retenir ses coups (raphael)

01/ Le macadam sale de la rue, c’est là que tout a commencé. Enfant terrible traînant des pieds et des mains dans des magouilles aux limites floues pour se faire un nom parmis les grands. Enfant oublié par un système qui l’a trop longtemps ignoré, échoué dans les quartiers de ses sauveurs aux aspects dérangés, pas sains, pas biens. Des morveux pour la société qui pourtant les a mené à l’abbatoire, les poussant dans leurs retranchements pour transformer ces gosses en parias. “Trop dur” que de s’occuper de gamins sans espoirs qui briguent leur éden dans le mal parce qu’on leur a pas appris à faire les choses comme il faut, à aimer sans haïr, à parler sans frapper. “Trop dur” que de les aider alors qu’ils font tout pour les repousser. Les beaux discours des politiciens, les associations pour encadrer les “jeunes délinquants” mais qui servent à rien sinon les rapprocher un peu plus d’une vérité qui dégoûte : ils seront toujours seuls parce que personne ne cherchera jamais à les comprendre. Raf il observe cette putain de pièce de théâtre du haut de son perchoir, la gueule hautaine, les pieds dans l’vide, la vodka dans la main droite et l’autre, poing fermé contenant la haine qui lui brûle les entrailles, anime sa vie d’un feu de violence insondable. Il aurait voulu être écrivain, journaliste, faire bouger l’cul de ces ingrats et leur montrer c’que c’est vraiment “la vie en bas”, les fracasser à la réalité de la vie et aux droits du pauvre qui résonnent creux. Mais qui voudrait d’la gueule d’un basané pas net dans son bureau? Alors il a décidé de pas se laisser faire à sa façon, hurle les maux par ses phalanges forgées dans le béton, explose les chairs qui lui reviennent pas, humilie les fils de riche à coup de métal froid de son canon contre leurs tempes : petits pantins qu’il aime manipuler, leur faire comprendre qu’il n’y aura que lui pour faire loi, qu’il peut aussi jouer avec leur vie entre ses doigts. Parce que Raf, il sait qu'au fond c'est pas lui le méchant.
02/ Ava. Berceuse dans les nuits noires, éclat mélodieux dans les ténèbres qui fait aller de sa voix pour apaiser les fureurs d’un frère trop violent. Beauté gracile aux démons enfouis derrière un joli sourire comme pour dire “allez vous faire foutre, j’suis assez forte”. Ava. Pilier d’un Raphaël qui n’a toujours eu qu’elle, elle n’a toujours eu que lui. Eux deux contre le monde, sans mauvaise disquette. Un lien indéfectible, intense, qu’on ne comprend pas toujours, une seule et même âme en deux corps distincts mais d’un sang identique brûlant aussi fort que les astres. Ils ne se sont jamais quittés, gamins, alors que le système tentait, en vain, de rompre leur lien. Raff en enfant trop turbulent, tapageur, à l’influence nocive sur une petite princesse sans famille, heurtée par la violence d’un frère qui n’a toujours connu que ses poings pour parler. Mais jamais avec elle, trésor fragile à protéger pour pas qu’elle se fasse avilir par les démons de la nuit, chiens de faillance qui hésitaient pas à lorgner sur ses jolies courbes quand elle était pas en présence de son frère. Et comme ça se passe jamais comme on veut, Raf n’a pas eu le choix que de commettre l’irréparable pour laver l’âme souillée de sa princesse aux yeux brisés. Il était pas censé rentrer ce soir là, mais il avait perdu une course et il était pas d’humeur à s’exploser les sens dans les bars, préférait davantage profiter de la présence de sa moitié qu’il avait interdit de sortir parce qu’il était pas là pour la surveiller. Dès lors qu’il pénétra dans l’appartement bizarrement mouvementé, son cœur se serra étrangement, les sens en alerte d’une mauvaise intuition. Puis il l’a vue, sa petite sœur en pétasse dépravée, violentée, hurlant à son frère qu’un fils de pute avait osé lui faire du tort, osé toucher à la seule chose qui a de l’importance dans les opales froides du colombien. Il l’a retrouvé peu de temps après, traînant des pieds dans un parc aux heures où les gens dorment, aux heures où on fait la justice sois même. Il a rien dit, l’colombien, il a juste frappé, frappé, jusqu’à ce que sa victime s’pisse dessus, hurle, puis plus rien. Il a compris qu’il respirait plus, que ce qu’il venait de faire n’avait en rien apaiser son cœur et son âme bancale mais qu’il l’avait offert à de nouveaux démons. La victime a été transportée en ambulance mais est décédée suite aux coups de violences d’un Raphael terrorisé, les poignets liés et la gueule à l’arrière d’un combi, la fierté pourtant indélébile d'un frère qui aura défendu l'honneur de sa sœur jusqu'au bout.
