Hey Jude, don't make it bad. – Santo

→ REQUIEM FOR A DREAM Elle est belle la jeunesse. Elle te fait croire des tas de choses, comme un gourou, elle te dit que t'es capable de tout et que les blessures finissent toujours par se résorber. Tu peux le voir, dans le regard de tous ces mômes, qu'importe d'où ils viennent, de quel monde dégueulasse ils évoluent, tu sens bien qu'ils sont persuadés que l'univers leur appartient et que la peur peut bien se pointer, ils auront toujours de quoi la combattre.
Jude fixe sa mère et il y a dans les yeux de celle qui lui a donné la vie cette lueur qui pousse à la pitié. Cette leur là, qu'elle devait déjà avoir lorsqu'il était bien au chaud dans son ventre et même bien avant … comme une cicatrice sur l'âme que tu peux pas ignorer, qui te saute au visage dés que tu la croises.
Elle sait qu'elle est sur le point de le perdre et la colère reste son unique repère. Elle fait ce petit mouvement de main pour tenter de sauvegarder sa dignité.
– Et c'est tout ? Tu penses que ce vieux dégueulasse aura plus à te donner que nous ? Mona gratte l’eczéma de son avant bras ; des mois qu'elle tente de s'en débarrasser sans que rien ne percute jamais. Oublie la drogue, peut-être que tout ira mieux, de ta famille en remontant jusqu'à ta peau et en descendant jusqu'à ton corps au système immunitaire flingué.
– Commence pas. Un pas en direction de Jude, celui de trop. Prends un enfant et déçois le chaque jour qui passe, tu feras face à un adolescent cocotte minute. Sa main se redresse, Jude est déjà plus grand qu'elle de quelques têtes et il n'a qu'à la pousser pour la voir tomber par terre. Tas d'os et de chair drogué jusqu'à la moelle, Mona gémit. Au milieu du bordel de leur minuscule appartement, elle se redresse tant bien que mal et lui hurle de partir et ne jamais revenir. Il compte pas le nombre d'insultes, Jude a l'habitude, elles servent de ponctuations. Entre un bâtard et ordure, la porte d'entrée s'ouvre et son corps frêle s'y glisse ; un simple sac à dos sous le bras.
Rien ne peut être pire que maintenant.
Seize ans, l'âge parfait pour se brûler les ailes.

→ Cold Steel
–  La prochaine fois que tu rentres dans cet état, tu pionces dehors.
Lorenzo redresse les yeux vers Jude. Il y a dans l'air une tension qui lui noue la gorge et fait des nœuds dans ses entrailles. Ses poings sont serrés alors que son arcade continue de saigner. Dans une ruelle à quelques rues de là, le sol est gorgé d'une bagarre comme on peut en croiser partout. Les doigts de Mendoza claquent contre la joue de l'adolescent qui fronce les sourcils. Son sourire aux dents jaunes est menaçant. Jude ne dit rien, sait que l'on fait ça pour son bien. Depuis qu'ils sont à New-York, il s'entend toujours dire cette même phrase : Tu vas apprendre ce que c'est, être un homme.
Il comprend tout juste alors que sa joue rencontre un meuble glacé. Son nez saigne, pas à cause de la bagarre mais de Lorenzo qui vient de lui retourner son poing. Le coup a fait un tel bruit, il l'entend encore résonner dans son crâne. Il a la sensation d'être un poisson rouge dans un bocal où un connard de gosse tape du doigt la paroi ronde.
–  A l'heure qu'il est, la moitié du quartier doit déjà savoir que j'héberge une petite merde à qui l'on peut botter le cul en toute impunité. La pression de sa  main contre sa tempe s'intensifie. Lorenzo électrise le corps de Jude.
Les électrochocs, le gamin les ressent de part et d'autre de son être. Ce sont eux qui lui rappelleront qu'il n'a pas le droit de se démonter, face à rien.
Muet, il se fait la promesse froide de ne plus jamais connaître cette humiliation.

→ The Dark Hearts of Men
– Tu vas me choper ces types t'entends ? Tu vas me les choper et leur mettre sous le nez le fric qu'ils me doivent. J'en peux plus de ces putains de drogués. Si tu ramènes pas le fric, c'est leur tête que je veux. Sinon c'est pas la peine de revenir.
Jude serre entre ses doigts le couteau qu'on lui a mis dans les mains. Pas de flingue lui souffle sans cesse Mendoza. Les lames sont bien plus efficaces, impossible de rater son coup.
C'est comme ça que New-York se retrouvera la nuit suivante avec deux cadavres sur les bras pour un règlement de compte. Il en aura planté si profond que le môme se vantera plus tard d'en avoir fait une passoire.

