walk the line (isabella)

♛ Safe with me.

Peut-être qu’elles ont trop donné. Trop pour finir par ne plus discerner l’amour de l’amitié. Isabella, elle l’a senti, elle l’a toujours su. Il n’y a jamais eu de frontière précise entre elle et Toby. La limite entre ces deux sentiments était floue, de plus en plus, jusqu’à ce qu’ils se confondent. Car elle ne s’ouvre pas facilement aux autres, même aux hommes qui ont pu partager un bout de sa vie. Alors qu’avec lui, elle savait se livrer en toute confiance, elle savait se donner. Peut-être trop finalement. Et, quelque part, elle n’est pas si surprise d’apprendre que Livia vit une situation similaire à la sienne. Ce n’est pas seulement parce qu’elles se ressemblent et se rejoignent sur bien des points toutes les deux. Ce n’est pas seulement le caractère de la jeune femme, non. C’est, avant tout, son cœur. Son cœur si grand. Elle a tant d’amour à offrir, tant de sa personne qu’elle peut donner sans compter, sans réfléchir. Jusqu’à s’y brûler les ailes. Mais elle déteste la voir ainsi, sa petite Livia. Elle déteste l’idée qu’elle souffre parce que s’il y a une personne, dans ce monde, qui ne ferait de mal à personne, c’est bien elle. Au contraire, elle mériterait d’être heureuse avec quelqu’un capable de l’aimer à sa juste valeur, quelqu’un qui réaliserait toute la beauté de son âme, quelqu’un qui l’aimerait comme il se doit. Quelqu’un qui l’aimerait comme elle semble aimer ce meilleur ami, trop proche et inaccessible à la fois.

Le regard posé sur elle, bienveillant, la Latina lui donne quant à elle toute son attention. Tout son amour. Comme elles l’ont toujours fait l’une avec l’autre et, indéniablement, comme elles le feront toujours. Car, dans une vie où rien ne dure, leur lien si fort est l’une des rares choses qui demeurent constantes pour Isabella. C’est l’essence même de l’amitié. C’est certainement pour cette raison précisé, d’ailleurs, que Livia semble avoir tant de mal à reconnaître ses véritables sentiments pour celui qui a longtemps été l’un de ces piliers si précieux. Elle ne juge pas sa peur, elle aurait pu éprouver la même à sa place. Elle a éprouvé la même. Mais fuir un sentiment, même le plus loin possible, n’aide pas à l’effacer malheureusement. C’est ce que sa belle interlocutrice confirme elle-même lorsqu’elle avoue avoir coupé les ponts avec cet homme durant près d’un an. Un an. Un an qu’elle s’est forcée à rester loin de celui qui fait battre son cœur. Un an n’a pas suffi à stopper cet amour. C’est le cœur serré que l’aînée des deux anciennes voisines écoute sa cadette, atteinte par les confidentes poignantes de celle qu’elle a toujours voulu protéger, en vain. – Mais cela n’a pas marché. suppose-t-elle dans un murmure. Pire, cela n’a fait que compliquer davantage la situation entre les deux amis. Et, en l’écoutant, elle se met aussi à la place du jeune homme, Isa. Elle devine sans mal à quel point il a dû se sentir blessé, trahi, de se retrouver sans sa meilleure amie. Il ne devait pas se douter, il ne devait pas imaginer la souffrance qu’elle vivait. Il ne devait rien voir venir. Exactement comme toi. La situation est tellement similaire, mais si différente à la fois. Elle n’était pas celle qui est tombée amoureuse. Elle était celle qui a fait du mal. C’est pour cette raison qu’elle n’accepte pas d’entendre Livia se flageller. S’en vouloir d’aimer, c’est, juste, improbable. Plus encore pour un être qui n’a jamais fait autre chose que ça, aimer. C’est aussi parce qu’elle ne supporte pas qu’elle se fasse autant de mal, pas elle, celle qu’elle a toujours considéré comme sa petite protégée.

