Ta journée de travail qui se termine. Pourtant, tu décides de ne pas tout de suite rentrer chez toi. Parce que clairement, la nuit est encore jeune, et comme tu ne travailles pas avant le lendemain, c’est clairement une folie que tu peux te permettre. La direction d’un bar que tu prends donc, pas très loin de chez toi. Seulement pour te permettre de décompresser. Match de football américain en cours, qui sera d’ailleurs diffusé dans tout le bar. Pas que tu sois nécessairement fan. Mais c’est peut-être bien parce que tu es un bon petit américain que tu tends à apprécier ce genre de soirée. Le bar est déjà plein, quand tu y fais ton entrée. Sourire qui se greffe déjà sur tes lèvres, alors que la soirée n’est même pas encore commencée. Tu ne tardes pas trop à prendre la direction du bar. Mince signe que tu adresses au serveur, pour qu’il vienne prendre ta commande, avant que tu lui demandes une bière locale. Ton attention qui se porte ensuite sur tout ce qui se passe autour. Et clairement, il ne t’en faut pas plus pour que cette ambiance te décroche un petit rire. Parce que tu vois bien, toi, que tu n’es qu’entouré de fans des Giants. Et oui, ça, ça t’amuse. La bière, qu’on finit par venir te porter. Petite gorgée que tu prends. Avant de poser ton regard de nouveau sur les différents visages qui t’entourent. Seulement cette fois, ce que tu remarques, c’est un autre type. Qui semble d’ailleurs, bien moins emballé par le match que les autres. Et ça, bien sûr, ça t’intrigue. Ta bière que tu agrippes, avant de prendre de prendre la direction de sa table, dans un coin assez reclus du bar. Ta bière que tu déposes sur la table. Un sourire sur les lèvres. « T’es pas un fan des Giants ? » Que tu lui demandes. Avant de finalement un peu mieux apercevoir son visage. Visage qui te dit étrangement quelque chose. Toi qui a d’habitude une très bonne mémoire des visages. Seulement voilà, cette fois ça ne te revient pas. Alors tu te dis que tu l’as probablement juste déjà croisé dans la rue. Que ce n’est pas plus compliqué que ça.
We have no Great War. No Great Depression. Our Great War's a spiritual war... our Great Depression is our lives. We've all been raised on television to believe that one day we'd all be millionaires, and movie gods, and rock stars. But we won't. And we're slowly learning that fact. And we're very, very pissed off.
Perdu dans les méandres de la détresse humaine, je ne savais même pas comment j’avais atterri dans ce bar. L’alcool pas cher, les bières offertes. Une bière ne pouvait pas me tuer, c’était pas de la cocaine, c’était de la fausse adrénaline, c’était ce qu’il me fallait. Je devais me leurrer, me leurrer au bonheur éternel, me leurrer au milieu de cette espère qu’on osait appeler « humaine » mais la définition de ce mot même m’était inconnue ou bien alors juste incompréhensive.
Au fond de la pièce, je regardais ce match. A vrai dire, je regardais juste les joueurs courir d’un point A à un point B tandis que je déglutissais cette bière bon marché qui me brûlait la gorge. Je ne hurlais pas de joie, je ne tapais pas dans les murs de haine face à une quelconque défaite, je n’insultais aucun joueur, je ne participais à aucune danse de la joie. J’étais vide, vide comme ce monde se présentait à moi. Mes yeux livides et rougis de fatigue devaient me trahir sur mon réel état de santé mais je m’en fichais.
J’en étais à ma quatrième bière, le mur me tenait en équilibre. Les gens hurlaient à coeur joie. « Qu’ils se la ferment » me disais-je. Des femmes venaient m’aborder mais je les calculais à peine ce qui m’avait honoré de ce charmant petit nom « connard ». Je n’étais pas là pour abuser de la faiblesse des uns ou de la joie trop euphorique des autres. Je voulais juste boire et ne pas rentrer de suite dans mon appartement mais une voix provenant de ma gauche m’interrompit dans mes pensées funestes. Je tournais ma tête vers la dite-voix et à peine ce mouvement de tête de fait mon coeur manqua un battement. Je rêvais ? Il m’avait reconnu ou alors il avait changé de bord et aimait draguer des mecs solitaires ?
