bleus à l'âme. (nana)

je l'ai tué.
sa première phrase bourdonne dans ton crâne. tu tires bien trop fort sur ta cigarette. et tu la regardes pas Nana, t'essayes d'interpréter. parce qu'il y a interprétation n'est-ce pas ? nôtre bébé est mort. c'est le coup fatal. l'ascenseur émotionnel. la colère, puis la tristesse, puis la rage. tout se mélange dans tes veines, comme un véritable poison. et tu le sens s'immiscer petit à petit dans chaque recoin de ton corps, de tes orteils, jusqu'à ta nuque, ton âme, ton cœur. ce cœur qui cesse de battre -t'en est certain- quelques secondes. et y'a les larmes de la femme qui ne cessent de couler, rendant la nouvelle bien trop réelle. t'écrases ta clope, tu passes tes deux mains sur ton visage comme si elles pouvaient te faire remonter le temps, vous faire remonter le temps.
revenir dix ans arrière:
apprendre la nouvelle, t'en réjouir. tenir tes promesses, être à ses côtés à chaque instant. savourer les instants, la découverte du sexe de l'enfant, tenir sa main à la naissance. devenir un meilleur homme.
mais la réalité te rattrappe. la réalité est mauvaise, la réalité est blessante, sanglante. dans cette foutue réalité, t'as rien d'un mec bien et tu fais tout à l'envers. tu casses tout sur ton passage, et t'as foutu en l'air la seule chance que t'avais de devenir père. dans ta réalité, la femme que tu as aimé est comme coupée en deux. morte à moitié, comment ne le serait-elle pas. et tu viens de la rejoindre dans cette tombe à votre image. et tu restes immobile, incapable de parler. y'a pas de larmes qui coulent sur ton visage, y'a juste la désillusion. tu étais père. tu ne l'es plus. la tristesse elle, est emportée par la rage qui s'affirme et tu voudrai frapper du poing contre le mur, retourner la table basse, hurler jusqu'à n'en plus pouvoir. mais y'a Nana qui sanglote, et tu te laisses glisser jusqu'à elle. tes doigts qui passent dans ses cheveux courts, s'y accrochent. t'as jamais su réconforter quiconque, mais t'as toujours su être fort pour les autres. jetant aux oubliettes certaines de tes émotions. alors tu caresses ses cheveux avec force, ta main redescend dans sa nuque, entre ses omoplates, dans le bas de son dos. et tu répètes le manège autant de fois que nécéssaire. tes yeux rivés sur un point fixe contre le mur. tes doigts s'attardent dans sa nuque quand tu trouves la force d'ouvrir la bouche. tu ne l'as pas tué. assures-tu. ce n'est pas de ta faute. c'est de la mienne. tu aurais du me le dire, j'aurai du être là. tu grognes presque. je suis désolé. tu souffles fortement. t'essaie de garder la tête froide, de vivre tes émotions à l'intérieur. et c'est une véritable tempête, un tsunami qui emporte tout sur ton passage, qui détruit tout ce que tu as construit jusque là, qui remet tout en question. t'as le cœur qui tambourine bien trop fort. pourtant t'es comme mort en dedans.

il y a de l'injustice dans ce qui est en train de se passer.
une injustice qui te dépasse. tu n'étais là non, et elle prend le temps de le souligner une nouvelle fois. et tu soupires, presque lassé de la situation. ta main n'a pas cessé son manège. ce n'est que lorsqu'elle se redresse que tu reposes cette main sur ta cuisse. tu n'arrives toujours pas à la regarder dans les yeux. tu en es incapable, tu aurais trop peur de craquer. de voir la peine trop immensse au fond de ses pupilles. j'étais ... tu sais très bien où je me trouvais, je te l'ai déjà dit. et je suis sûr que tu le savais, mais la question n'est pas là aujourd'hui. en quelques jours ta fille est née, et maintenant la voilà relégué au statut de fantôme. tu n'auras jamais la chance de la tenir dans tes bras, de voir son sourire, d'entendre son rire. alors tu passes une main à l'arrière de ton crâne. et Nana elle ouvre de nouveau la bouche, elle t'indique la date de la naissance. et tu secoues la tête de gauche à droite, elle aurait neuf ans, si tes calculs sont bons. elle serait surement heureuse. mais elle ne le sera jamais. ou du moins, vous ne le verrez jamais. ton regard se pose enfin sur la femme, sur ses yeux rougis par les larmes alors que les tiens sont plus secs que le sahara. t'as le visage fermé, presque froid, mais tu ne sais pas faire autrement. hum. neuf ans... ce serait son âge. tu fermes les yeux pour reprendre ta respiration, puis tu les ouvres. Nana a déjà finit le verre de whiky qui se trouvait encore sur la table. et toi c'est à la bouteille que tu t'attaques. une longue gorgée, qui en annonce beaucoup d'autres.
je ... je crois qu'il vaudrait mieux que tu t'en ailles, Nana. j'ai pas envie que tu me vois dans cet état. j'ai pas envie, d'exploser devan toi. tu sais que ce ne sera pas beau à voir, t'as peur que ce soit bien trop sanglant, desobligeant. alors tu te redresses, et tu attrapes sa main pour qu'elle en fasse de même. elle met le temps, elle gribouille quelques mots sur un papier qu'elle abandonne sur la table. je suis désolé. il faut que ... que je reste seul, un moment. pour toujours. et tu veux t'assurer qu'elle quitte bien l'appartement, tout de suite, tu n'es pas prêt à affronter d'autres paroles, d'autres éclats. c'est le coeur à jamais serré que tu la regardes franchir la porte.