(ewen) born a sinner.

01. tes doigts agiles font mouvoir les quelques cartes de ton jeu. Une paire de roi s'y cache, bien insuffisante pour remporter la partie. Tu as les yeux qui jaugent ton unique adversaire, ces pupilles d'aigle qui se fichent dans les siennes, broient son âme, le déchiffrent et le devinent. Il est difficile de croire en ton incapacité morbide à connecter avec tes propres émotions - alors que tu perces si aisément celles des autres. Il n'a rien. Un frémissement de sourcil, un rictus éphémère, une fossette à peine creusée - tu as toujours été doté de ce sens observateur qui te fait exceller. Le poker est bien le seul domaine dans lequel tu te sens maître, dans lequel tu prends possession des tourments qui agitent ta vie. L'espace d'un instant, tu oublies le néant effrayant qui bouleverse tes nuits. L'espace d'un moment, tu as les pupilles qui s'illuminent, cette étincelle de vie dont tu es toujours démuni. 02. Les lumières doucereuses de ton appartement t'apportent la seule chaleur qui, ce soir encore, t'extrairont de ton désespoir. Cigarette au bord des lèvres, tu lèves les yeux vers la lune, qui te reflète le néant de ton in-humanité. Tu songes aux années passées disparues dans des volutes de fumée, aspires un peu de cette drogue qui broie tes veines, la seule capable encore de t'éviter le pire, revois ta jeunesse prometteuse - contraste démoniaque avec le présent qui s'est dessiné de lui-même, sans que t'apportes ton encre à l'avenir. T'as toujours regardé en arrière, jamais au devant. La mélancolie et les regrets te bouffent aussi sûrement que les ans, et il y a l'insidieuse évidence qui se faufile au fond de ton âme comme un serpent entre les branches - ce rien que tu laisses derrière toi, ce vide qui compose ta vie, ce silence et ces blancs. La solitude qui t'assaille aussi sûrement que la détresse, quand la terrible conscience afflue en toi. Alors, tu essaies de noyer cette souffrance dans la petite poudre blanche que tu fais disparaître d'un leste tour de magie comme les cartes évanouies quelques heures auparavant. 03. Des afflux d'émotions permanents qui te laissent las, de ceux que tu ne sais décrire, que tu ne peux déchiffrer, ces vagues bouleversantes qui s'octroient toute la place dans ton âme abimée. Tu as toujours été hyper-sensible, cachant cette intériorité broyée derrière un masque d'arrogance, et ce regard insolent que tu adresses au monde tout entier. 04. La quête éternelle du frisson démentiel, celui qui te donnera l'impression de vivre - encore, toujours, et non de te mouvoir comme ce pantin désarticulé - pauvre hère soumise aux vents et marées. Le Sinner's te donne ce frisson recherché, cette impression de servir, d'être l'utile œil d'aigle de la terrible magicienne aux multiples poisons. Il donne un sens à ton existence ballotée aux milles brises d'antan. 05. Papa. Tu ouvres les yeux, te redresses d'un bond sur ton lit bien trop grand pour toi, qui ne fait que mettre en exergue ton indéfectible solitude. La nuque en sueur, tu poses douloureusement les pieds sur le sol dont le carrelage frais te ramène à la réalité. Un cauchemar de plus à ajouter au compteur des déchéances et des effrois, un autre encore sur ta paternité ratée. Seul l'acre de la nicotine parvient à calmer ton palpitant en émoi - peu à peu, ton âme se reconnecte au réel, et quelle terrible chute que de voir s'évanouir le doux visage de l'enfant - ta destinée. Nouvelle obsession qui te broie le ventre, nouveau regret au fil de l'eau. 06. tu aspires l'âme des jeunes femmes, sans doute, comme espérant revivre à travers elles les frêles années gaspillées de ta jeunesse. La sueur se mêle aux affres passionnelles, tu brûles de ce désir qui - lui aussi - est enfin à même de te rendre maître de ton destin - capitaine de ton âme. Cela n'est qu'éphémère, l'étreinte, passagère. Aussitôt rhabillé de tes craintes, tu redeviens le pantin qui survoles la vie sans réussir à s'y ancrer. L'engagement te paraît être la mort de ta précieuse liberté, celle-là même que tu prends un malin plaisir à broyer. Tu n'as finalement ni l'un ni l'autre, et ton spectre continue à hanter le monde avec cette insolence crasse au fond des pupilles.  --- l'amertume au fond de la bouche.