→ in the name of god Il y a dans son dos la famille de ceux qu'ils ont assassiné, lui et d'autres. Surtout lui. Il se souvient encore être rentré chez Lorenzo les mains couvertes de sang et sa lame flanquée dans sa poche. La seule chose qu'il avait été capable de dire était bordé d'un sourire.
– J'ai niqué ces fils de pute. Jefe, j'ai niqué ces fils de pute. Sa main contre sa nuque et leurs fronts qui se collent. C'est le regard fier de Mendoza, de son père, qui le maintient debout et le protège du juge et de la sentence qui l'attend. A la barre des accusés, il se sent dans un bateau de pirate infranchissable par la réalité. Rien ne le submerge, paralysé au plus profond de son être, les coups de couteau, il les a donné, sans une once de crainte, sans une pointe de regret : il les voulait morts. C'est à peine s'il ressent la gravité de la chose. Les larmes et les insultes, sa colonne vertébrale les réceptionne en silence, les emmagasine dans une partie de son corps qui saura les broyer de lui-même.

Jude ne peut plus rien dissimuler. Après trois jours de procès, tous ont vu de quoi il était capable. Les clichés des cadavres traînent encore dans sa tête lorsqu'on le déclare coupable d'un meurtre à l'arme blanche et d'avoir participé au second. Trop jeune pour réaliser que sa vie cesse ici, son regard se redresse vers son avocat et rien ne se passe.
Vingt-deux ans de réclusion criminelle.
Ça semble court dans la tête d'un môme persuadé d'avoir pris la bonne décision.
C'est en réalité un petit bout d'éternité dont il ne sortira pas indemne.

→ midnight express Sa cellule. Petit bordel où il passera les vingt-deux prochaines années de sa vie. Où il verra défiler les colocataires jusqu'à ce qu'un se démarque. La porte de ce nid à merdes s'ouvre et Jude descend de son lit, toujours si fier, le coq de la basse cours. Après dix ans, tout est devenu une habitude. Santo tatoué sur l'épaule gauche, son corps a reçu des coups de couteaux, des poings qu'il n'avait pas vu venir mais à présent, il sait les esquiver ou mieux les rendre. On évite de lui en donner, de se mettre à dos le saint par peur de se recevoir la foudre divine en pleine gueule. Son regard bleuté se plante sur le visage fatigué de Simon lorsqu'il dépose sur son matelas ses affaires et sa vie gâchée. Ici, tout s'arrête. Les nouveaux sentent encore l'extérieur, tombe de leurs cils et leurs cheveux un goût de liberté que le saint ne peut que fantasmer. Sa bouche porte le goût amer des types à la vue toujours hachée par les barreaux.
Santo joue des cadors. Les premières secondes sont toujours le moment décisif où tu fais de celui d'en face ton allié ou ton adversaire. Sa large carrure lui bloque le passage et Simon ne réagit pas. Il soutient son regard, comme le clébard qui ne fuit pas.
–  Oh petit, j'ai vu pire, te fatigue pas.
Son charisme le bouffe instantanément. C'est comme une énergie, un fluide discret entre eux, qui passe, laisse des traces, noue un lien, fait des secrets. Jude laisse tomber le masque, sourire aux lèvres, loin de la petite merde qui pisse sur son voisin et se bat pour un regard de travers. Il était bagarreur avant la taule mais à présent, la violence est un corps étranger perdu dans son organisme que personne ne s'aventure à lui enlever par peur de l'hémorragie. Face à lui, Santo n'a plus une petite frappe de sa trempe mais un ancien Marine que les étoiles du drapeau américain ne protègent plus. Ce n'est pas la liberté qu'il renifle à plein nez mais la rancœur et la guerre ; celle qu'aucun de ces types n'a jamais connu et qui les réduit tous au rang de pauvres chiards.

