t'as l'coeur au bord des lèvres / nahia

i/ des cris. pas les tiens. non, ceux de ta génitrice qui t'extirpe de son corps. génitrice. mot bien impersonnel pour celle qui t'a donné la vie. et pourtant, elle n'est que ça pour toi. rien de plus. que l'hôte qui t'a accueilli et a permis que tu te développes pendant huit mois. née prématurément. née avec un autre soucis plus important. syndrome de sevrage néonatal. c'est comme ça que ça s'appelle. t'es restée un moment à l'hôpital. t'es restée un moment à recevoir de la morphine pour te sevrer de l'héroïne que t'as consommé malgré toi. infirmières accueillantes, infirmières à l'écoute, t'as quand même réussi à t'en sortir. t'es une battante toi et ce, depuis le tout début.   ii/ elle s'est barrée ta génitrice. elle ne voulait pas de toi. et son crétin de mec tout autant drogué qu'elle n'en avait que faire d'un rejeton. direction l'orphelinat, là où on place les bébés qui n'ont pas leur place dans la société. enfin, cette société préconçue. parce qu'on est venue te chercher. ce bâtiment au toit en taule qui t'a vu esquisser tes premiers sourires, tes premiers babillements. quelques mois passés ici avant qu'un couple ne te récupère. un couple de new yorkais, les al khalir. une famille qui elle, voulait bien de toi.  iii/ t'étais la première, mais pas la dernière. après toi, y'en a eu d'autres des enfants qui ont été récupéré. qu'ils soient nés ici ou ailleurs, vous vous êtes tous retrouvés au même endroit. dans ce foyer aimant, dans cet univers où ils n'ont manqué de rien. un père avocat aux multiples origines, une mère rédac chef avec son flegme anglais. un duo qui paraît improbable, tout comme leur famille recomposée. et pourtant cette unité qui s'est crée au fil des années. iv/ t'as profité de la vie quand t'étais adolescente. t'as profité et peut être un peu trop. avec le bagage que tu te traînes, avec ce défaut dans ton anatomie que tu n'as su qu'après, t'étais sujette à ce genre de débordements. à ce genre de vice. tu n'y a pas touché souvent à la drogue. non. qu'une fois. et cette fois ci fut celle de trop. réveillée au beau matin dans un lit que tu ne connaissais pas, nue et sans aucun souvenir. seul cette douleur dans le bas ventre, seul ce sang qui souillait ces draps blancs immaculés. t'as vite fait le lien, t'as vite compris ce qu'il s'est passé. t'en as parlé à personne, enfin si, qu'à ta meilleure amie. tu ne veux pas qu'on te voit comme une nana faible. alors t'as relevé le menton et t'es retournée dans l’arène, tentant d'oublier ce passage à vide, tentant de dissimuler ton mal être. v/ il a toujours été là lui. ce pilier, cet ami. vous vous êtes rencontrés gaminots et ne vous êtes jamais quitté. là ou y'avait teddy, y'avait nahia et inversement. un tout, une équipe. rien ne vous prédisposez à devenir si proches. rien ne pouvait prévoir cette amitié et pourtant. il y a des choses qu'il ne vaut mieux pas analyser. il y a des choses qu'il ne faut pas chercher à comprendre. c'était juste comme ça et c'était très bien. taquineries et rigolades, sourires et souvenirs partagés, rien d'autre n'importait. et puis en grandissant, les choses ont changé. les sentiments ont dérivé. ont évolué. vi/ fiancés rapidement, leur complicité était au départ leur force. mais être en couple amène quelque chose en plus, quelque chose qu'on n'a pas lors d'une amitié. quelque chose qui t'as toujours mis mal à l'aise. le sexe. c'est pourtant agréable avec la personne que l'on aime. c'est pourtant quelque chose qui s'apparente au plaisir. mais pas là. parce que toi, t'es pas guérie. tu ne peux pas l'être parce que tu ne veux pas affronter le sévice. alors t'es exécrable, alors tu le repousses. il