1877.
Le Jardin à Pontoise.
Camille Pissarro.
Il pointe du doigt le tableau trônant fièrement sur un mur vierge de l'appartement.
-Nouvelle acquisition ? Le fusain s'arrête de glisser sur la toile. Elle fronce les sourcils et se passe le dos de la main sur le front pour dégager une mèche de cheveux de son visage, le tout avant de saisir sa gomme et d'estomper son esquisse.
-T'as bougé.-De toute façon, je te vois saisir ta gomme, t'avais quasi fini. Depuis un bout de temps en plus je suis sûr.Elle sourit derrière son chevalet, ne dit rien.
Totalement vrai.
Elle voulait juste lui faire tenir la pose le plus longtemps possible.
Sans qu'elle n'ait à lui indiquer quoi que ce soit, il se dirige vers le fauteuil sur lequel est déposé un peignoir noir qu'il enfile après avoir passé une trentaine de minutes immobile et nu. Routine pour les deux personnages. Robyn a l'habitude de lui demander de poser pour elle.
Après avoir mis le peignoir, il se dirige vers la table basse, où se trouve une carafe d'eau et deux verres. Il se sert à boire tout en réitérant sa question.
Robyn jette un coup d'oeil en direction du tableau.
Elle ne peut s'empêcher de déposer un regard fier sur lui. Il lui en aura fallu de la hargne pour l'obtenir. Les ventes aux enchères sont fatigantes, mais elle a eu raison de tous les autres enchérisseurs, y compris d'un qu'elle connaît plus ou moins bien, Harald Phillips, qu'elle sait assez tenace d'ailleurs. Malheureusement pour lui, pas assez, et preuve en est, le tableau est chez elle désormais.
Elle répond à la question qu'on lui a posée tout en finissant d'estomper ses traits de fusain.
-Obtenue il y a quelques jours. Magnifique hein ?Il hausse les épaules ; de la peinture, il n'y connait miettes, elle le sait bien. Poser en tant que modèle vivant pour les particuliers ou les cours de dessins, voilà toute l'étendue de son rapport avec l'art.
Robyn re-serre le chignon brouillon qu'elle a sur la tête depuis le début. Nouvelle session.
Elle se remet derrière son chevalet, change de toile et demande à son modèle s'il est prêt à passer à la pose suivante.
Et il l'est.
Le peignoir tombe, et il se replace, adoptant la pose qui a été choisie au préalable.
Robyn saisit ses fusains, motivée, le regard transcrivant un sérieux et une concentration à toute épreuve. Tellement qu'elle n'entend pas la sonnerie de son appartement qui retentit. Ce n'est qu'après plusieurs appels de la part de son modèle qu'elle réalise que quelqu'un est à sa porte. Elle soupire et se dirige vers la porte, laissant son modèle relâcher la pause.
Qui peut bien sonner ? Elle n'attend personne, et difficile de se tromper de porte : son appartement occupe tout le 4e étage.
La personne s'est peut-être trompée d'étage ?
Ce serait malin ça.
Elle ouvre la porte, le visage empreint d'un certain agacement. Elle n'aime pas qu'on la gêne alors qu'elle laisse parler son talent artistique.
Le bois soigneusement vernis de la porte s'ouvrant, il laisse voir un visage familier.
Étonnement.
-...Harald ? C'est sûrement la dernière personne qu'elle s'attendait à voir et s'il est là, ce n'est sûrement pas pour une visite de courtoisie. Ce n'est pas le genre du personnage.
-Il y a un problème ? Pas qu'elle ne l'aime pas, mais elle espère que ce n'est pas pour lui annoncer qu'il est son nouveau voisin du dessous.
@Harald Phillips