→ memento mori
– Mendoza, lève-toi. J'ai une bonne nouvelle pour toi.
La matraque du maton tape de toutes ses forces contre la porte de fer et le bruit résonne dans toute la pièce. Après une semaine au trou, Jude est incapable d'entendre le moindre bruit sans le prendre pour une attaque. Dans ces heures solitaires, à la lueur d'un rayon de soleil timide, les murs lui causent et lui rappellent qu'il crèvera ici. Sa silhouette se redresse de son matelas inconfortable, son dos est en compote mais il parvient à marcher jusqu'à la porte. Ses mains se posent sur la ferraille glacée. Sa peau est moite. Il n'a jamais autant transpiré de toute sa vie. Sensation étrange que son organisme recrache les toxines pour ne pas le voir tomber fou. Ses cheveux gras se collent contre son front alors que son regard fixe celui du gardien à travers la petite encoche. Ne pas avoir consommé de coke depuis une semaine lui donne la sensation d'être une plaie ouverte.
– Ton vieux est mort. On l'a trouvé séché comme une tranche de sauciflard dans son appart', une balle dans la tête.
Dis à un homme ayant passé le plus clair de sa vie tel un orphelin qu'il vient de perdre ses dernières racines et tu es persuadé de le briser totalement. Pinkman lui adresse un sourire. Il entend les poings de Santo claquer contre la porte et le traiter de fils de pute.
– Ferme ta gueule Santo. Ce fils de chien ne manquera à personne.
Les poings de Jude claquent si violemment contre cette foutue porte qu'il ne sent même pas lorsque sa main gauche cède.
– Je vais te crever Pinkman.
– C'est ça, c'est ça … Le rire qui traverse le couloir n'a rien d'effrayé. Le pouvoir des armes et de l'uniforme ont le dessus sur ces salauds de prisonniers pas mieux considérés que des clébards.

Le temps se contorsionne jusqu'à ce que son dos ne glisse contre un des murs crasseux de sa piaule. L'odeur de pisse lui prend au nez alors qu'il se penche pour vomir à même le sol ses tripes. Les poings ensanglantés, même pas épuisé, seulement anesthésié, Santo capitule. Les fesses posées sur le béton froid, le silence semble vouloir le regarder droit dans les yeux mais rien ne se passe.
A travers sa haine, la haute sécurité de la prison ne l'empêcheront pas de venger son père.

→ papa don't preach Elle a les yeux de sa mère, une gosse qu'il avait engrossé avant d'entrer en taule. Ella de son prénom, une poupée comme une autre, pas plus jolie, pas plus intelligente. Elle était juste là quand il le fallait, lorsqu'il faisait encore le fier dehors. Sa main se pose sur son ventre rond ; il touche presque la table du parloir. Santo la dévisage.
Il sait déjà qu'il va être cruel et se protège comme il la protège de lui.
–  J'ai besoin que tu m'aides. Tu m'as laissé et maintenant Maman me tourne le dos pour son nouveau type. Jack Moriss, tu sais, l'autre connard de toxico.
Il saurait même pas dire l'âge qu'elle a. Santo est entré en taule lorsqu'elle avait tout juste trois mois. A l'époque, il ne lui avait même pas laissé le privilège d'être son père, seulement un type qui venait sauter sa mère et lui donner un peu d'affection. Il l'a probablement porté trois ou quatre fois dans ses bras mais avec cette froideur qu'ont les hommes qui ne prendront jamais au sérieux leur rôle. Il a jamais eu la sensation de tenir contre lui sa fille. A sa naissance, la nature a oublié de créer un lien entre eux ; elle était probablement occupée ailleurs ou savait-elle qu'il n'y aurait jamais rien à tirer de cette histoire.
–  Elle a dit … La gosse reprend son souffle, son ventre lui pompe toute son énergie. C'est à croire que sa colonne vertébrale va plier tellement que ce bébé prend toute la place dans son corps minuscule. Elle a dit, hors de question que tu me ramènes une bouche de plus à nourrir. Mais alors-
Le regard de Santo suffit à la faire taire.
Serait-il capable de lui en mettre une, là, au milieu de tout le monde ? Oui. Cette taule regorge des pires atrocités et tout cela ne serait que le haut de l'iceberg. Une bonne tarte comme lui en mettait Lorenzo.
–  Dégage d'ici, ça ne me regarde pas. Ne reviens jamais. Il insiste pour qu'elle imprime, qu'elle rêve de son regard dans ses nuits les plus sombres et qu'elle le déteste. Jamais. Ses yeux plein de larmes ne décrochent pas une once de compassion chez Jude. Même s'il voulait, il ne pourrait pas. Cette môme, sa môme, tout juste une inconnue qu'il n'a pas envie d'ajouter à la liste de ses emmerdes.
Il la regarde partir, le cœur encore plus lourd que son ventre rond. Santo serre la mâchoire, tout ce qu'il regrette, c'est de ne pas avoir été plus insultant.