– Non, la différence, c’est que tu es bien plus en proie à tes sentiments que je ne l’étais. Tu ne peux pas te reprocher ce qui a pu se passer entre vous, tu… Tu l’aimes. Tu as seulement laissé parler ton cœur. Qui pourrait lui reprocher une chose pareille ? Qui ne la comprendrait pas ? Elle a seulement laissé parler son amour, Livia. Elle n’a rien fait de mal. Alors qu’Isa, elle, si elle avait cédé, elle aurait simplement fait souffrir son meilleur ami en sachant au fond d’elle que son cœur était tourné vers un autre. C’est sur les sentiments de cet homme qu’elle commence à s’interroger. Ce que lui, il doit bien ressentir, pour s’être autant rapproché d’elle en sachant la limite qu’il était en train de franchir. Je sais que t'as raison sur ce point. Mais j'crois que c'est moi qui ne serais plus capable de me contenter de cette seconde place. Elle. C’est elle qui n’arrivera pas à supporter cette place. Elle reste silencieuse, Isabella. Elle essaie de penser à sa propre situation. À la manière dont Toby l’avait sortie si brutalement de sa vie, à la manière dont il avait décidé de couper toute relation entre eux. Il lui a brisé le cœur, ce jour-là. Et, au fond, s’ils ont réussi à réparer les morceaux, elle sait que rien ne sera jamais plus comme avant. Elle, elle ne sera plus comme avant. Et c’est peut-être mieux pour eux… – Toby… Cet ami. Il a décidé de me sortir de sa vie quand il a appris pour Nikolaï. Il était en colère, il m’en voulait. Mais il a fini par revenir de lui-même. Il est plus apaisé à présent, je crois qu’il a juste eu besoin de prendre du recul, pour l’accepter… Oui, c’était mieux pour eux. Mais c’est peut-être différent dans la situation de son amie. La séparation ne l’a pas aidée une première fois, elle n’est pas certaine qu’elle le soit davantage une deuxième. – Mais ton meilleur ami a cédé, avec toi, alors qu’il savait tout ce que cela pouvait impliquer. Peut-être qu’il éprouve quelque chose que tu ne soupçonnes pas, lui aussi. Peut-être qu’il a trop peur de te perdre pour réaliser qu’il n’y a pas que de l’amitié avec toi… Mais cela, elle ne peut pas le savoir. Livia elle-même ne peut pas le savoir. – Je pense que tu devrais en parler à cœur ouvert avec lui, ma belle, pour tenter de savoir ce que lui peut ressentir.

♛ Safe with me.

Elle est comme elle, Livia. Elle ne pense jamais à ses propres émotions. Ses doutes, ses peurs, ses souffrances ou bien ses sentiments, elle les balaie constamment au profit des autres. Elle dépose un voile dessus et les range au plus profond de son esprit, comme, si elle espérait pouvoir les oublier. Mais c’est impossible. Personne ne peut se cacher ce qu’il ressent indéfiniment. Et elle, mieux que quiconque, elle devrait le savoir. Elle est beaucoup trop entière pour être capable de choisir ce qu’elle doit ressentir de ce qu’elle ne doit pas ressentir. Isabella le voit, elle l’a toujours vu, parce qu’elle peut s’avérer bien plus rationnelle devant ses propres sentiments que son amie. Elle a toujours choisi la raison, elle a toujours fait taire son cœur. Peut-être parce qu’elle n’avait plus totalement l’impression qu’il était toujours là après tous les coups qu’il a pu recevoir. C’est Nikolaï qui l’a réparé, lentement, avec plus de douceur et de patience qu’elle n’aurait jamais pu le croire possible, lui qui continue encore de le réparer, jour après jour. Mais pour Livia, c’est différent. Elle a le cœur qui bat beaucoup trop fort pour qu’elle puisse l’oublier. Pour qu’elle puisse l’oublier, lui, ce meilleur ami qu’elle aime beaucoup trop. Elle le sait, tout cela, Isa car elle la connaît depuis si longtemps maintenant. Elle la connaît au-delà des apparences tout comme son amie, elle aussi, en sait bien plus sur sa personnalité que beaucoup trop de personnes de son entourage. C’est peut-être pour cette raison qu’elle est bien placée pour déceler ce qui peut se passer en elle en ce moment. Mais, malheureusement, cela ne lui donne guère le pouvoir de savoir ce que la jolie brune devrait faire. Y a-t-il seulement quelque chose qu’elle est censée, ou non, faire ? Elle ne pense pas. L’amour n’a aucune cohérence logique. Il est impossible de se baser sur la raison ou le bon sens. Mais cet air perdu dans les yeux de celle qu’elle considère comme une sœur, il lui brise le cœur. Autant que ses questions