maintenir cette hargne, cette haine, sur le terrain pour mieux frapper dans la victoire. c'est une technique comme une autre après tout, et dans tous les cas, il fallait bien leur rétamer la gueule à nos ennemis. le basketball était mon unique passion, j'y consacrais le plus clair de temps si bien que je séchais les dernières heures de cours qui me pourrissaient le cerveau, et je me remettais à taffer mes dribbles. ma mère m'a toujours encouragé, même si au fond d'elle ce qu'elle désirait par-dessus tout, c'était un fils responsable avec un travail l'été et du temps à gaspiller ailleurs que dans un sport.
LUIT DANS LES BOIS ; - la nuit alourdit les rues, et, allongé sur un toit, une légère brise vient me caresser tout le corps, plus spécialement l'entre-jambe, je ressens une force incroyable sous un ciel étoilé, au cœur d'une ville gigantesque. en fait je ne pense à rien quand je me branle, seulement mon corps dénudé et le souffle des étoiles, et c'est magnifique. je tiens mon journal, je note mon quotidien et mes pensées pour extérioriser tout ce qui doit l'être, sur du papier. je m'exprime comme ça, je vomit l'inspiration simplement. la ville ne me parle pas vraiment. mais mon cœur si : c'est ma seule muse. elle m'a accompagnée durant toute mon adolescence. et aujourd'hui encore.
DE CHAQUE BRANCHE - financièrement, nous embrassions la misère. on vivait dans un trois pièces ridicule, perchés sur un immense immeuble où s'entasse n'importe qui (et surtout n'importe quoi). cet espace restreint est l'endroit où j'ai grandis. je ne me souviens plus très bien l'étage et la porte exactement, ça commence à remonter. mais je vous assure qu'une fois dedans je le reconnaîtrai aussitôt. sur le petit réfrigérateur, des prières sur du vieux papier, des vieilles photos d'une famille oubliée, des factures, et encore des photos. c'était principalement des photos de moi pendant que je jouais au basket. je me demande si maman aimait vraiment toutes ces photos ou si c'était pour se rappeler qu'elle n'a en sa possession uniquement des clichés de moi. toujours est-il que désormais elles ne doivent plus être accrochées, ces photos. et qu'importe, je ne la vois plus ma mère maintenant. autrement, j'avais de vrais amis, à nous cinq on représentait bien les gamins rebelles du bahut. l'école, on l'a toujours rejetée. et dieu, ça fait bien longtemps que je lui ai craché à la gueule. quand j'étais petit, vers 8-9 ans, j'ai essayé d'être pote avec dieu en l'invitant chez moi à venir voir le championnat du monde de basket. il est jamais venu.
PART UNE VOIX - puis parfois, la vie décide de faire des siennes, d'instaurer ses propres règles du jeu et nous forcer à les suivre car au final on n'a pas le choix. on prend des mauvaises décisions, et on perd pied. on voit les choses partir en miettes entre nos doigts et la seule chose que l'on peut faire, c'est attendre de finir en miettes à son tour. c'est con la vie, mais c'est ça. on était cinq, mais liam est mort. d'une leucémie plus précisément. les détails, j'en sais rien et je m'en tape. liam c'était l'as du basketball, le plus grand de nous cinq et surtout le plus intelligent. c'était une lumière ce type, tout ce qu'il pouvait entreprendre suivait le droit chemin. c'était mon meilleur ami, mon épaule, mon pote d'enfance et par-dessus tout, celui qui savait tout de moi dans mes plus grandes évidences comme mes plus fines lignes parsemées de secrets. sa maladie n'a duré que quelques futiles mois avant qu'il ne rende âme et s’installe pour de bon dans nos mémoires. je sais que les autres mecs s'en sont remis facilement de cette perte, mais moi, j'ai totalement perdu pied. sa disparation a été mon ouverture sur un terrible précipice où chaque seconde un peu plus, je m'abaissais dedans avec la crainte ultime d'y rester à tout jamais.