→ Waiting Around to Die Durant toutes ces années de cohabitation, Simon lui a appris la loyauté et l'importance d'avoir un ami. Un véritable ami sur lequel tu peux te reposer et mettre en stand by tes instincts de survie. Entre eux, il n'a jamais été question de position de force, de coups de poings, de rapports non consentis sous les douches.
Simon est son frère.
Le bruit qu'a fait son corps en s'échouant dans la cours est le son spécifique que font les carcasses qui s'écrasent par terre lorsqu'elles n'ont plus la moindre chance. Aucun de ses instincts n'a tenté de le rattraper et son regard sombre posé vers le ciel lui a rappelé qu'il ne le reverrait plus jamais. Santo s'est précipité vers lui, sa main posée sur sa nuque pour empêcher le sang de couler alors que Simon baigne déjà dedans. Le résultat d'une lame faite artisanalement. Parmi la foule tout autour d'eux se trouve le coupable.
Un unique coupable que Jude aurait détruit si son affection pour le marine à terre ne l'empêchait pas de bouger. Son regard soutient le sien, jusqu'à la fin, ça ne dure que quelques secondes mais il a la sensation que des heures le traversent et l'épuisent.
Simon n'a même pas peur quand il le regarde avant de partir non … on voit bien qu'il y croit juste pas, qu'il comprend pas que ça puisse se terminer comme ça, aussi connement. Les champs de bataille n'ont pas eu raison de lui mais cette guerre là, il n'en reviendra pas.
Santo ôte la croix qu'il a autour du cou pour la poser sur le torse de son ami. C'est un adieu.

→ When did I become so numb ? Les femmes peuvent être les pires créatures du monde mais aussi les meilleures. Installé dans son siège, face à lui, Frida lui adresse un regard bienveillant.
Elle ne sait pas … non, bien sûr qu'elle ne sait pas. Elle dit se mettre à sa place, le comprendre mais son script est déjà écrit depuis des années. Sans elle, Santo serait encore la bête furieuse des murs trop haut de cette prison merdique mais elle ne peut pas savoir. Une vie à regarder tête baissée, il ne se doutait pas quel vertige pourrait lui donner l'avenir. Dans une semaine, les portes se refermeront dans son dos le laissant seul face à sa vie, celle qu'il a délibérément abandonné vingt-deux ans plus tôt.
– Nous ne vous jetons pas dans la nature Jude. Vous serez accompagné. Regardez. Elle sort de sous sa pile de bouquins un petit agenda gris sans fantaisie. J'ai noté à l'avance tout vos rendez-vous sur les deux prochains mois. Vous n'aurez qu'à le continuer. Ce sera un repère. Ici. Frida tourne les pages, l'odeur de son parfum le rassure mais renforce son anxiété. Que peut-il bien faire de toute une ville ? Le monde est si vaste qu'il lui refile la nausée. Santo était un animal sauvage à l'origine. Après ce séjour en cage, la bête n'a plus aucun filtre ; on lui a enlevé ses instincts de survie les plus basiques pour en renforcer d'autres. Regardez-moi. Son regard se fige dans le sien. Tous les numéros susceptibles de vous aider sont notés ici.
Farouche, le prisonnier ne répond rien, redresse à peine le torse pour se saisir du carnet et le serrer entre ses doigts.
– Vous avez de la famille dehors ?
– Non. D'un ton sec qui ne laisse pas sa place au doute. Un non qui se propulse de ses lèvres avec cette sévérité qu'ont les certitudes douloureuses.

→ Resurrection
Janvier 2019.
Le mois où il retrouve sa vie avec la sensation de la perdre une fois de plus. Il l'a laissé si longtemps derrière lui vous savez … qu'un rien est finalement une étape compliquée à reprendre de zéro. Elle lui semble lourde, cette vie, cette quête, comme un bébé qui pleure tout le temps et qui a sans cesse faim. Un bébé dont il ne sait pas s'occuper et qu'il berce de ses gros bras sans savoir le faire taire.
Un bébé à qui il doit tout réapprendre.
La vie, tu vois ce que je veux dire … si tu la délaisses, elle devient ton pire ennemie. Personne n'attend ceux qui décident de déserter. Lorsqu'ils reviennent, tout n'est pas à sa place, tout n'est pas bien rangé, prêt à reprendre comme si rien ne s'était jamais passé. Santo est seul, il échappe pas à cette loi de l'univers.