GUNSHOT ; brynn.

Le temps de quelques secondes, tu prends la peine d'analyser ta frêle silhouette, vaguement distinguable grâce au reflet des immenses baies vitrées de l'hôpital. Les épaules légèrement voûtées comme abattus par le poids du monde, t'as les airs désarmants d'un gosse rongée jusqu'à l'os par la culpabilité. Et peut-être que si t'en avais seulement les airs Brynn, ce serait pas si grave. Mais la culpabilité, elle est là, omniprésente au fond de toi comme une angoisse enfantine, et t'es bien incapable de l'ignorer. Parce qu'elle n'a rien à voir avec ce sentiment - somme toute anodin - que tu peux ressentir quand tu promets à une amie d'arriver à l'heure mais qu'une fois encore, tu la fais attendre sous la pluie quelques minutes de trop. Ni même quand tu manges le dernier biscuit du paquet alors que tu sais qu'elle avait faim, et que toi, t'a juste cédé à la gourmandise. Cette culpabilité là Brynn, elle ne puise pas dans les petites fautes futiles qui habillent ton quotidien. T'as laissé un homme se vider de son sang pour sauver ta peau. Comme si ta vie valait mieux que la sienne, gamine. Alors qu'il l'avait risqué pour toi. C'est quand tu penses à ça que tu prends conscience que t'as mal agi. C'est quand tu penses à ça que t'enfournes ton vélo sans préavis, et qu'tu fonces lui rendre visite à l'hôpital. Tu l'aurais fais mille fois au cours des dernières quarante-huit heures si t'en avais eu l'occasion. D'ailleurs, c'est peut-être un peu le cas. T'y est retourné plusieurs fois par jour, parfois-même en dehors des heures de visites, jusqu'à rendre chèvre les secrétaires. Mais t'as pas toujours eu le cran d'aller jusqu'à sa chambre. T'as souvent regardé de loin, dans l'axe de la porte entrebâillée, simplement pour t'assurer qu'il allait bien. T'as pas à t'en vouloir gamine, il est sain et sauf, que tu te répétais sans cesse sans jamais être capable de te défaire vraiment de cette culpabilité qui enserrerait chaque bribe de ton âme. Ça n'a jamais suffi. Alors, aujourd'hui encore, tu franchis cette porte, oublies de saluer les quelques personnes chargées de l'accueil, et t'élances dans les couloirs. T'hésites pas une seule fois Brynn, tu connais le chemin par coeur. Le mieux, ce serait que ça ne t'empêche pas de regarder devant toi. (boum. collision). « Merde, pardon. » Tu relèves les yeux trop vite. Ça t'donne presque le vertige. « Ça va ? Rien d’cassé ? » Tu bats frénétiquement des cils, comme si tu souhaitais effacer le visage qui se trouve devant toi à cet instant. Et ce regard que t'as tellement cherché à éviter. Mais il reste là. Intact - du moins, autant qu'il pouvait l'être dans l'état où tu l'avais lâchement laissé. Et t'oses rien dire, gamine. Tu préfères l'observer jusqu'à ce que tu sois plus ou moins capable de déterminer si oui ou non, tes traits lui reviennent. « On s’connait, non ? » Les pulpeuses se pincent alors que tu tentes maladroitement de rester neutre. « Non », tu siffles tout bas. T'es même pas certaine qu'il t'ait entendue. Peut-être même que t'as rien dit. T'en sais rien. Prise d'un embarras certain, tu laisses les opales azurées s'échapper ailleurs, et c'est à ce moment précis que tu tentes l'esquive Brynn, grande habituée de la fuite. La petite brise qui devient ouragan toujours trop vite. Mais ses mots font obstacle à cet énième envol, plus encore que si tu t'étais soudain trouvée au pied d'un mur de dix mètres de haut. Et bordel, t'es incapable d'escalader. « C’tait toi ! » Le temps se suspend. Tu retiens ton souffle un instant tandis que tes joues s'empourprent. « Qui ça ? Moi ? Non... c'est pas... j'veux dire, tu fais erreur. Mais c'est pas grave, bonne journée ! » tu clames, comme si tu lui accordais gracieusement ton pardon. Le comble de l'audace. T'entreprends même une nouvelle fois de t'en aller. Mais Brynn, tu comprendras un jour que ça ne fonctionne pas à tous les coups. « T’as failli m’tuer ! » Le sourire évaporé, tu défaillis. « Ok, pas de panique, c'est les médocs qui te font délirer », t'accuses faussement avant de reculer instinctivement d'un pas. « Tu veux que j'appelle quelqu'un ? Une infirmière ? » T'y vas au culot gamine, parce que dans la panique, c'est tout ce qu'il te reste. « Si je comprends bien, t'as failli mourir, je comprends que tu sois en colère, mais écoute... tu m'as l'air plutôt en forme, non ? », que tu fanfaronnes avant de faire l'erreur de trop. La petite tape amicale sur l'épaule. La mauvaise. Et c'est bien à tes dépends, gamine, que ton geste n'éveille alors aucune once de sympathie. C'est con, toi qui avais pourtant mis tout ton coeur à jouer la comédie, toutes tes tripes à habilement tricher, dans l'espoir de ne pas marquer sa mémoire une nouvelle fois. Mais passer inaperçu, Brynn, c'est pas pour toi.