SOUS LA RAMÉE ... - ben m'a introduit à cet enfer. c'était lors d'une soirée, qualifiée comme une
surprise, qu'il m'a présenté à deux filles dans un immeuble bien plus sophistiqué que le notre. à la porte : deux blondes sur-maquillées, en petite tenue, qui puaient le sexe. l'une d'entre elle m'a entraîné dans sa chambre, lâché dans un grand lit et elle a sorti de je n'sais plus où une boîte abritant de la came blanche. je pouvais pas foutre en l'air ma première expérience sexuelle, alors j'ai tout sniffé d'une traite. j'ai senti mon sang chauffer et mon corps prêt à dévaler des montagnes. suivi par des pulsions qui ne repartiraient pas de suite. ainsi la blondasse a eu ce qu'elle voulait, pu prendre son pied et moi je demeurais l'esclave de cette blanche qui manquait à mes narines desséchées. puis cette poudre a commencé à s'affirmer de plus en plus: des nuits entières à sniffer, des cachetons que j'avalais comme des gorgées d'eaux et mes yeux vitreux prêts se barrer du globe oculaire.
L'ÉTANG REFLÈTE, - le lendemain, j'avais repris de la blanche et ma consommation ne faisait que grimper. le manque s'installait à une vitesse folle, je pensais être le maître du jeu mais je n'étais qu'un pion qu'elle était en train d'éliminer de la partie. et puisque sur le moment mon corps tenait le coup, je me suis lancé sur le terrain. mais les rebonds saccadés du ballon de basketball frappaient comme un tambourin dans mon crâne, et je suais à grosses gouttes dans mon short trop serré avec mes deux fines jambes tremblantes comme des feuilles cognées par le vent. je me souviens avoir frétillé bizarrement. ça ne s'arrêtait plus, pourtant je m'activais sur le terrain, m'imaginant capable de repousser mes limites, refusant de me résigner à la loi de mon corps. un frisson glaçant parcourra tout mon corps, puis, déboussolé, je n'arrivais plus à pourchasser le ballon. ça tambourinait trop fort, ça me retournait le cerveau. je me suis alors écroulé âprement, comme abattu par un coup de feu. à terre, mes yeux peinaient à rester éveillés, ma bouche entre-ouverte relâchait un toussotement faible et mes oreilles bouchées appelaient le silence tandis que mes acolytes, mon entraîneur et une foule subite se ruèrent autour de moi.
PROFOND MIROIR, - c'était les seuls souvenirs qui me restaient tatoués en mémoire car après, je me suis réveillé dans les douches, l'eau jaillissait sur mon visage terni. mon entraîneur était là, tout proche. il me parlait, me racontait des choses, faisait des grands gestes sur lesquels n'arrivais pas à me concentrer. il semblait compatissant, il voulait m'aider à première vue. donc il s'est approché, et puisque je ne réagissais pas, il a commencé à me toucher l'entre-jambe. je me suis redressé pour enfoncer son crâne dans le mur carrelé. "je pensais qu'on était sur la même longueur d'onde, dean, tu n'as qu'à garder ça pour toi et on oublie tout", va te faire foutre, coach. cet abruti s'est imaginé capable de profiter de moi et puisque je lui avais explosé le nez, visiblement, il semblait vexé. pour maquiller tous soupçons, il m'a renvoyé de l'équipe parce que j'étais trop drogué ou trop à l'ouest. une excuse de ce genre. les bruits qui ont courus ont sifflé à l'oreille de ma mère qui m'a interdit de remettre pied à l'appartement. mais moi, ce qui me faisait le plus chier dans tout ça, c'était que je n'avais plus de blanche et plus un rond.
LA SILHOUETTE - dehors, je crevais la dalle, le froid, la peine un peu, et je voyais défiler tous ces gens qui pouvait me contempler crever à feu doux. ben et moi, on est restés très poche pendant cette période. les deux autres mecs, c'était autre chose. jack ne voulait même plus voir nos tronches, c'était le plus net dans toute l'histoire car lui a disputé tous les matchs sans toucher à la moindre drogue, et à l'heure où j'écris ces mots, il doit sans doute être pété de fric à se taper les plus belles nanas du pays. puis aussi louis qui est tombé dans l'aversion au même moment que nous. sauf qu'il s'est fait tirer dessus dans les chiottes d'un métro après s'être mis à frapper deux mecs impulsifs pour une histoire un peu sombre.