ne comprend pas malgré sa patience. il ne comprend pas et tu ne peux rien lui dire. tout devient prétexte à une dispute. et tout finit par partir à vau-l'eau.  vii/ tu t'es réveillée un matin avec cette envie de renouveau. un début de quelque chose. une renaissance. alors t'es partie. t'as laissé la bague, t'as laissé le fiancé, t'as laissé les études planplan de comptabilité. t'as tout quitté. y'en a qui font des crises de la quarantaine, toi elle est arrivée seize ans trop tôt. t'aurais pu regretter ton choix, mais ce ne fut pas le cas. et ça ne l'est toujours pas. comme un phœnix qui renaît de ses cendres, comme un oiseau qui se défait de ses chaines. il était temps que tu te découvres, que tu deviennes... toi. tout simplement. la décision ne fut pas facile à prendre, enfin c'était ce que tu croyais. embourbée dans ces mensonges et non-dits, ce fut finalement plutôt facile de te libérer. laissant malgré tout quelques personnes sur le bas côté, blessant quelques égos. viii/ t'as toujours aimé avoir les mains dans la farine, travailler la matière, faire de la pâte quelque chose d'exceptionnel. alors tu t'es dirigée vers cette voie. quelques sous en poche, t'as loué un appartement pour commencer. un départ. et puis t'y es allée au culot. t'es allée voir un pâtissier, un vieux de la vieille, celui qui t'a fait découvrir ces délices sucrés. il a été touché par ton envie d'apprendre et ta soif de découvrir son métier. il a été touché par ta sympathie et ton sourire communicatif. alors il t'a tout enseigné. il t'a tout révélé, faisant de toi son héritière. inscrite à une compétition télévisée, vous êtes même arrivés premiers. l'expérience et la jeunesse. l'ancienne école et la nouvelle. un nouveau duo d'un tout autre genre, prêt à affronter les clients qui passeraient la porte de la boutique. ix/ il t'a vu à la télé. ce détracteur, celui qui a bousillé ton adolescence. il t'a retrouvé. tu ne sais pas comment, tu ne sais pas pourquoi. t'as reconnu son visage, t'as reconnu son haleine amère. il voulait du fric, t'en avais pas. il voulait du fric mais il est passé dans la rénovation de la boutique. tout ça pour ne pas t'étaler dans les journaux. t'as eu peur de cette réalité, t'as eu peur alors que lui risquait bien plus. mais tu n'étais pas lucide. la peur au ventre, t'as accepté son deal. cette herbe qu'il vendait avait besoin d'une nouvelle clientèle. mère au foyer débordée, ados en quête d'expérience, veuf voulant se changer les idées... ils sont nombreux. et ils se sont mis à défiler dans la boutique pour récupérer ces gourmandises délirantes. et puis le bourreau est mort. ça ne t'a rien fait, même pas soulagée. laissant derrière lui ce business que t'as du continuer. clientèle fidèle et au rendez vous alignant les billets comme on distribue des bonbons. tu pouvais pas passer à côté. x/ t'as grandi. un peu. la trentaine approche mais tu ne sais pas si t'es heureuse. le vieux va prendre sa retraite, la boutique va être à toi. mais tu ne sais pas si c'est une bonne idée tout ça. peut être que oui. peut être que non. et puis il y a elle. cette bouffée d'air frais qui est entrée dans ta vie sans que tu ne t'y attendes. douceur insolente au regard pétillant. elle t'ouvre les portes d'un horizon qui t'effraie. t'en as marre d'avoir peur. t'en as marre de vivre dans la crainte. tu hésites à plonger dans le grand bain mais il va bien falloir se jeter à l'eau. sans les brassards cette fois ci. les pieds en place, t'étais prête. mais ça ne se passe pas comme prévu. le passé revient toujours. un foutu boomerang, un foutu fantôme qui réapparaît et contrecarre tous tes plans. il va falloir prendre des décisions. il va falloir être femme.