qui résonnent, comme, un cri du cœur. Un cri douloureux, désorienté et chamboulé à la fois. La Latina voit à quel point elle cherche une réponse, une réponse claire, concrète, comme celle à un problème mathématique. Mais le cœur est un domaine qui ne laisse place à aucune vérité absolue. – Il n’y a pas quelque chose que tu aurais dû faire, ou non, Livia. Tu ne peux pas contrôler ce qui se passe dans ton cœur. Ce que tu dois faire, c’est cesser de t’en vouloir autant. Tu dois apprendre à te pardonner parce que, crois-moi, tu n’as rien fait de mal. lui assure-t-elle avec conviction. À défaut de lui donner ce qu’elle attend, elle tente à tout prix de lui ôter ce sentiment de culpabilité avec lequel elle se torture un peu plus. Car sa douleur est déjà bien assez intense pour qu’elle se laisse, en outre, ronger par ses propres remords. Elle aimerait tant lui apporter une solution évidente, Isa, seulement elle n’a pas toutes les réponses, elle non plus. La seule chose qu’elle peut lui apporter est son soutien, son affection, et toute l’amitié qu’elle lui voue. Elle ne veut pas la voir se laisser submerger par ce sentiment coupable. Mais elle est tellement dure avec elle-même. Beaucoup trop. Elle s’en veut d’avoir laissé la situation déraper avec son meilleur ami alors que, au fond, la seule à qui elle a fait du mal, c’est elle-même. – Oh Livia… Elle pose sa main contre son bras. Elle l’enlacerait certainement si elle ne se trouvait pas séparée d’elle par cette table. Elle déteste la voir ainsi, Isa. Elle qui a toujours ce sourire pétillant sur les lèvres, elle qui est si pleine de vie. Elle est en train de se laisser ronger par petits bouts à cause de cette histoire. – Tu es bien trop difficile avec toi-même. Tu crois que nous choisissons de qui l’on tombe amoureux ? Tu crois que j’ai choisi de tomber amoureuse d’un autre homme que mon mari ? Elle ne parle pas des circonstances dans lesquelles son amour pour Nikolaï a vu le jour si facilement, Isa. Elle ne le fait presque jamais. Et, assurément, elle ne le ferait pas avec n’importe qui. Mais, avec elle, elle se sent suffisamment en confiance pour le faire. Elle le fera plus encore si elle peut l’aider à se rendre compte qu’elle ne devrait pas se flageller autant. – D’autant plus que, toi, la seule personne à qui tu fais du mal… C’est toi-même. Ne le fais pas davantage en culpabilisant, s’il-te-plaît. lui demande-t-elle, comme une faveur. Si, au moins, elle n’y arrive pas pour son propre cœur, qu’elle le fasse pour elle. Mais, hélas, la jeune femme sait bien qu’elle ne peut pas contrôler ce qu’elle ressent. Sinon, toute cette conversation n’aurait pas lieu d’être. Elles en viennent à parler d’un autre meilleur ami, celui d’Isabella. Il a vécu la même situation que son interlocutrice. J’le comprends. Je sais que j’pourrais pas gérer ça. Elle a le cœur qui se serre un petit peu. Triste de voir celle qu’elle aime tant se retrouver dans une relation aussi complexe, aussi douloureuse que celle qu’elle a connue. Mais la question de son amie laisse la belle dans le silence quelques secondes. Est-ce qu’il l’a accepté ? Elle a l’impression que si. Est-ce qu’il est passé à autre chose ? Elle ne sait pas. Elle a conscience que l’amour ne peut pas disparaître en quelques semaines seulement. Mais il a l’air plus apaisé, plus… Lui-même. – J’espère que oui. Je… Je t’avoue que je n’ai pas osé en reparler avec lui. Comment le pourrait-elle ? Que pourrait-elle vraiment lui demander ? Il a tout de même l’air plus en paix avec lui-même. Il l’a trouvée, contrairement à Livia qui est encore en plein tourment. Peut-être parce que, entre elle et son meilleur ami, le basculement a déjà eu lieu. Ils ont dépassé le stade de l’amitié, celui qu’Isa a refusé de franchir. Mais, d’après la demoiselle, cela ne donnera pas suite. Ni maintenant, ni jamais. – Il te l’a dit ? demande-t-elle simplement. Besoin de savoir, besoin de comprendre. – Il t’a dit qu’il ne t’aimerait jamais de cette manière ? Qu’il voulait rester uniquement ton ami ? Elle réalise que tout ne finira peut-être pas comme Livia l’aurait mérité. Cela lui fait mal pour elle. Mais, que ce soit le cas ou non, elle a besoin d’être fixée pour avancer enfin. Elle a besoin de savoir si elle doit tourner ce chapitre de sa vie ou tenter d’en écrire encore quelques pages.

