Sous le masque de la complexité, la simplicité se questionne.

traits de caractère / Elle souffle le chaud, Inès, et le froid, Silene. Elle est l'ombre et la lumière, elle est la belle et la bête. On pourrait la nommer double face. La poupée et la droguée. Elle s'y perd parfois. La hargneuse et la disloquée. Elle dessine les arabesques à son bon vouloir, elle se modèle à son interlocuteur. Elle a du mal à accepter que ces deux demoiselles sont finalement une, qu'elle est aussi forte que la dune et fragile comme le cristal. Elle est fissurée alors elle a appris à se protéger pour ne pas se briser.

Silene, c'est le visage de poupée, l'aspect juvénile qu'on peut croiser à la sortie du lycée. C'est la gamine qu'on ne prend pas vraiment au sérieux, celle dont les innocents traits nous hurlent de lui donner toute confiance. Elle est jeune de physique, Silene, mais son esprit a pris des années dans la gueule. Plus intelligente qu'on ne le pense, beaucoup plus manipulatrice qu'elle ne le laisse paraître. Son petit univers, elle le fait tourner à sa manière. Elle est la patronne, elle croit l'être, elle le veut. Elle s'impose à sa manière, elle creuse son trou dans celui de l'ennemi, met de côté l'ami. Elle n'aime pas l'attachement parce qu'elle craint le revers de médaille. Elle reste pourtant humaine, comment est-ce que c'est possible de faire autrement?

Silene, elle est un peu perchée. Tête bien remplie penchée sur le côté. Elle s'esquinte, elle consomme parfois un peu trop. On le devine à ses pupilles qui remplissent trop ses iris, on le devine à son sourire qui résonne dans la gosse comme un faux semblant, une niaiserie. Elle s'épuise dans les bras des inconnus, elle s'use sous les mains masculines comme féminines mais elle s'en fou. Elle s'en fou parce qu'elle sait ce qu'elle fait, parce qu'elle sait ce qu'elle veut. Elle n'est pas là pour rire, s'amuser et y prendre du plaisir. Elle donne tout pour tout reprendre. Elle se fait indispensable pour imposer ce qu'elle veut. Le jouet devient joueur. Elle feinte beaucoup, joue du faux pour obtenir le vrai. Elle laisse croire qu'on peut la manipuler du bout des doigts mais la finalité sonne comme elle l'a décidé.

L'ambition en bout de course, le besoin de retrouver la couronne qu'elle a perdu parce qu'elle a trop usé de son pouvoir si durement obtenu. Certains prennent le taureau par les cornes. Silene c'est tout le troupeau qu'elle veut mener. Une main de fer dans un gant de velours. Reine déchue mais battante, elle ne lâchera pas l'affaire parce qu'elle est comme ça Silene, elle préfère crever honorable que de courber l'échine et laisser le destin décider.

Le parapluie s'envolait. Il obligeait une voiture à s'arrêter. Elle aurait pu l'écraser et continuer sa route. Il filait plus loin, le parapluie, mais la voiture ne repartait pas. Le passager avait sorti son téléphone, le conducteur aussi. L'un filmait la scène, probablement en direct sur les réseaux sociaux, l'autre appelait les urgences. La pluie continuait de tomber. Des passants couraient pour s'abriter, d'autres marchaient, protégés par une toile tendue ou par des vêtements imperméables. Ce n'était pas le cas d'Inès et pourtant elle ne bougeait pas. Aucun de ses muscles ne semblait répondre aux demandes de ses neurones. Casses-toi, ne reste pas là! Le danger la guettait, il la guettera toujours parce qu'elle ne savait pas s'en passer. Poupée bornée! Mais le cœur était plus fort que la raison. Alors elle restait là, sous la pluie. Elle restait là, trempée jusqu'aux os. Sous le réverbère de la ville, la lumière se diffusait dans les gouttes d'eau. Des faisceaux lumineux semblaient leur tomber dessus, mettaient en exergue le carmine qui s'échappait dans le caniveau, qui tâchait ses vêtements. Elle aurait voulu crier, elle aurait voulu hurler. Cette peine soudaine, cette tristesse accablante, cette colère qui lui bouffait les reins et les hanches. Elle en était pourtant incapable. Elle restait juste près de lui, une main sur le visage de Marco qui reposait sur ses genoux, l'autre en compression inutile sur l'impact de balle. Son propre corps protégeait la figure de l’ébène bouclé qui la regardait et peinait à articuler ces quelques mots. « Va-t'en, je t'en prie, va-t'en. »

Tout avait été vite, trop vite. Quelques heures avant, ils se chamaillaient gentiment pour mieux se retrouver dans un baiser d'adolescents. Quelques minutes avant, ils riaient. Quelques secondes avant, il l'avait aperçu et s'était mis en avant. Il s'était placé en bouclier quand l'arme avait été pointée. Une balle. Une seule. Elle n'était pas destinée pour lui. Dans l'euphorie, ils s'étaient sûrement dit que la vengeance serait remise à plus tard, qu'en attendant elle souffrirait de son départ. Elle avait joué avec plus grand qu'elle, Inès. Elle avait perdu.

Elle perdait encore. Elle s'éteignait, l'étincelle dans ses émeraudes qu'elle avait tant aimé. Elle s'en allait, la vie dans ses entrailles qui s'étaient tordues d'amour pour elle. Les paupières de la brune se fermaient d'une culpabilité qu'elle serait incapable d'effacer. Les perles salées se mêlaient à la pluie et la tension de son corps se relâchait. Elle se laissait presque tomber mollement sur le trottoir. Ses genoux lui faisaient mal de l'appui contre le bitume mais ils avaient encore la force de la traîner contre le mur derrière elle. Assise à même le sol, non loin du corps de Marco, elle pleurait quand dans ses iris se reflétaient la lumière bleue des premiers secours devenus inutiles. Ils essayaient de le réanimer mais la balle avait trop bien trouvé sa cible. En quelques minutes, il s'était vidé de son sang. C'était fini et ça faisait un mal de chien. Ce drap blanc qu'ils avaient étendu sur lui, ce n'était pas celui de la paix, encore moins celui de la trêve. Elle avait, au contraire, la sensation que tout venait de commencer quand la vie de Marco s'était arrêtée.

Elle perdait tout. Les médecins l'avaient cherché, comme premier témoin de ce qui s'était passé. Les flics l'avaient naturellement suspectée parce qu'elle avait disparue. La réalité voulait qu'Inès était morte avec Marco. Inès n'était plus, on ne la reverrait plus. La jolie brune avait troqué sa couleur pour une pâle blondeur. Elle avait abandonné son nom sur les trottoir de New York, son prénom dans le cœur éteint de Marco. Silene Rowe naissait des cendres de celui qu'elle avait aimé. Elle s'était échappée, avait lâchement fuit. Elle l'avait laissé sur le trottoir, toute sa vie et son envie d'aimer avec. Ça faisait trop mal de perdre alors elle était décidée. Décidée à gagner quoi qu'il puisse lui en coûter. Elle avait tout changé, tout caché aux yeux du monde. Elle n'était plus que Silene la prostituée, Silene la flexible manipulatrice. Seul l'éclat de ses pupilles n'avait pas changé, toujours animé par la même envie. Il brillait d'une nouvelle monarchie sur laquelle régner quand il croisait de toute sa franchise le bleuté des iris de Sly.