DU SAULE NOIR - je vous ai raconté la fois où j'ai pris de l'héroïne ? dans la cave de louis, des mecs qui ont remplacé les armes par des seringues m'ont proposé de passer à l'intraveineuse alors que je voulais seulement sniffer. j'avais pourtant peur des aiguilles, mais j'ai accepté tête baissée. c'était comme une longue vague de chaleur dans tout mon corps. douleur, souffrance, tristesse, sentiment de culpabilité, tout avait été lessivé. voyage imminent, on n'est jamais prêt pour le décollage. mais lorsque la fusée perd en altitude, la chute est d'une telle fatalité qu'on se sent absorbé par la vie elle-même qui vous grignote sans aucun scrupule. l'étau s'était resserré, et j'avais perdu la virginité de mes veines à 17 ans. au petit matin, le nez s'est mis brusquement à couler, les yeux à pleurer, les muscles du dos et des jambes lourds et raides. puis la réalité vous rattrape, vous vous sentez prêt du gouffre, prêt à mourir, et vous aimez tellement ça que vous continuez. parce que les mauvaises choses vous amènent à celles qui sont bonnes. fuir pour exister. pendant cette période, j'ai volé, braqué et me suis même prostitué pour avoir le fric nécessaire pour payer ma came. mais surtout, j'ai été délaissé dans ma pire solitude au milieu de passants corrompus ou éteints, moi et mes veines entières plongées dans l'héroïne, toujours une cigarette enfoncée dans les badigoinces. j'ai erré dans un new york sale et démoniaque – j'en ai trop vu ses cornes, et ai trop goûté à son fouet. j'ai conclu mon adolescence, là, dans la misère et les putes, et du traînassé au fond de moi une affligeante lame de fond qui a alourdit mon cœur et mon corps, fendillant mon squelette frêle de jour en jour.
OÙ LE VENT PLEURE … - comme ce soir, triste soir pluvieux, où tout semblait m'écraser. la vie et la ville, la douleur et le manque, plus un sous, plus un proche, plus rien pour me relever. je me suis posté sur le palier de l'appartement où j'ai grandis. le mioche souriant et passionné que j'étais commençait à refaire surface. mais derrière ma tête, le manque d'héro me maintenait en apnée, comme s'il me menaçait avec un couteau. c'était plus fort que moi, il m'en fallait. j'ai toqué à la porte, j'ai appelé ma mère et elle n'a pas répondu. je lui ai demandé un peu d'argent, 25 dollars pour survivre dans le froid de cet hiver givrant. ma mère refusait, ''je ne peux pas dean, je ne peux pas'', répétait-elle larmoyante. je voulais rentrer, j'hurlais pour rentrer, et mon cœur brisé battait tellement fort que j'ai cru qu'il s'arrêterait. ma propre mère venait de me laissait à la rue, sans même me donner quoi que ce soit pour survivre. la peur et cette envie irrépressible de me salir encore plus les veines me hantaient à tel point que j'en devenais parano. et en une seule phrase, mon seul repère venait s'effondrer. la seule personne qui devait veiller sur moi venait de disparaître dans mes souvenirs. elle a appelé la police en disant qu'un inconnu la harcelait. ils m'ont emmené, j'ai tellement de fois hurlé
maman pour qu'elle vienne me chercher que je ne sais plus comment le prononcer correctement. va te faire foutre salope.
RÊVONS, C'EST L'HEURE. - j’ai pris 6 mois de taule pour agression, vol qualifié, résistance aux forces de l’ordre et détention narcotique. la désintoxication a été atroce, j’en ai bavé mais j’suis resté clean jusqu’au bout, même si c’est plus facile de trouver de la bonne came ici que dans la rue. putain j’en ai vraiment chié, j’ai rien fait d’autres que relire mes vieux journaux en me demandant comment je pouvais être encore en vie et quelle différence ça pouvait faire. l’important c’est que j’en ai fini avec cette bande d'enculés de violeurs sous la douche. l’important c’est que ces pourris de flics ne me feront plus saigner les chevilles. l’important c’est que j’ai réussi à ne penser plus qu’à des conneries, c’est quand même chouette de se dire qu’on a une vie. ma mère refuse de me rendre visite, il faudra que j’attende encore. et maintenant, je suis de nouveau à zoner dans les rues du queens avec le poids d'un passé scandaleux sur le dos, à croiser tous les matins ces gosses qu'on aurait préféré voir mort il y a 15 ans. ces jeunes défoncés du matin au soir qui s'en sortiront peut-être, comme moi, ou qui périront et pourriront sous les griffes de l'addiction. moi, j'en suis sorti, et j'ai même dégoté un taf dans un bar un peu réputé, où je sers des verres et écoute des clients au désespoir qui, désormais, n'est plus mien.