trois homme et un braquage (baz&rim)

T’observe les fissures au plafond, l'oeil grand ouvert. Il y a la lueur de ton réveil qui indique quatre heures du matin. Tu devrais dormir. Ne t'y arrive pas. Parce que t’arrive pas à croire que tu’es aussi prêt de ce grand projet, t’arrive pas à croire que ça va arriver. T’y a tant rêvé à ton coup, ton gros coup qui t’assurerait un départ imminent de la grosse pomme. Quitter la ville. Quitter les USA. Prendre tes quelques bagages, emmener Staz avec toi et te barrer loin d’ici, du froid glaçant de l’hiver, de la pollution du quotidien, de toutes les emmerdes. De m'man aussi. Parce que tu sais qu’elle sortira jamais, qu’elle reviendra jamais. Et puis à quoi bon ? Qu’est-ce qu'elle foutrait dehors elle qui vient de passer les dix dernières années de sa vie derrière les barreaux. Tu’n'as aucune envie de t’occuper d’elle, de l’accueillir dans ta coloc, de lui faire une place dans ta chambre. Gosse ingrat. Peut-être bien que tu lui enverras une carte postale à m'man, quand t’aura refait ta vie loin d’ici, Cuba, Hawaii, Mexico, peu importe, tu signeras « merci m'man, grâce à toi on a pu s’en sortir ». Enfin grâce à son absence, parce qu'au fond ta mère ta jamais rien appris, jamais rien inculquer. À par le fait de ne rien espérer des autres. Et surtout pas d’elle.
T’en parlera peut-être à Staz, de ton gros coup, de ton braquage, de votre fuite au soleil, tu sais pas, tu veux pas qu’elle s’inquiète, tu veux pas qu’elle te dissuade au dernier moment, tu veux pas qu’elle s’en mêlent non plus. Tu veux pas non plus lui attirer des ennuis si jamais ça devait mal tourner, si jamais tu devais te faire coffrer et croupir derrière les barreaux. Tu lui diras pas. Vaut mieux qu’elle en sache le moins possible finalement. Et ça te sert un peu le cœur d’imaginer lui mentir, lui cacher quelques choses d’aussi grand, d’aussi gros.

Tu t’assois dans ton lit, observe un moment les minutes qui défilent, te lèves enfin pour faire le tour de ton lit, te planter devant la fenêtre. En dessous y'a l’agitation de la ville, cette ville qui ne dort jamais, les aller et venu des voitures même en pleine nuit. Le contraste avec le silence de ta chambre te semble amusant, et tu te surprends à sourire tout en faisant glisser une clope entre tes lèvres. Le soleil se lèvera quelques heures plus tard, te laissant comateux sur le bord de ton lit. T’avais rendez-vous aujourd’hui. Avec Baz. Et cet autre gars que tu ne connaissais pas encore. Baz t’avait dit qu’il était fiable. Et surtout qu’il s’y connaissait. C’était son domaine, et même s’il avait terminé son dernier braquage derrière les barreaux, tu ne pouvais décidément pas te passer de lui. Vous vous étiez donné rendez-vous dans un café d’une rue commerçante, le genre de coin qui passe inaperçu. Tu arrive le premier, t’installe autour de la table, un Pepsi devant toi. Ton téléphone posé sur la table se met à vibrer, un appel. Babi. Tu décroches pas. Rejette l’appel, tapote sur l’écran pour lui dire que tu la rappelleras après. À elle non plus ras diras rien. À peu près pour les mêmes raisons qu’avec Staz. Peut-être aussi parce que tu n'as pas une confiance aveugle envers elle.

ça réveille de vieux démons, pourtant pas si vieux que ça. tu sais faire, c'est ce que t'as dit à vince, pour l'impressionner, sûrement, mais aussi parce que tu connais ton boulot. sale cafard rampant dans les bas-fonds, c'était pas un dealer qui allait t'apprendre à braquer. enfin c'est ce que tu te dis, en bombant le torse, en déliant les langues, en arnaquant des plus grands. au fond, quand tu montes des coups tordus, y'a toujours ton coeur qui bat trop fort au fond de ta poitrine.
pourtant t'as dit oui. tout de suite. tu sais toujours pas pourquoi. l'appât du gain, sans doute, l'idée de ne pas être seul dans un plan foireux, ensuite. et t'as l'expérience, malgré une fin tragique. alors que tu marches, tes ongles s'enfoncent dans tes paumes. tu penses à rev. plus jamais. tu te laisseras lus jamais distraire. la prochaine balle perdue, elle sera ni pour vince, ni pour toi, ni pour les autres car vous ne serez pas seuls dans le coup. t'espères qu'il y aura une fille bonne.
c'est la capuche baissée sur le front que tu rentres dans le café. peut être pas le meilleur endroit pour parler de tirer sur des gens et de voler du fric, mais t'as rien dit, de peur d'être rayé de la liste dès le début. le brouhaha ambiant te fait changer d'avis: même vos voisins de table n'entendront rien de vos murmures. ça le fera. t'as pas le choix.
tu t'assois à côté de vince, ton épaule qui donne un coup à la sienne. "salut tête de noeud!" il sait que c'est affectueux. tes ongles qui tapotent nerveusement sur le bois ciré et un peu gras de la table mal nettoyée, le pepsi que tu voles, pas le temps de porter le verre à tes lèvres qu'un taquet s'abat derrière ta tête, pour faire taper le verre contre tes dents. "aïe! mais ça va pas?" tu reposes la boisson, combat perdu, pas abandonné. un soupir alors que tu te permets d'enlever ta capuche et de regarder autour de toi. "bon, tu vas m'dire qui t'as invité à la fête ou on utilise des noms de code à la ocean's 12?" et avant que vince ait pu te répondre, avec ses mots cinglants et sa voix plus grave que la tienne (comme si c'était pas assez évident que tu sois toujours puceau), la porte s'ouvre.
au début, tu ne remarques rien. trop de monde dans la pièce, trop de rires et de gens à ignorer. puis tu reconnais. les yeux bleus. les cheveux blonds. et l'air d'avoir pris vingt ans d'un coup.
merde.
"MERDE!"
discret baz, bravo.
premier réflexe, absurde, étrange. tu te jettes sous la table comme surpris par un tremblement de terre, en te cognant le front au passage. "J'SUIS PAS LA!" mais putain,
merde,
merde,
merde,
tout mais pas ça.