from prayers to broken stones.

traits de caractère / Neith n'aime pas l'inaction. Angoissée chronique, elle a besoin de bouger, de vivre pour ne pas se laisser ronger par les démons qui ne l'ont jamais vraiment lâchée ; née avec, elle sait qu'elle mourra à leur côté, qu'importe ce que l'avenir pourra lui réserver. Grâce à ça, pourtant, elle a développé une patience d'or et une compréhension, une empathie devenue bien trop forte avec les années. Véritable éponge, elle aspire les malheurs des autres, leur bonheur, les mâche et les recrache quand tout devient trop – même la joie peut tuer lentement, lorsqu'elle ne nous appartient pas vraiment. Sous anti-dépresseurs depuis ses treize ans, elle va et vient, arrête son traitement puis le reprend, et tente de noyer ses propres émotions qui, trop bruyantes, la rendraient folle ajoutées à toutes les autres. De son silence autoprotecteur est né un mystère qu'elle s'amuse à entretenir face aux gens qu'elle rencontre ; une aura presque mystique se dégage d'elle, de ses yeux bicolores, ses lèvres rondes et bombées, et son visage de poupée que la plupart des gens semblent incapables de placer sur la moindre carte. Le monde, et les aléas de son existence, l'ont poussée à devenir très vite très indépendante. Neith aime n'avoir besoin de personne : malgré les troubles de sa santé mentale, elle a appris à s'apprécier suffisamment pour se contenter d'une vie face à elle-même la plupart du temps, et s'éviter un surplus trop violent d'émotions sous couvert d'une solitude dont elle aurait préféré se passer. Neith est observatrice. Elle aime analyser et décortiquer tout ce qu'il se passe autour d'elle, ayant aidé à faire d'elle une excellente joueuse de poker. Mais dans sa manie de tout remettre en question, elle en est la première victime : sous ses airs un brin inaccessibles et sûrs d'elle, elle se montre pourtant pleine de ces doutes qui participent à nourrir ses angoisses. Neith a simplement besoin de sécurité : trouver quelqu'un qui ne l'étoufferait pas, qui lui ferait ressentir ses propres émotions sans la pousser à devoir taire les siennes avec des neurorécepteurs, mais la distance qu'elle tend à mettre avec le reste du monde l'empêche de trouver cette moitié d'elle, romantique ou non, qu'elle espère pourtant rencontrer un jour, pour pouvoir devenir pleinement la personne agréable et cultivée qu'elle est.

À peine la porte claqua derrière elle, lui arrachant une grimace dans son fracas, que son corps commença à se décrisper. Les paupières closes alors que son sac s'écroula dans son entrée, Neith inspira profondément, mordant sa lèvre teintée d'un rouge qui, par chance, ne marqua pas ses dents blanches et droites. L'épuisement porté par ses muscles relâchés la frappa de plein fouet ; elle était prête à tomber sur son lit, fermer les yeux, et attendre de se réveiller en même temps que le soleil, lorsqu'il viendrait caresser son visage encore maquillé, dans des vêtements qui portaient bien trop d'odeurs différentes. Mais là, droite comme un « i » dans l'entrée de l'appartement, elle savoura le temps d'une poignée de secondes le silence retrouvé. Sans autre mouvement que celui régulier de sa poitrine, elle tenta de retrouver une connexion entre corps et esprit, et un calme perdu à mesure que les heures lui avaient fait subir leurs affres. Du brouhaha du casino aux éclats de rire s'élevant du bar, des tentatives licencieuses de la glisser entre des draps pour le reste de la nuit, du surplus émotionnel qu'elle avait accumulé au fil de ses conversations depuis qu'elle avait quitté son antre, Neith retrouva le calme d'un havre qui n'était désormais plus que sien. Le prénom de Luke figurait toujours sur le bail. Un appartement qu'il avait choisi avec soin, décoré d'un goût simple, empressé et hétéroclite, jetant çà et là des posters sur les murs à la peinture parfois écaillée et mêlant des styles de meubles capables de provoquer un ulcère au premier décorateur d'intérieur qui passerait la porte. Pourtant, dans la mixité cacophonique qui s'échappait de l'endroit, Neith avait trouvé un réconfort dont elle avait tant eu besoin, si souvent, avant de tomber sur lui. Elle, qui se pensait incapable de se lier à qui que ce soit, s'était vu offrir une main tendue et un cœur ouvert, un sourire rassurant et le respect de chacune de ses limites auprès d'un homme qui avait pris, les mois se suivant sans jamais se ressembler, une importance considérable dans son existence. Jusqu'à ce qu'on ne le lui reprenne. Luke était arrivé dans sa vie – ou plutôt, Neith avait déboulé dans la sienne un beau jour et, sous ses allures de chatte blessée, s'était vue recueillir et protégée, dans un équilibre loin de la précarité de ses autres relations –, et dès lors elle avait appris la confiance en autrui, et une vérité en laquelle elle n'avait jamais crue avant : tout le monde n'était pas dans son entourage pour lui faire du mal à un moment ou à un autre.
Doucement, elle rouvrit les yeux. La lumière des lampadaires glissait à travers les fenêtres, dans un silence entretenu par le double vitrage. De mouvements las, elle retira ses escarpins et les abandonna dans l'entrée, là où son sac gisait déjà, pour s'aventurer chez elle. Le calme était rassurant. Dans l'obscure métamorphose de la nuit qu'elle observait avec fascination entre les lames des stores, elle parvint à mettre le vrombissement de son esprit en pause, et à enfin reprendre son souffle. Distraitement, elle tâtonna la poche arrière de son pantalon cigarette pour en attraper le paquet logé contre la chute de ses reins, l'ouvrit sans même lui accorder un regard, et en glissa une entre ses lèvres rondes et pulpeuses, faisant danser la flamme de son allumette jusqu'à sentir son œsophage la brûler délicieusement. Chacun ses vices. Si le sexe ne faisait pas partie des siens, tant que seuls ses propres mains s'étaient plu à la parcourir, elle laissait ses minutes de vie se consumer au bout de ses cigarettes, laissant derrière elle une fumée bien vite disparue. À l'odeur constante de vanille noire qui embaumait les pièces du petit appartement se confondait celle du tabac, et du souvenir de la bouteille de rhum – Don Papa, Philippines : saveur de vanille et d'agrumes, coûtant les yeux de la tête mais valant de se damner jusqu'en enfer pour un simple verre – que Luke gardait précieusement,  prenant la poussière depuis sa disparition sur le dessus d'une étagère aussi vieille que le monde, et craquant lentement au rythme de sa fatigue. La clope coincée entre ses dents, elle baissa le regard vers son pantalon, défit la ceinture, le bouton, et laissa le tissu glisser le long de ses cuisses jusqu'à ses chevilles, agitant l'un après l'autre ses pieds pour s'en détacher complètement. Lentement, les boutons de son chemisier subirent le même sort, jusqu'à ce qu'il ne s'abandonne à son tour sur le parquet frais et que son corps ne s'écroule mollement dans le fauteuil. En sous-vêtements, le cendrier ramené sur sa cuisse, le menton lové dans la paume de sa main, Neith observa la vie se dérouler sous ses yeux, inventant des histoires à défaut de bien vouloir mettre un peu d'ordre dans la sienne, le chat de Luke lové contre son ventre chaud, et la fumée de sa cigarette dissimulant la fatigue perceptible dans son regard dépourvu d'étincelle.