- Je suis pas intéressé.
Disais-je simplement, sèchement. Est-ce que le son de ma voix allait lui rappeler bien des choses ? Teddy putain. Le seul gars qui m’avait respecté au lycée, le seul... Avec son meilleur ami de l’époque décédé il y a quelques années seulement... Il n’avait pas été présent à l’enterrement, moi oui... Et j’étais à cette même place : seul, derrière la foule en délire à me cacher du peuple pour éviter un quelconque « mouvement social » à mon égard. Pourtant, dans ses yeux, il ne semblait pas me reconnaître. Il ne m’aurait pas abordé avec une phrase aussi merdique et sans aucun sens. Alors, je préférais boire ma bière, encore et encore jusqu’à en laisser un faible fond. Je transpirais, j’avais chaud. En à peine un regard sa présence m’avait rappelé trop de choses. Ouais... Je l’avais lâché du jour au lendemain à cause des emmerdes du truc qui me servait de frère. Sans un mot, changement de portable, plus de lycée... J’avais disparu comme si je n’avais jamais existé. Mon frère avait encore pris toute la place, même dans son malheur, je ne pouvais m’en réjouir et être « populaire », non, ça avait encore empiré ma situation. Je n’avais pas pu infliger ça à Teddy. Mais putain, il branlait quoi ici ? Il voulait vraiment parler à un pauvre mec dénoué de sens derrière cette foule en délire ?
Tu as toujours été curieux toi. Peut-être même un peu trop d’ailleurs. Et le pire dans tout ça, c’est que tu imposes ta curiosité aux autres. Sans même leur laisser vraiment le choix. Autrement, tu ne serais pas là, assis, à côté de ce mec, qui oui, te dit vaguement quelque chose mais dont tu ne dois rien connaitre au final. Parce que oui, clairement à cet instant, tu lui imposes ta présence. Parce qu’il a su piquer ta curiosité. Pour la simple et bonne raison qu’il est appart de tous les autres que tu avais remarqué dans le bar. Et peut-être bien aussi, parce qu’il a l’air encore plus seul que toi. « Je suis pas intéressé. » Réponse, presque froide. Pourtant ce n’est pas à ça que tu t’intéresse toi. Non, c’est plutôt au timbre de sa voix. Et encore là, tu y perçois un léger ton familier. Comme si ce n’était pas la première fois que tu l’entendais. Pourtant, son prénom ne te revenait toujours pas. Alors, tu avais décidé de ne pas plus investiguer que cela. Parce qu’au final, si tu le connaissais, tu l’aurais très certainement reconnu. « T’es pas intéressé par quoi ? » Que tu lui demandes. Enfin, peut-être que ça devrait te paraitre évident. Pourtant, tu sentais bel et bien qu’il pourrait y avoir un sens caché derrière ses paroles. « L’football ou le fait que j’vienne te parler ? » Parce que bon, clairement, ça pouvait être autant l’un que l’autre. Peut-être même y avait-il un peu des deux. Après tout, toi, tu t’étais imposé, sans même lui demander son avis. Et peut-être bien que lui, il souhaitait simplement passer une petite soirée tranquille dans une bar. Quoi que… « Parce que bon, t’as peut-être pas choisi le bon bar pour boire seul dans ton coin mec. » Non, effectivement, il aurait probablement été bien mieux ailleurs. Ailleurs que dans ce petit bar pourri, où l’attraction de la soirée c’était ce match. Donc oui, au final, s’il n’était pas intéressé, peut-être bien qu’il serait mieux ailleurs. « Mais j’peux partir, y’a pas de problème. » Et d’ailleurs, en temps normal, tu serais déjà parti toi à voir quelqu’un d’aussi peu réceptif. Pourtant, il y avait bel et bien quelque chose d’étrange. À quelque part, le jeune homme t’intriguait peut-être un peu plus que ce que tu croyais au départ. Ou peut-être était-ce simplement parce que tu ne t’étais toujours pas sorti de la tête qu’il te disait vraiment quelque chose.