A l'arrêt de bus, tôt le matin, se trouvait seulement une femme qui avait l'air de s'être donné du mal pour paraître « normale », mais on sentait... on le sentait que les transports en communs, ce n'était pas son truc. Et c'était la vérité, les transports en communs, ce n'était pas son truc. Elle était à l'arrêt de bus pour une toute autre raison que de se rendre d'un point A à un point B, elle était là, pour rencontrer quelqu'un.
Elle croisa les bras, lançant régulièrement des coups d'oeil vers le grillage d'un parc à à peine un mètre derrière elle, sur lequel s'accrochait une petite fille pour s'amuser, puis, elle regardait à droite, puis à gauche, attendant la venu d'une personne qui ne tarda pas à arriver.
Un homme, avec une allure négligée et une barbe de cinq jours.
Il était habillé comme les joggeurs du petit matin, à la différence qu'il donnait l'air de tout sauf d'avoir couru. Il s'assit sur le banc en ferraille de l'arrêt de bus et lança, tout haut.
- Est-ce que... Est-ce que c'est elle ?Sa voix tremblait, remplie d'une émotion qu'on ne pouvait clairement identifier. La femme se mordit la lèvre et se dirigea vers l'enfant qui escaladait le grillage avec obstination. Elle la prit dans ses bras pour l'amener juste devant l'homme à la barbe de cinq jours.
- Oui... C'est elle.Elle retenait des larmes, ça s'entendait. Elle et l'homme se regardèrent un instant dans le blanc des yeux avant de tourner leur regard sur la petite fille en même temps. Celle-ci restait cachée derrière les jambes de sa mère. L'homme n'avait pas l'air de savoir quoi faire, il se contenta de demander :
- Comment... Comment elle s'appelle ?Elle hésita un long moment avant de déclarer :
- Robyn. Elle s'appelle Robyn.Elle lui avait donné le prénom qu'il avait choisi. Il fondit en larmes. Des larmes qui coulaient à l'infini. Des reniflements. Pas de mouchoirs.
La petite fille sortit enfin de derrière les jambes de sa mère. Elle fouilla au fin fond de l'unique poche située sur le devant de sa robe, et en sortit un petit mouchoir blanc qui avait été mis là par sa mère pour le cas où elle aurait eu le nez qui coule ; mais les événements avaient fait que ce monsieur eut l'air d'en avoir plus besoin qu'elle, c'est pourquoi elle le lui tendit de sa minuscule main.
Il pleura de plus belle. Il se dit qu'elle ressemblait à sa mère.
Il saisit le mouchoir avant de regarder cet ange de petite fille qui lui tapota la jambe pour le consoler. Il la serra si fort dans ses bras qu'il aurait pu l'étouffer. La femme, quant à elle, observait la scène, émue mais ne faisant ressortir que sa façade froide. Cet étreinte, annonçait qu'une seule chose.
- Tu pars, c'est ça ?Il garda le silence, relâchant la petite fille qui essuya les manches de sa robe sur laquelle avait coulé la morve du monsieur à la barbe de cinq jours. Celui-ci se releva dans une grande inspiration.
- Ton mari... Il prend soin d'elle pas vrai ? Il va lui offrir la vie qu'elle mérite pas vrai ?Elle hocha la tête avant de ramener sa fille vers elle.
- Tant mieux.Il renifla un grand coup avant de se retourner et de courir sur place comme pour s'échauffer avant de faire un jogging.
- Je ne t'embêterai plus. Je ne vous embêterai plus.Et il s'éloigna en trottinant, sans jeter un regard en arrière. La petite fille leva sa main et l'agita en criant :
- A-REUH-VOIR.Il fit du surplace un instant après ces mots, avant de s'éloigner pour de bon.
Le bus passa, elles ne montèrent pas à son bord. Une voiture noire de l'autre côté de la rue les attendait.
* * *
Famille heureuse. Famille aisée. Famille parfaite. Pour beaucoup, famille rêvée.
Robyn n'avait jamais manqué de rien. Sa mère et son père avaient toujours été là pour lui donner tout ce dont elle avait besoin et même au-delà. Les problèmes financiers ? Inconnus au bataillon. Son père, hommes d'affaires, n'avait pas laissé la crise s'installer dans leur foyer.
Jamais.
Il voulait que sa famille vive le mieux possible. Et surtout, il voulait que sa fille vive le mieux possible.
A vrai dire, il se donnait corps et âme pour elle car il avait sans cesse l'impression qu'il n'en faisait jamais assez. Peut-être car elle n'était pas sa fille biologique, pensait-il avoir quelque chose à prouver ? Robyn, de son côté, avait toujours su qu'elle et lui n'étaient pas liés par le sang, et pourtant, cela ne l'avait pas empêchée de le considérer ni plus ni moins comme son père. S'il ne se sentait pas comme tel, le problème venait de lui, pas d'elle.
Elle grandit donc dans un milieu confortable, et commença très vite à s'intéresser à tout ce qui touchait à l'art. Le dessin, la peinture, la sculpture étaient ses domaines de prédilections. Elle aimait autant y toucher qu'apprendre les dates des différentes mouvements artistiques et analyser les œuvres d'artistes emblématiques. C'était donc tout naturellement qu'elle s'était orientée vers des études d'histoire de l'art, sous les applaudissements et encouragements de ses parents. Bien évidemment.
Sa majorité atteinte, elle prit son envol.
Son propre appartement, sa vie d'étudiante banale. Le tout saupoudré d'une aide constante de ses parents, car selon eux, petite princesse ne saurait se débrouiller toute seule. Sauf qu'ils ne savaient pas que petite princesse menait déjà une vie de débrouille derrière son apparence propre sur elle. La faute à ses fréquentations ou la faute à elle-même ? Peut-être un peu des deux.
Quelques fois, songeait-elle à agir comme l'inconnu de l'arrêt de bus, à tourner les talons et à s'éloigner, laissant ses parents derrière. Pas car elle ne les aimait plus, pas car elle ne voulait plus les voir.
Seulement pour vivre. Elle, en tête à tête avec la vie. Seulement pour vivre.