♛ Safe with me.

Peut-être que cette conversation ne lui apportera malheureusement pas les réponses qu’elle voudrait, peut-être qu’elle ne sera pas à la hauteur de ses attentes. Mais elle espère, Isabella. Elle espère, qu’au moins, en lui livrant ses peines comme elle le fait avec tant de sincérité, la jeune femme se retrouve libérée un peu de tout ce poids qu’elle doit porter en elle depuis trop longtemps. Taire ses sentiments pour l’homme qu’elle aime, les enfouir au plus profond de son esprit, les oublier devant les femmes qu’il a pu lui faire rencontrer, ou même en l’écoutant se confier à elle, cela doit être tellement difficile. Cela doit être une torture pour son petit cœur qui n’a cessé d’attendre autre chose de ces moments avec lui. La Latina, elle a mal pour elle, profondément, de la savoir dans une telle situation. Mais c’est plus douloureux encore de l’entendre se faire elle-même autant de mal. Se flageller comme elle le fait, se culpabiliser sans hésiter. Elle n’a rien fait de mal, si ce n’est aimer. Pourtant, elle la laisse exprimer tous les sentiments qu’elle a déjà trop fait taire. Elle veut la laisser confier tout ce qu’elle a besoin de confier. Elle veut seulement être là pour elle, comme elles l’ont tant de fois été l’une pour l’autre. Et tenter, aussi, d’apaiser les tourments qui entourent son âme. Mais elle a la tête bien plus dure que le cœur, Livia. Elle reste persuadée d’avoir tout compliqué en dépassant la frontière entre l’amitié et l’amour. Elle en finit même par affirmer que c’est sa spécialité. Son interlocutrice secoue la tête négativement, de gauche à droite, pas du tout d’accord avec elle. – Ce n’est pas vrai du tout. Tu as un cœur immense, un amour tout aussi immense à offrir. C’est la seule chose dont tu peux te penser coupable. affirme-t-elle, la voix la plus persuasive possible. Elle veut lui ouvrir les yeux sur le fait qu’elle n’a absolument rien à se reprocher. – Tu as voulu taire tes sentiments, tu as tenté de garder le rôle de la simple amie, tu t’es même éloignée pour prendre du recul, cela n’a pas fonctionné. Je pense qu’il devait le savoir, Livia. Oui, il le devait. Qu’il veuille la même chose ou non, il le devait. Elle serait peut-être passée à côté d’une belle histoire en gardant la nature véritable de ses sentiments pour elle. Et quand bien même, son amour ne lui semble pas réciproque, elle avait certainement besoin d’en arriver à cette extrémité-là pour espérer, un jour, s’en délivrer enfin. Ni la distance, ni le temps n’ont eu d’effet. Mais savoir ce que son meilleur ami éprouve de son côté, cela ne peut que l’aider à tourner une page qui devient trop lourde à porter. Peut-être qu’elle doit avoir mal, une bonne fois pour toutes, pour aller mieux ensuite. La question se pose pourtant de plus en plus dans l’esprit d’Isabella, celle de savoir ce que cet homme ressent de son côté. Son amie a l’air si persuadée qu’il n’y a aucune chance pour que leur histoire se termine bien mais elle, elle n’en est pas aussi sûre. Livia n’est pas objective, elle ne connaît que ses propres sentiments. Elle n’a sûrement aucune idée de ce qui se passe dans la tête de son meilleur ami, trop occupée à s’en vouloir de l’aimer. La voir souffrir autant n’est pas facile, elle qu’elle aurait voulu pouvoir préserver de tout. Elle se sent si impuissante, Isa. Elle décèle le peu de bien qu’elle arrive à lui procurer mais c’est si faible, à côté de tout ce qu’elle aimerait lui donner. Elle peut l’écouter, elle l’écouterait des heures s’il le fallait, elle la conseille comme elle le peut, elle fait tout pour lui montrer sa présence à ses côtés. Mais elle aurait tant préféré être capable de la protéger. Elle a le cœur serré