frozen lungs + Cassey

Sora s'était posé sur ce banc. Y'avait pas d'montre, pas de repère. La seule constante à laquelle il s'fiait, c'est l'soleil absorbé progressivement, jusqu'à laisser la pleine lune reprendre le flambeau. Il fait très froid ce soir. Le rouquin installé sur le banc vétuste sent ses poumons brûlés. Il faut dire qu'il avait opté pour un pull à capuche assez fin, et d'ailleurs très moche. Pour s'réchauffer un peu, il allume un bédo, absent. Les étoiles qui s'défilent devant ses yeux ne lui apporte que peu d'intérêt. Sora, il en a plus à s'émerveiller sur quelques astres qui brillent, puis à finalement s'dire qu'une étoile visible est une étoile morte. Ce brainstorming, il se l'est déjà inlassablement répété. A vrai dire, l'idée que c'qui a de plus beau peut parfois venir d'un point finale et non d'une majuscule de début d'phrase le terrifiait. C'est peut-être pour ça qu'il s'est lancé dans la chimie: trouver la formule pour chasser la maladie, pour vaincre la mort, la repousser indéfiniment.

Après une légère moue de circonstance d'vant le peu d'agitation devant son banc, Sora s'empare d'son casque audio. Avec son i-phone, il lance la première piste sonore dans le menu défilant et s'permet enfin de s'évader. Du The Police. L'ironie du sort, c'est que c'est Don't Stand So Close To Me. Y'a moyen de tracer une parallèle avec le métier qu'il exerce. Sauf qu'lui, il s'laissera jamais avoir par les beaux yeux d'une élève. Les probabilités de ressortir indemne d'une telle relation sont infimes, trop pour prendre consciemment l'risque. Y'aura toujours des cons pour dire que l'amour ça s'commande pas. Si c'était l'cas, Sora serait déjà casé d'puis une éternité. En s'retournant, il aperçoit une jeune femme s'approcher du banc, alors le rouquin s'redresse directement, ses prunelles brunes dévisageant avec douceur cette blonde. Il sait même pas si elle s'approche d'lui, mais il s'en fout. Avant même qu'elle soit vraiment à sa hauteur, il lance un sujet d'conversation, solennel. - Vous saviez qu'il y a plus de chances qu'un virus vous affecte les poumons quand il fait froid ? Le froid modifie la flore microbienne et favorise les pathogènes comme le coronavirus ou encore les rhinovirus. Lui, il s'en fout complètement. Si il attrape une pneumonie, il l'enverra se faire voir en triomphant vaillamment d'la maladie. Puis c'est même pas une mise en garde pour la blonde qui s'approchait. Rien d'plus qu'un constat, une manière d'engager la conversation... Parce qu'on s'fait chier tout seul sur un banc. - Enfin en gros, j'veux juste dire qu'on se les caille. qu'il résume en soufflant dans ses mains, enlevant son casque audio pour l'ranger dans sa sacoche aux couleurs du club de football américain des Giants de New York.    

Sora se révèle assez surpris de voir la blonde engager la conversation aussi facilement. En général, il s'heurtait à une petite banalité, comme un ''oui c'est vrai'' gêné avant d'tourner les talons, ou alors il s'prend simplement un vent. Il sourit fugacement par politesse lorsqu'elle le rejoint sur le banc. C'est l'effet d'la nuit. Elle a cela de magique qu'elle balaie d'un revers d'main le matin et toutes ses étiquettes. Le cadre, l'employé, l'ouvrier. Y'a pas d'classe quand les étoiles s'pointent, on redevient simplement qui on est. Sora n'relève pas réellement quand son interlocutrice lui concède qu'il ne fait pas très chaud. Il ne s'attend de toute façon pas à échanger des banalités sur l'temps qu'il fait, ce serait une perte de temps et d'énergie. Plutôt que de fournir une réponse à la blonde, il s'tire une taffe de marijuana puis recrache la fumée en levant les yeux au ciel, histoire d'pouvoir voir sa fumée s'évaporer dans les cieux. - Tu consommes ? J'peux t'en rouler un si tu veux. Pourquoi pas ? Sora s'est toujours montré extrêmement pointilleux sur le choix des personnes avec qui il partage sa came. Mais il sait pas, la face de la blonde lui r'vient, alors autant écouteur son cœur plutôt que son cerveau. Après lui avoir proposé un peu de son stock, Sora incline la tête à la deuxième remarque de son accompagnatrice de banc. Presque regretter est un concept plutôt flou pour lui qui vit toujours à 200 à l'heure. Y'a que deux manières de vivre: A fond ou pas du tout. Il hoche néanmoins la tête d'un air entendu et répond cette fois, toujours de ce ton si monocorde. - T'as raison d'laisser ton jugement en suspend. Y'a plein de choses positives qui peut jaillir d'la nuit. Des choses bien plus symboliques et réelles que ce qu'on peut vivre l'jour. C'est ce que pense Sora en tout cas. C'est c'qui rend le chimiste aussi insomniaque: vouloir s'approcher au plus près de la nuit, parfois jusqu'aux aurores, pour en tirer sa véritable essence. Il tourne les yeux vers la belle blonde après sa petite aparté. Le bon sens prend le pas sur sa curiosité de savoir la réelle raison d'une promenade aussi tardive. Au fil de la conversation, il pourrait sûrement aborder ce sujet, à condition que celle-ci ne tourne pas court.

