where the heart is.

@ava caruso  

La poussière des années avait gentiment recouvert les secrets, ce déchirement traumatique entre une ainée et son cadet apparu au début de l’enfance, à celui de la vie pour les poupons qu’ils étaient. Mais les secrets vivent, ils subsistent entre les murs organiques de l’inconscient qui dans un rêve souffle le manque de ce qui n’a jamais été possédé, faisant vivoter l’incertitude et la méfiance à l’égard de cette soeur de sang qui remonte les allées du Queens. Sur les lieux de la rupture, il a retrouvé son nom et la mémoire d’un enfant amputé, les registres de l’orphelinat se sont accaparés les souvenirs et les larmes d’un homme rompu d’avoir tant cherché cette part de soi.

Dans le bus qu’il a pris pour rejoindre le centre du Queens, confiné entre l’étroitesse de quidams, Lù s’est atermoyé sur le portrait de leur fratrie, récompense de ses années de recherche, froide consolation à celles perdues. Et cette charmante tristesse qui radiait dans l’être se taisait enfin, mais métamorphosait le doute en peur au moment où il s’apprêtait à retrouver le double enfoui. Entre deux arrêts où les portes de l’autocar geignent dans un soupir plaintif, le garçon marque le dos de la photo de quelques coups de crayon, des prémisses d’un pardon.

Derrière le battant d’acier, la sonnette qu’il presse grince, parcourt l’architecture rutilante et décapée de l’appartement, l’ombre sur le pallier est accueillie par le vide. Les pieds raflant le paillasson, l’acrobate titube au vertige d’un grand monde à jamais cloisonné derrière ces murs. Il attend là que les vies se joignent, se rejoignent pour s’être un jour rencontrées, que la témérité l’emporte sur l’angoisse afin qu’il pousse encore contre le bouton de la sonnette. Mais aucun bruit ne parvient outre-porte, ne fait résonner les notes du pardon qu’il est venu chercher. Dans la rainure, il glisse alors la photo d’un ensemble déchiré et se retourne vers les consolations de l’abandon traînant une patte abattue vers les escaliers. Au dos du papier glacé, un enfant a écrit: « pardon d’avoir un jour oublié que je t’avais toi et d’avoir laissé s'échapper ton souvenir - ton frère, Lù »

@Lù Paxton  

Ca tambourine dans son crâne aussi fort que le vacarme de la sonnette à l'entrée. L'corps lourd, les yeux à moitié clos Ava jette un oreiller dans le vide de sa chambre, avec pour seul espoir faire fuir l'invité surprise. Le visage enfoncé dans les draps de satin elle gémit comme un animal blessé, ne se rappelant plus très bien des événements de la veille au soir. Sans doute les mêmes qu'habituellement, trop d'excès pour terminer titubante sur les trottoirs new-yorkais. Mais le bruit ne cesse pas, on sonne encore et elle ne trouve pas la force de pousser un hurlement strident. Une main contre son visage elle se redresse avec peine, cherche à tâtons un sweat trop large dans la pénombre, ne voulant pas se faire aveugler par la clarté du soleil. Ava chancelle encore jusqu'à l'entrée, ne comprend pas très bien ce qui se faufile sous la porte avant de s'en saisir.

Une photo.

Son corps se crispe et les souvenirs s'entortillent pour ne former que des nœuds douloureux dans son organisme. Elle reste interdite de longue seconde en observant son propre visage de bambin lui sourire. Elle se reconnait et dans la main de la gamine y'a celle d'un petit être dont le visage s'est effacé de son esprit, au fil des années. La brune retourne le papier, plisse les yeux pour déchiffrer l'écriture, son coeur s'emballe et elle ouvre la porte à la volée avant de se mettre à crier. hé ! le corps s'élance sur le palier, le regard cherche d'un côté puis de l'autre avant de tomber sur la silhouette longiligne, elle gueule encore, tu l'as eu où cette photo ?! elle préférerai que ce ne soit pas lui, parce qu'il était plus facile de se penser fille unique, de l'imaginer mort depuis des décennies, c'était la meilleure excuse à son cheminement vers les abysses. Ava elle se sent pas avancer pieds nus dans le couloir, presque en trottinant pour rattraper l'inconnu. Son visage ne trahit que la fatigue accumulée, mais son regard lui semble plein d'un espoir qu'elle ne pensait pas détenir. pourquoi tu m'as laissé ça ? elle le dévisage, cherche à retrouver la mémoire dans les traits qu'elle redessine avec anxiété. Il est trop tôt, il est trop tard pour ça, des retrouvailles qu'elle n'avait pas planifié. c'toi Lù ? évidemment, évidemment. Même entre mille elle l'aurait reconnu si elle s'en était donné la peine. Elle se penche de nouveau sur la photo qu'elle froisse légèrement entre ses doigts fébriles, on devait pas avoir le même père, t'as de plus beaux yeux que moi. qu'elle lâche avec plus de légèreté retenant son envie de pleurer.

@ava caruso  

À l’abandon sur le perron, Lù honnit tout ce temps qui s’est abattu entre lui et sa soeur. Ses serres s’accrochaient jusqu’à blanchir à la hanse de son sac à dos, les cérulées s’éborgnaient contre une silhouette qu’il ne vit jamais lui revenir. Môme qu’on avait confortablement attifé d’un habit abandonnique, sur sa peau s’entrechoquaient les oeillades écoeurées de cette solitude.

Le cri. Une apostrophe jetée dans l’atmosphère d’un jour éclatant, qui venait entrouvrir les paupières curieuses et surprises d’un funambule à la corde subitement coupée, propulsé vers la vacuité du désespoir. Les tergiversations se turent au croisement de pupilles, le silence dictait la rencontre, palpait avec méfiance l’existence de la génétique qui ne se présumait guère à les voir. Les bêtes se jaugeaient mutuellement, l’une acculait d’audacieuses questions qu’il n’osait démêler devant elle, effrayé de voir fuir le modique espoir débraillé devant lui. « C’toi Lù? », la caboche obliquait timidement, ses yeux dans les onyx d’Ava qui s’annonçait  finalement par quelques sarcasmes fragilisés par l’émotion. Un rictus pusillanime s’écoulait sur son visage, l’humour décongestionnant ses muscles de la paralysie qui les affectait jusque-là.


C’étaient ses mains à elle, les doigts tâchant la vieille photo, le poignée qui tremblotait ; c’étaient ses mains à elle, toutes ébranlées par ce marmot qui n’avait rien d’elle, qui ravivaient en cet instant la paix et la sérénité d’un foyer rêvé chaque nuit, d’un équilibre certain, d’un quelqu’un que l’on dénommerait chez soi. Chaque secousse servait à pousser le mobilier insignifiant ou la poussière qui occupait le battant de l’Ava. « Est-ce que tu serais ok si… », chute retenue par les fils de l’hésitation, requête craintive qui s’écharperait contre l’aridité d’un refus « … si j’te prenais dans mes bras? ».