de sentir le sien si douloureux. – Bien sûr qu’on peut aimer sans souffrir, Liv’. Ce que tu ressens en ce moment doit être la chose la plus difficile à vivre en amour, mais… Crois-moi, il y a tellement de manières différentes d’aimer. Et tu en connaîtras une autre, je peux te l’assurer. Si elle, au cœur aussi bousillé, elle a pu aimer véritablement, ce sera aussi le cas de celle qu’elle considère comme sa sœur. Elle a le cœur trop entier, trop grand, pour cesser d’aimer un jour. Aimer quelqu’un qui saura l’aimer aussi fort en retour. La main de la Latina serre quelques secondes de plus la sienne en poursuivant ses tentatives pour soulager son âme en peine. Elle ne veut pas qu’elle culpabilise, surtout pas, elle doit accepter ses sentiments. Ce serait déjà un premier pas vers la guérison de son cœur. Mais Isa a conscience qu’elle a peut-être besoin de temps, le temps pour encaisser ses propres aveux, avant de penser à nouveau à leur discussion et s’en éclairer. Parfois, c’est bien nécessaire. Cela a été le cas pour Toby qui, après un temps de réflexion et de recul nécessaire, est revenu auprès d’elle. Leur relation n’est plus tout à fait la même, indéniablement, elle a changé. Mais ils ont pu la préserver, ils ont pu la garder. C’était ce dont elle avait le plus peur, Isabella, le perdre complètement. C’est difficile de savoir ce qui peut se passer dans l’esprit de son ami. Elle non plus, elle se verrait mal lui offrir sans détour des confidences sur sa relation avec Nikolaï, pas encore. Ce serait malvenu, ce serait sûrement douloureux aussi. Il reste des non-dits entre eux mais, peu à peu, ils apprennent à renouer. Sortant de ses pensées quand elle entend les paroles à son sujet de Livia, elle y réfléchit pendant un instant. Elle a raison, au fond, ce serait bien plus aisé pour eux s’il rencontrait une autre personne. Mais il est prêtre, Toby. C’est même certainement la nature de ses fonctions qui a poussé la jolie brune à se rapprocher autant d’un homme sans imaginer à quel point leur relation deviendrait complexe. – Est-ce que… Est-ce que tu as essayé, toi ? Rencontrer un autre homme, tenter d’oublier celui qui la hante dans les bras ou simplement dans les sourires d’un autre. Avoir quelqu’un à ses côtés lui ferait sans doute du bien. Mais elle a du mal à imaginer Livia se forcer à nouer avec une autre personne. Pas tant qu’elle l’aura, Lui, dans la tête. C’est pour cette raison qu’elle finit par poser la question qui lui brûle les lèvres, Isa. Elle veut savoir s’ils ont eu une telle conversation, une qu’elle, elle n’avait pas su avoir avec Toby quelques mois plus tôt. Elle veut savoir s’il n’y a vraiment aucune chance pour la sœur que son cœur a choisi d’être avec cet homme qui la chamboule autant. Il lui a dit qu’il allait se marier. Oh. Les lèvres de la jeune femme s’entrouvrent de surprise. C’est violent, en effet, elle n’ose pas même imaginer à quel point cela a dû l’être pour elle. – C’est mal parti s’il l’a déjà trompée avec toi. Aucun jugement dans sa voix. Livia la connaît suffisamment pour savoir qu’elle n’est pas du genre à juger qui que ce soit. Encore moins alors qu’elle a fait bien pire de son côté. C’est juste un constat, véridique, de la part d’une femme qui a vite été infidèle à l’homme qu’elle avait épousé, elle aussi. – Écoute Livia, je pense que… Vous devriez parler. Tu devrais avoir une conversation à cœur ouvert avec lui. Je sais qu’exposer ses sentiments est difficile mais il n’y a qu’ainsi que tu en auras le cœur net, pour enfin pouvoir avancer. Que ce soit positif ou négatif, le résultat final ne pourra que l’aider à avancer. Et elle, sans aucun doute, elle sera là pour la soutenir dans chaque pas qu’elle fera.