Sora s'remémore toutes ces nuits passées entre l'euphorie à l'immense tristesse. D'abord à croire que le monde est beau, puis simplement dire qu'il est pas si moche pour finir par le détester de tout son cœur. Parfois, il en restait à sa première impression, lui offrant ce fameux tremplin si salvateur, cette énergie d'vivre. Mais ces derniers, ça s'faisait plutôt rare. Sora, il était dans une mauvaise passe.  - Tu t'es jamais demandé ce que ça ferait d'être... autre part que là où tu trouves ? J'veux dire, tu as toujours été dans le même endroit que ta propre personne, parfois t'aimerai juste pas pouvoir quitter ton corps, vous laissez respirer toi et ton toi intérieur ? Lui, il aimerait bien pouvoir aller au cinéma sans devoir s'inviter. Sortir un peu, s'voir autrement que par son enveloppe corporel. Il se saoule lui même, à force de se côtoyer. Il s'dit que ça doit être pareil pour elle. Même si elle demeure très charmante, y'a rien de mal à vouloir être quelqu'un d'autre des fois, voire personne.  

Sora, il s'exécute sans broncher à l'accord d'la blonde. Il prend une bonne p'tite poignée qu'il roule délicatement, la main experte. Il tasse le bédo avant de le tendre à la jeune femme, dans un sourire courtois. - Attends, j'sors le briquet. Le rouquin fouille alors dans sa sacoche beaucoup trop remplie de nombreuses bricoles inutiles. Il finit par tomber sur l'objet convoité et l'allume. Il s'tire ensuite une taffe de son bédo à lui, l'regard à l'horizon. Il hausse les épaules, léger, en entendant l'terme paradoxal. Lui, il trouvait ça plutôt normal. Il reporte son attention sur la jeune femme, les joues rouges faisant encore mieux ressortir ses tâches de rousseur. - Le monde est très porté sur l'apparence, les faux-semblants. Les femmes doivent être belles, les hommes virils. La nuit, c'est le meilleur moyen d'abolir les conventions. Les rues vides, l'calme ambiant, ça permet d'croire que tu peux rédiger tes propres lois, tes propres règles. L'illusion du contrôle, c'est toujours mieux que de savoir qu'il contrôle absolument rien du tout. Il ne cache pas son sourire amusé en apprenant que sa comparse use bien trop de cette émancipation de soi-même. Il la dévisage, envieux en s'humidifiant les lèvres. Qu'elle lui donne la recette pour voler un peu plus haut que le ras des pâquerettes, parce que Sora, il l'a oublié au fil des années. - D'une certaine manière, j'pense en avoir abusé aussi à une certaine époque. Avant le décès de mon père, j'étais plutôt un garçon de la lune, toujours ailleurs. Mais y'a des événements qui te clouent les pieds sur terre, définitivement. Ce genre de blessures qui te laissent un trou béant impossible à refermer. Son besoin d'se sentir invincible, Sora, il le pioche maintenant ailleurs. Dans cet adrénaline permanente que procure un combat face à la mort. Il montre du doigt le pont en hauteur qui se dressait devant l'une des baies. - J'ai déjà marché sur le rebord de ce pont en étant complètement bourré. C'est ma manière à moi d'me sentir imprenable. La preuve en est, j'suis toujours là pour te parler. En tant que scientifique, il le sait que tout a une fin. Mais il peut pas lutter contre ce sentiment d'être immortel. Il est tellement salvateur, même trop.

