les malheurs de sophie

traits de caractère / parfois, nous rencontrons des personnes qui débordent de gentillesse, sophie en fait partie. sophie a toujours eu un sourire, un bon mot pour réconforter les âmes esseulées parce qu'elle les écoute sincèrement, sans jamais porter une once de jugement. ainsi, lorsque l'on a pleuré une première fois sur l'épaule de sophie, on y revient facilement peut-être trop souvent. de toute façon, même si cela l'embête, elle serait incapable de vous dire non. elle est trop empathique pour ne penser qu'à sa petite figure. sophie se fait avoir, à chaque fois. elle se laisse envahir par les besoin des autres en oubliant les siens. ainsi va la vie. sophie, on l'adore. sophie, on l'aime. et pourtant, ils sont peu à la connaître réellement. elle ne se dévoile jamais totalement. elle rumine en secret. elle a tendance à surinterpréter tout ce qu'on lui dit, surtout les remarques qu'elle prend parfois trop à coeur. cela lui cause quelques insomnies et réveille en elle une certaine susceptibilité. sophie est douce dans ses gestes, dans sa voix, dans son regard. une introvertie qui s'échappe souvent loin de la pression sociale en se réfugiant dans sa chambre ou dans un bouquin. elle est curieuse de tout à tel point qu'elle s'émerveille d'un rien. elle récolte quelques moqueries mais tant pis. sophie, la naïve. elle pleure souvent, elle se laisse envahir par ses émotions. sophie que l'on a souvent protégé de sa propre sensibilité. on les comprend après tout, sophie déborde d'angoisse.

elle n'avait pas eu la force de s'habiller ce matin-là, elle n'avait plus la force pour rien. sophie s'éteignait à petit feu. elle ne souriait plus, ne mangeait plus, ne dormait plus. la seule chose dont qu'elle était encore capable de faire était de pleurer et encore les larmes semblaient commencer elles aussi à manquer. elle se tenait immobile sur le pas de la porte de la cathédrale saint patrick et elle n'avait aucune idée de comment elle était arrivée là. il en avait fallu des mots pour la faire sortir de la chambre d'enfant de joy, il en avait fallu de la patience pour la vêtir et la coiffer. son regard se posait sur ce cercueil remontant cette allée qui semblait sans fin. hésitante, elle posait lentement un pied devant l'autre. elle s'accrochait difficilement au bras gauche de son père alors que résonnait l'ave maria de schubert merveilleusement chantée par irma barr, chanteuse soprano et amie intime de la famille blythe, dont sophie n'entendait que quelques notes par intermittence.

elle s'installait au premier rang, silencieuse. elle avait offert à sa famille un mutisme profond depuis qu'elle avait posé le pied sur le sol américain. marianne, la mère de sophie, tenait le coup. on l'observait s'agiter. on attendait le moment où elle allait s'effondrer. des questions, ils en avaient. des réponses, ils en avaient peu. l'incompréhension s'installait dans les esprits des malheureux.

première lettre de saint-paul apôtre aux corinthiens, chapitre 13
l’amour est patient, il est plein de bonté; l’amour n’est pas envieux; l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité; il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout, l’amour ne meurt jamais.

elle ne savait pas depuis combien de temps la cérémonie avait débuté, elle était restée stoïque jusqu'à ce que sa mère l'agrippe par les épaules. 'allez sophie, pour joy' sophie lui jettait un regard vide. francis attrapait la main de sa fille l'attirant vers lui et lui déposait un léger baiser sur le front. ils rejoignaient ensemble le choeur de la cathédrale où se trouvait un piano accompagné de son tabouret et une chaise vide. Dans sa longue robe noire, sophie regardait son père prendre place au piano pendant qu'on lui tendait un violoncelle et un archet. elle remerciait d'un signe de tête assez lent. elle craignait de se retourner et d'apercevoir toute cette foule qui était venue pour joy. elle prenait une grande inspiration avant de se retourner et d'aller s'installer sur la chaise vide. elle faisait face à joy, à son cercueil. Ils avaient choisi une photo où elle avait un si beau sourire. Sophie jetait un regard rapide vers son père. un signe de tête – ok. les première notes de la sérénade de schubert envahissent l'espace. sophie fermait les yeux, elle comptait les mesures avant de faire glisser son archet sur l'instrument. le visage de sophie semblait reprendre vie...


...avant de s'éteindre à nouveau une fois la dernière note émise. elle ouvrait les yeux libérant quelques larmes qui roulaient le long de son visage. à croire, qu'elle en dissimulait encore quelques unes au fond d'elle. ses yeux vinrent se noyer tour à tour dans ceux de ses grands-parents, de sa mère et puis dans ceux de cez qu'elle fixait pendant quelques secondes supplémentaires. subitement, elle réalisait qu'elle avait oublié cez – l'espace d'un instant. merde, cez. elle ne lui avait même pas apporté un soupçon d'attention. il partageait la vie de joy depuis quatre ans et elle ne s'était même pas souciée de savoir s'il tenait le coup. francis avait été chargé d'annoncer le décès de joy à sophie. elle avait arrêté de penser, violemment. un shutdown qui s'était activé en une fraction de seconde. elle ne saurait pas vous dire, encore aujourd'hui, quel mot a jouer le rôle de déclencheur – accident, décès, joy... peut-être les trois en même temps. elle se souvenait de la voix sensiblement plus grave de son père, une variation légère mais perceptible et c'est bien la seule chose dont elle se souvenait. elle avait fait abstraction du comment, ne songeant même pas au pourquoi. sophie n'avait pas conscience que cez avait vu joy mourir sous ses yeux. sophie n'avait conscience de peu de chose en réalité. néanmoins, en voyant cez en face d'elle, elle était capable de voir le chagrin dans son regard.

lentement, sophie déposait le violoncelle sur sa gauche accompagné de l'archet. elle suivait son père mais en rejoignant sa place, elle se postait aux côtés de cez. elle passait sa main autour de son bras avant de venir déposer sa tête sur son épaule. elle aurait voulu lui souffler 'ça ira, tu verras' mais elle n'en était personnellement pas convaincue. parfois, le silence vaut mille mots.