♛ Safe with me.

Il n’y a jamais rien eu d’aussi fébrile que l’amour. Elle le sait, Isabella, pour tous les hommes qui ont partagé un bout de son existence sans jamais devenir une véritable partie de sa vie. Elle le sait, pour toutes les fois où elle a essayé, sans jamais y arriver. Les regards qui se détournent, les silhouettes qui se retournent, les jolies jambes d’une inconnue ou le regard incendiaire d’un étranger. Les aléas de la vie, les perditions de chacun, les soucis des uns qui deviennent ceux des autres. Il y a tant de choses qui peuvent séparer ceux qui veulent pourtant s’aimer. Elle n’a jamais cru à un amour éternel. Même aujourd’hui, même avec Nikolaï, elle est incapable de penser qu’ils seront ensemble pour le restant de leur vie. C’est si précaire, la vie. Et l’amour l’est plus encore. Alors, elle le sait, elle. Elle sait que ce n’est pas la faute de Livia. Elle sait que c’est le monde qui est comme ça. Peut-être juste qu’elle est trop bien pour ce monde. Peut-être juste qu’elle n’a pas encore trouvé la personne qui sera à sa hauteur. Mais c’est douloureux, tellement que ça lui serre le cœur.   – Je ne veux pas que tu penses que c’est toi le problème. Tu ne fais rien de travers, tu aimes de tout ton être, tu sais à quel point c’est rare et précieux ? Non, elle ne doit pas savoir. Elle ne doit pas voir l’immensité de son cœur. La richesse qu’elle peut apporter tout autour d’elle. Pas seulement à un homme, mais à tout un chacun. La Latina en a conscience, elle, parce qu’elle est tout le contraire. Parce qu’elle referme si bien son amour que, même l’homme dont elle est folle amoureuse, a pu en douter. Parce qu’elle ne sait pas se donner, pas totalement, pas entièrement. Il y a toujours une partie d’elle qu’elle laisse inaccessible. Livia, le jour où elle aimera quelqu’un qui saura l’aimer en retour, elle le rendra plus heureux qu’il ne l’aura jamais été. C’est, comme, une certitude. Elle la connaît trop bien pour en douter, Isabella. Elle a vu son corps d’enfant devenir celui d’une femme, mais son cœur, lui, est resté empreint de cette pureté. Celle que personne ne saurait égaler. Et tant qu’elle pourra la rassurer, elle le fera. Tant qu’elle pourra lui donner de son amour, elle le fera. C’est ainsi depuis toujours, cela le sera certainement à tout jamais. Car il y a des liens qui ne faiblissent pas, des amitiés indéfectibles, des relations infaillibles. Elle est sa plus vieille amie, Livia. Elle est aussi la seule qui a été préservée durant toutes ces années. C’est aussi pour cette raison qu’elle a tant besoin de lui chasser cette image si erronée. Si fausse qu’elle a d’elle-même. Car ce sont tous ces traits d’elle qu’elle voit avec tant de noirceur qui font qu’elle, elle l’aime autant. Mais ce n’est malheureusement pas suffisant. Elle le sent, la Latina, quand elle l’entend parler de ce meilleur ami qui a toujours fermé les yeux. – Quand bien même il le savait. Peut-être que tu devais te libérer. Peut-être que si tu ne lui en avais jamais parlé, tu n’aurais pas pu te défaire, jamais. C’est sans doute difficile à encaisser. Autant pour Livia que pour leur amitié. Mais les sentiments ne sont pas quelque chose que l’on peut garder en soi. C’est plus facile de les effacer, tenter de les oublier. Pourtant, la vérité, c’est que c’est impossible tant que l’on n’a pas