please don't scar my young heart, just take my hand (katalina)

01/ monde des jeux, monde de l'argent, t'as grandi dedans, t'as baigné dedans pendant tes premières années de ta vie. tu t'en souviens pas mais t'étais cette p'tite fille sur les genoux de son père lorsqu'il grattait ses tickets à gratter. il prenait tes petites mains, te faisait tenir cette pièce dégueulasse qui a trop traîné dans tes portes-monnaies crades puis prenait ta p'tite menotte pour craquer le cache gris. il soufflait ou sautait de joie et toi tu riais, de ton rire enfantin, à chaque fois que tu voyais papa exalter. tes yeux se posaient sur ta mère, appuyait sur le pourtour de la pièce. tu voyais pas son inquiétude, tu voyais pas ses cernes sous les yeux, parce que t'étais qu'une gamine, parce qu'elle te souriait. elle se forçait. pas parce que tu étais irrésistible mais parce que c'était ce qu'il se passait chez vous, le mensonge et les faux-semblants. quand t'étais endormie, telle le beau bébé que tu étais, t'entendais pas les cris de tes parents en bas, au rez-de-chaussée. ces engueulades concernant l'addiction de ton père. les problèmes qu'il causait à cette famille, parfois dangereux. ou peut-être que t'avais déjà assisté, t'avais déjà entendu ces cris mais t'étais trop jeune, trop petite pour réellement t'en rappeler, pour réellement comprendre. 02/ menaces de mort, trop d'argent emprunté et dû, ton père s'est envolé pour les Etats-Unis. Ton père s'est fait passer pour mort. Mort foudroyante, cancer indétectable qu'au dernier moment, c'est ce que t'as lu sur ce papier que ton père t'a donné alors que tu posais trop de question, dans votre appartement de la côte ouest. Parce que ouais, il t'a emmené avec lui. T'es devenu quoi ? Toi, aux yeux des autres ? Qu'une gamine qui a fini chez ses grands-parents à l'autre bout du pays. C'est ce que ta mère a raconté, paraît-il. C'est d'après ton père. D'après les quelques contacts que tu as eu avec ta mère depuis ce jour du départ. T'as été malheureuse d'apprendre cette histoire. D'apprendre que ta mère avait accepté d'être séparée de toi. Pour ton bien, ils te diraient. Mais tu l'as été. Encore plus quand t'as su qu'au final, t'étais pas qu'une fille unique vivant avec son père. T'avais un frère. Ta mère s'était même remariée avec un autre. T'avais une demi-soeur, que t'avais juste vu en photo. Que tu stalkais de temps à autre quand t'avais des moments de faiblesses. Quand tu te demandais ce qu'aurait pu être ta vie si ton père avait pas merdé avec l'argent et les jeux, si tes parents ne s'étaient pas séparés. T'en as voulu à ton père mais tu l'aimes. T'es trop gentille. Et puis, il a tout fait pour toi. Pour toi, sa fille chérie. T'as réclamé ta mère dans les premiers mois, les premières années. Puis, ça c'est passé. Ca a coulé comme l'eau coule sous les ponts. T'en a voulu à ton père et à ta mère quand t'as appris la vérité. Tu voulais connaître ton frère, tu n'avais même pas de souvenirs de lui. T'avais trois ans quand t'es montée dans l'avion. Puis ça c'est passé. T'as accepté. T'as soutenu ton père parce qu t'es comme ça, trop gentille, trop protectrice. T'as gardé le secret et vécu une autre vie. 03/ Les Etats-Unis, c'était le bon plan. Un pays bien trop vaste pour être retrouvé. C'était un pays bien trop tentant pour deux personnes que vous. C'était un pays offrant bien trop d'opportunité pour vous deux. Le patinage, c'est de là que tout est parti. De cette petite ville de l'Etat de Washington que tout a début. Proche de la frontière canadienne, dans un climat moyen et pluvieux, que tout à débuter, lors de tes premiers hivers. Y avait cette patinoire, celle qui était installée sur la place du village. Dès les premiers coups de patins, t'as adoré ça. T'avais cette impression d'avoir un pouvoir formidable, celui de marcher sur la glace sans crainte comme Jésus marchant sur l'eau, celui de voler dans les airs après une impulsion comme un oiseau prenant son envol. De la petite patinoire, t'es passée à la plus grande de la ville d'à côté. Puis t'as gravi les échelons. T'as fait du patinage ton métier. Ton père voyait grand pour toi mais toi, c'était encore plus. T'es championne, t'es titrée, t'en veux encore, toujours plus mais t'es là, à l'arrêt. 04/ T'as pas eu le choix, c'est une fatalité. T'as accueilli cette nouvelle avec tant de détresse. Ca devait pas se passer comme cela. Ta vie presque si parfaite commençait à s'effondrer. Elle s'effritait sous le vol de la vie. T'as souffert, constaté ta déchéance jusqu'à la nouvelle. T'as que vingt-trois ans, t'as toute la vie devant toi et on te diagnostique ce cancer. Celui qui commençait à te détruire à petit feu dans son premier stade. La leucémie myéloïde chronique, quelle putain de maladie. T'es pas de ceux qui se disent que ça n'arrive qu'aux autres. Tout peut arriver mais dans ce genre là, t'étais peut-être plus égoïste, plus naïve. Ca n'arrive pas qu'aux autres, t'es dans ce putain de lot aussi. 05/ Pause dans ta carrière, t'as foulé plus de fois le sol des hôpitaux cette année plutôt que le sol de ton havre de paix, ta glace. C'est pas un secret, tout le monde est au courant de tes complications, sans grandes précisions mais t'aurais préféré que rien ne se sache. Tu reçois autant de gentils messages que d'horribles, on te souhaite de te rétablir, on se satisfait de te voir absente pour tes concurrentes. T'as mal mais tu souris. Tu souffres mais tu gardes la tête haute. Sourire et tête haute lorsque tu marches dans les couloirs malgré la fatigue accumulée et liée à ton traitement. Puis on t'annonce que tu pourrais recevoir une greffe de la moelle, qu'ayant été prise en charge assez tôt, ce serait plus facile de t'en débarrasser. Mais dans ta famille, t'as personne de compatible. Enfin, ta famille, ton père. Il ne l'est pas, il s'en veut. Et alors, il ne te reste plus qu'à aller chercher ailleurs, de cet autre côté de la famille, ce côté secret qui t'ignore. Ton frère, celui qui ignore ton existence.