living your life cutthroat / rasmus

01. Rasmus, il paraît froid et distant au premier abord, peut-être parce que les rictus naissent davantage que les sourires à la commissure de ses lèvres. Et il ne fait jamais de câlin. À personne. Sauf, parfois, à Alizée et Phil. Il est détaché émotionnellement, en fait. Il ne pleure pas devant les films tristes, il ne s’emporte pas facilement. Non, lui, il est capable de garder son sang-froid en toutes circonstances. Chacun de ses mots est calculé dans une intention bien précise. Il préfère parler avec les yeux qu’avec la bouche, ce gamin. 02. Il a toujours vécu à New York, bien qu’il ait des origines étrangères. Il connaît sa ville natale par cœur et ne connaît d’ailleurs qu’elle, n’ayant encore jamais vraiment voyagé. La preuve, il n’a jamais mis le pied sur la côte ouest de son propre pays. 03. On ne peut pas dire qu’il soit en bons termes avec ses parents, voire avec sa famille en général. On pourrait penser que c’est parce qu’ils lui ont collé la judaïcité sur sa peau douce de bébé, mais c’est hélas plus compliqué que ça. 04. Depuis sa naissance, il a l’impression que tout tourne autour de l’oncle de son père, qui a une déficience intellectuelle à cause de laquelle on a dû le placer dans un établissement spécialisé. Le souci, c’est que bien que ses parents ne vivent pas dans l’opulence, toutes leurs économies passent dans les frais de la résidence, certes excellente mais très coûteuse, étant au privé. Résultat, la famille Goldberg s’est toujours contentée du strict minimum afin de pourvoir au bien-être de cet oncle dont, au final, Rasmus n’a jamais été proche. Et ça, ça l’a rendu plein d’amertume envers ses géniteurs. 05. Ambitieux comme il est, il rêve de s’élever socialement, de quitter une bonne fois pour toutes la boutique de souvenirs minables de ses parents. Très jeune, il a tout fait pour avoir les meilleures notes possibles pour ne pas se retrouver comme ses parents sur le seuil de la pauvreté. À sa plus grande joie, ses efforts ont payé : à la fin du lycée, on lui a offert une bourse pour entrer dans une petite université. Ce n’est pas Harvard ou Yale, à son plus grand dam, mais bon, c’est déjà mieux que rien. Comme sa bourse ne suffira pas à payer l’entièreté de ses études, et puisqu’il faut aussi payer le loyer, il continue de bosser dans la boutique de ses parents, car vu son âge, il est conscient qu’aucun job à sa portée ne vend du rêve, alors autant rester là où il est. 06. Très jeune, il a compris qu’il était attiré par les garçons et les filles et même s’il ne s’en cache pas, il ne s’en vante pas non plus; il n’est pas du genre à parader à la pride ou à se vêtir d’un drapeau arc-en-ciel sans rien en-dessous, il est trop pudique pour ça. Par contre, il aurait envie de le faire un de ces jours et d’aller sonner chez ses parents pour les choquer un peu, car s’ils ne l’ont pas renié pour ce qu’il est, ils se sont enfoncé la tête quand le sable quand il a fait son coming-out à dix-sept ans, refusant implicitement que leur unique garçon soit comme ça. 07. Du coup, Rasmus ne leur a jamais annoncé qu’il fréquentait deux personnes à la fois. La douce et candide Alyzée. L’impétueux et véhément Phil. Ses essentiels. Il les a connus au lycée et tout de suite, il a ressenti quelque chose pour eux. De l’amitié? De l’amour? Il ne le savait pas trop. Il les aimait, voilà tout. Il y a des gens qui nous chavirent sans qu’on sache pourquoi; Aly et Phil étaient de ceux-là, pour Rasmus. La jalousie l’a rongé un temps, quand il ne les voyait rien que tous les deux et qu’ils l’ignoraient comme un vulgaire déchet sur le bord de la route. Quand Aly hésitait entre lui et Phi, quoi. Ce petit jeu, Rasmus en a souffert. Même s’il était trop fier pour l’avouer à voix haute. Il voulait Aly rien que pour lui pendant qu’il adorait et haïssait Phil. Tout ça s’est replacé quand ils ont tous les trois compris qu’ils avaient besoin les uns des autres pour survivre. Aly. Phil. Et lui. Tous les trois contre le reste du monde. 08. L’ordure qui a servi de père à Aly? Ouais? Faut vraiment en parler? Très bien. Il le hait. Plus que tout. Il se tient aux aguets, toujours, prêt à défendre leur ange, à lui et Phil. Parce qu’Aly, c’est un ange, ouais. Un ange qui n’a pas sa place sur terre. Elle est si naïve, comme une enfant. Ça pourrait être mignon si son passé n’était pas aussi dégueulasse. Son père, on y revient encore. C’est lui qui lui a bousillé le cerveau, quand elle était gosse. Et ça, à jamais. À cause de lui, elle ne comprend pas, la rouquine, qu’elle n’est pas née pour être fleur de macadam et que son corps n’appartient pas aux sales mains qui l’ont autrefois souillé. Bordel, Aly. C’était mal. Mal et malsain. Tu l’comprends pas? Ou tu fais semblant d’pas l'comprendre? qu’il lui crache parfois au visage, poussé à bout. Il s’énerve rarement, Rasmus, alors quand ça lui arrive, il essaie de se calmer, pour pas perdre les pédales comme Phil. Il ne veut pas qu’Aly fonde en larmes à cause de lui, à cause d’eux. Alors il la couve, du mieux qu’il le peut. Il ne se le pardonnerait jamais si on lui faisait du mal à sa barbe à son nez.

Et ça, ça risque d’arriver plus tôt qu’ils ne le pensent tous.
Parce que monsieur Putskowski n’est pas loin.
Vraiment pas loin.