essayé. Quand elle y repense, son propre ami a sans doute souffert de son rejet. Mais cela aurait été pire encore si elle l’avait laissé espérer. Imaginer de loin, sans jamais mettre de mots sur ce qu’ils représentent, ne jamais vraiment parler à cœur ouvert. Et puis, au fond, est-ce qu’ils auraient réellement pu prétendre être amis ? Avec de tels non-dits ? – Cela peut te donner l’impression d’avoir cassé quelque chose dans votre amitié. Mais, crois-moi, c’est toujours mieux que de garder un tel secret enfoui en toi. ajoute-t-elle à son amie de toujours, celle dont elle s’est promis il y a déjà si longtemps de prendre soin. C’est d’autant plus difficile de se sentir aussi impuissante, aussi inutile pour elle. Mais l’amour fait mal, c’est ainsi. Et elle, aussi désireuse qu’elle l’est de vouloir la soutenir et l’épauler, n’a rien d’autre à lui offrir que ses mots. – Ce ne sera pas toujours le cas, tu verras. Il m’a fallu trente ans pour commencer à peine à l’entrevoir, laisse-toi encore quelques années avant de désespérer. tente-t-elle avec un faible sourire en coin, comme pour alléger un peu l’atmosphère et surtout son cœur trop amer.

Trop amère pour tout ce qu’elle a à offrir,
Trop amère pour tout ce qu’elle a à vivre.

Mais elle la connaît, Isa. Elle sait qu’elle a besoin de temps désormais. Du temps pour se remettre, du temps pour accepter, du temps pour à nouveau y croire. Elle ne peut pas accélérer les choses. Pas plus qu’elle n’est capable de se forcer à vivre une histoire à l’eau de rose. Ces mots-là font rire les deux jeunes femmes qui, sur ce point, sont précisément sur la même longueur d’ondes. L’amour n’est pas quelque chose qui se recherche. Les hommes, eux, ne sont pas indispensables pour vivre. C’est quand les sentiments entrent en action que tout peut si facilement basculer. – Je te comprends sur ce point. Mais ne te ferme pas non plus aux rencontres que tu pourrais faire, d’accord ? Ce serait la dernière chose à faire. Se fermer à tous les hommes à cause d’un seul d’entre eux. Un qui, visiblement, avance de son côté. Elle affiche une petite moue perplexe, Isa, avant de boire les dernières gorgées de son verre. Elle se dit que, peut-être, il vaut mieux pour Livia qu’elle reste à distance finalement. Plutôt qu’elle ne se laisse briser par un homme qui ne saurait lui offrir la stabilité dont elle a besoin. L’amour inconditionnel qu’elle mérite. L'idée de parler avec lui ne semble pas beaucoup tenter la jeune femme qui, au contraire, désire tourner cette page. Mais il y a des pages qui refusent d’être tournées tant qu’elles ne sont pas terminées. Et elle n’a pas l’impression que c’est terminé entre eux, Isa. Mais qui est-elle pour le savoir ? Elle est seulement une amie préoccupée qui ne veut que le bonheur de celle qu’elle considère comme sa sœur. – Ça va aller, Liv. Tu es bien plus forte que tu ne le crois. Un petit sourire apparaît sur le visage de l'aînée Cooper. Un sourire un peu triste. Non, le plus important, ce n’est pas elle. Livia, elle aussi, mérite que tout aille bien pour elle. Que l’on cesse de vouloir lui briser les ailes. Sa main qui se pose sur le bras de sa précieuse amie, elle reprend avec un sourire plus léger. – Tu sais quoi, toi et moi, il faudrait qu’on aille un peu s’amuser. Juste entre filles. Et je n’accepte aucun refus : On sort ce soir.