03/ Trois années à tourner en rond, à mater les tâches d’humidité sur le plafond d’une cage en fer détestable. Trois putains d’années gâchées à rien faire de plus constructif que de s’en sortir avec plus de rage, plus d’emmerdes. Raf n’a pas vraiment retenu la leçon depuis sa sortie, davantage poussé par une colère refoulée en son cœur depuis trop longtemps, à subir les aléas d’une vie de taulard, la discrimination, les menaces et coup de pressions. Mais Raphaël et sa belle gueule de connard ont vite réussi à se faire une place dans la cours, toujours dans les bons plans, les magouilles et un pseudo honneur de détenus qui lui apporte faveur encore aujourd’hui, quand ses emmerdes le tirent par le col et tentent de lui faire plier les genoux. C’est dans sa cellule trop étroite qu’il a rencontré son taré, ce qui se rapproche le plus de la figure de meilleur ami malgré leur fâcheuse tendance à se prendre la tête pour des conneries, âmes tempêtes qui foutent le feu dès lors qu’ils foulent les rues du Queens, l’arrogance équivoque si ce n’est l’hyperactivité harassante de son ami lorsque Raf, lui, fait plutôt figure de force tranquille - et cassante. Le colombien est monté en réclusion quelques mois avant ce qui allait bientôt devenir son pote, avait eu le temps de prendre ses marques avant de porter son intérêt sur le nouveau, petit délinquant à l’âme aussi échouée que tous ceux qui avaient la gueule en taule et pourtant la même arrogance qui déliait un sourire de salaud. Ils se sont alliés rapidement pour survivre chez les féroces, Raf en bon enseignant qui passait le temps en lui donnant des cours de self-défense, l’autre lui renseignant les combines pour escroquer les pigeons sans se faire prendre - ce qui ne l’avait pas empêché de finir en taule, d’ailleurs. Raphaël n’a eu véritablement que lui pendant un peu plus de deux ans, sa princesse trop abîmée que pour rendre visite à un meurtrier, chat sauvage préférant papillonner sur les asphaltes que de se brûler le cœur à voir son frère aux mains entravées par le malheur. Alors elle a fuit, le laissant seul et terrorisé face à l’inconnu : la vie sans elle. Il a eu beaucoup de mal à s’y faire avant l’arrivée de cet ami qui lui a permis de pas perdre pied, en quelque sorte, de se concentrer sur autre chose que les maux poison à la simple évocation de sa moitié disparue. Alors ils se sont pas lâchés, pas une seule fois même à leur sortie, prêts à faire trembler la nuit.
04/ Aujourd’hui, le vent siffle son nom. La rue dans la peau, sa maison depuis toujours, il foule le macadam à l’image d’un chez lui, le sourire conquérant, s’éprend à faire cavalier seul parce qu’il ne tolère pas grand monde depuis sa sortie, ou encore épris à briser le coeur des jolies fille qu’il aime voir pleurer. Comme s’il compensait la présence féminine de sa soeur envolée, mais qu’aucune de ces salopes ne parvint à égaler. Raf n’a jamais eu de relation saine, constamment destructrices, tortueuses et fracassées. Son coeur est incapable d’aimer  purement, simplement, de toute son âme sans cris ni violence, préfère davantage brûler ses chairs au contact des Vénus ardentes dès lors qu’il embrume ses sens éreintés par les excès. Parce que sobre, le salaud est pas doué. Cinglant, moqueur, arrogant, y’a que sa belle gueule pour le sauver de la nocivité de son âme, farouche et révoltée. Il sait plus comment s’y prendre, Raf, après trois années à côtoyer la testostérone, seuls culs qu’il pouvait voir dans les douches communes. Rien de très attirant pour un hétéro revendiqué qui aurait tout donné pour revoir même un bout de téton dépasser d’un soutien-gorge et pas les jolies images des magazines qui circulaient entre ces foutus murs de béton étouffants. Au contraire de fournir un simple effort pour canaliser son comportement de parfait connard, le colombien préfère de loin se dire qu’une nana craquera suffisamment sur sa belle gueule pour qu’il puisse tirer son coup et se casser avant qu’elle ne lui demande s’il se souvient au moins de son prénom. Et si une déesse ose le repousser, il se fera une joie de se trouver partout ou elle ira, jusqu'à ce que lui en décide autrement. Raf, il accepte pas les défaites.
05/ L’asphalte brûle sous le volant vindicatif d’un archange avide de vitesse. Les coups de freins à main précis entre deux jolis bolides, le bruit des moteurs hurlant dans ses tympans habitués. Raf aime frôler le danger du bout de ses phalanges destructrices, flirter avec les limites du raisonnable dès lors qu’il presse la pédale d’accélérateur de sa Camaro de 68, petit bijoux avec lequel il a presque toujours concouru depuis qu’elle lui a été cédée sous les astres victorieux. La mémoire intacte de ce jour où son épiderme ardente tremblait encore de son combat, le palpitant imprimé dans la gorge à l’odeur d’essence et les oreilles bourdonnantes de cris victorieux, foule autour de sa caisse pour saluer le nouveau gagnant. Il avait bon, l’salaud, entouré des plus jolies putes, des plus belles caisses, si bien qu’il a toujours tout fait pour gravir les échelons assez vite, quitte à faucher quelques caisses et les envoyer retaper les façades des bâtiments. Il est plutôt tranquille d'apparence mais tend à devenir démon lorsqu’il anime ses nuits de coups de volants et de moteurs furieux, pas mauvais joueur, juste obsédé de la victoire, refuse de voir ses prestations se solder par un putain d’échec. Le beau connard excelle également dans la violence des poings qui se fracassent, les pommettes qui s’éclatent, adonise les combats clandestins pour entretenir la rage au ventre qui brûle lentement ses entrailles bouffées par la hargne, brise les genoux des caïds pour mieux se sentir en vie. Y’a que les coups qui pourraient le faire vaciller, mais il aime ça, Raf, il aime sentir l’odeur de son sang qui abîme ses lèvres, repeint le sol d’une belle couleur carmin. ça l’rend fou. plus que d’emblée. Et l’colombien, il a jamais su taper aussi bien qu’avec ses poings, il a jamais eu autant envie d’baiser qu’après un combat, lorsque son corps entier vibre sous l’effet de la vie qui lui glisse à l’oreille que le type plus fort que lui sera celui qui le tuera. Putain, qu’est-ce qu’il aime ça.