L'esprit et le corps de Sora se détendent en même temps. Cela faisait une éternité qu'il n'avait plus partagé de son stock sous un ciel étoilé à philosopher sur la merde qui entoure nos vies, les façons de s'en évader ne serait-ce qu'un petit peu. Il s'met à rire tout seul, comme un idiot, en s'rendant compte de la proximité qu'il ressentait déjà de par leurs points de vue similaires, alors qu'il ne connaissait même pas encore son nom. - Et toi ce que tu veux, c'est quoi ? Trouver un mec zarbi qui t'parle de coronavirus avec de te proposer un bédo ? Fuir le matin en espérant qu'il s'pointe jamais ? Allonger l'temps le plus que tu peux ? Vivre une fois le soleil couché, ça offre d'innombrables possibilités, voire même des opportunités des fois. Sora soupire doucement en entendant la blonde s'excuser pour le père du rouquin. Ce genre de paroles usurpés, c'est toujours difficile de savoir si elles contiennent une once de véracité. - Faut pas. C'est rien de plus qu'une mort banale, une de plus. Personne n'y est pour rien, c'est la vie, elle reprend toujours ses droits à un moment ou un autre. Parler de son père, ça rend Sora un peu bizarre... Ces derniers temps, il a plus eu tendance à tout garder pour lui, c'est plus simple d'oublier que de souvenir. La nostalgie et la mélancolie se confondent si facilement. Le rouquin sent son cœur s'arracher aux mots de sa comparse. Il sait encore faire. C'est ce qu'elle a dit. Y'a aucune phrase qui aurait pu autant le bouleverser que celle là. Il se sent tellement mal dans son corps ces derniers temps, il aimerait pouvoir le quitter, le temps d'souffler, de faire un break. Il lève les yeux au ciel, se contenant pour ne pas s'emballer. - Moi ça fait longtemps que j'recherche plus les étoiles en haut. Les astres ne fournissent plus les réponses aux questions de Sora. Plus jeune, rien que l'immensité de l'espace l'émerveillait, maintenant, il y voit qu'un vide intersidérale. Le scintillement des étoiles, il les trouvent dans les pupilles brillantes d'une personne, dans l'éclat de son sourire, c'est comme ça qu'il s'soigne. Par l'amour. Le visage tourné vers la blonde, il sourit vaguement avant de s'reprendre et répondre à la question, léger comme une plume. - Ce que je ferai ? Baiser, sans hésitation. Il tire une taffe de son bédo, le rire gêné. Il en reste que c'est vrai. Y'a rien de mieux que le coït pour ressentir un tas de sensations, le chaud, le froid, l'ivresse, le désir, la frustration. Ce mélange d'sentiment qui te rappelle que tu vis, vraiment. - Ou alors juste me jeter dans l'eau froide de la baie, éclairée par le clair de lune.   qu'il ajoute néanmoins, par peur que sa première réponse passe pour une proposition peu alléchante et plutôt mal placée. Il lance son bédo au loin, le sourire malicieux jusqu'aux commissures. - Cap de le faire ?  Sora, il a jamais vraiment été du style à réprimer ses envies. C'est pas aujourd'hui que ça allait commencer.

Sora n'détourne pas les yeux à l'explication de cette promenade si tardive, au contraire. Sa fossette à la joue apparaît presque malgré lui. Le chimiste voyait ça comme un défi à relever. Apprendre son interlocutrice à vivre autrement, à 100 à l'heure sur une grande autoroute avec plein d'virages et les yeux fermés, quitte à s'casser les dents, quitte à risquer de tout perdre. - Tu es au bon endroit. qu'il ajoute tout simplement, léger, se mordillant les lèvres d'amusement, les yeux rivés dans les prunelles océans de la blonde. Au fond, ils veulent tous les deux la même chose: sortir de la morosité de leur vie en trouvant cette étincelle capable d'allumer un feu de forêt. Il donne son avis sur les étoiles dont il n'a plus jamais pu apprécier le spectacle depuis un long moment. Leur aspect mortuaire lui stoppait l'envie de s'émerveiller devant un spectacle aussi lugubre. Mais il s'prive pas pour dévorer son interlocutrice des yeux. Chercher les étoiles ailleurs. C'était ce qu'il faisait déjà de tout son cœur à chaque jour qui passe. Malheureusement, il remarquait souvent que ses étoiles rayonnaient pas très longtemps. Il ne répond pas, son visage le faisant assez bien lui pour lui. Depuis l'début de cette conversation, Sora, il avait quitté l'Erlenmeyer du parfait petit chimiste pour le casque d'astronaute. Le rouquin n'cache pas son étonnement devant l'aplomb de son accompagnatrice. Dire qu'elle n'avait pas froid aux yeux était encore très loin de la vérité. - J'aurais bien le loisir de connaître la réponse à l'autre proposition au fil de la soirée. Sora, il s'laisse porter par la vent. Si il l'porte jusqu'à succomber à cette délicieuse tentation que représentait la blonde, il s'y laisserait tomber sans opposer de résistance. Il hoche la tête, l'air entendu, quand son interlocutrice impose sa condition. Pour lui, cela coulait de source. Il enlève ses vêtements à toute vitesse, galvanisé par ce défi lancé sur un coup de tête. Le très récent astronaute prend bien l'temps de jeter un coup d’œil à sa charmante partenaire de crime qu'il ne tarde pas à dépasser pour se jeter à l'eau. Il est saisi, immédiatement. Le froid lui glace l'sang, lui gèle momentanément son cerveau, avant de lui provoquer une vive douleur. Une douleur dont Sora s’accommode avec une facilité déconcertante. Dans cette eau gelé, il s'sent enfin pleinement vivant, pour la première fois de la journée. Grelottant de froid, il lance un regard à la blonde qui ne tarde pas à sauter à son tour, c'qui provoque un rire franc à Sora. Il ne pouvait s'empêcher de la trouver merveilleuse. Sa soif de vivre n'avait d'égal que sa beauté manifeste. Le jeune homme ne s'en cache pas, elle lui plaisait beaucoup. - Je m'appelle Sora. qu'il dit finalement, comme si son prénom était une récompense que la jeune femme avec dûment gagné.