from distant sky (agustín)

01/ Ce monde n'est pas le mien. Les secrets. La violence. Je n'ai rien demandé de tout ça. Je n'ai toujours fait que fermer les yeux. Oublier quelques secondes en espérant qu'en les rouvrant, j'aurais la même vie que les autres garçons de mon âge. Mais ils étaient toujours là. Des êtres qui font peur. Des promesses que rien ne m'arriverait du moment que je m'appelais Flores. Mais je ne voulais pas de ce nom. Je voulais me perdre dans la masse. N'être qu'Agustín, ce gamin plus à l'aise à dévaler les rues sur sa planche qu'à assister à des réunions dont je préférais ne rien savoir. Mais il fallait me préparer. Me familiariser avec ce métier. Métier. Si on pouvait appeler ça ainsi. J'avais fui dès que j'avais pu. Assez de talent ou de chance pour qu'on m'offre l'opportunité de montrer ce que j e savais faire sur un skate loin du Queens. Ce n'était du goût de personne à part du mien. Peut-être qu'elle aurait accepté. Je ne saurais jamais. J'étais jeune et je pouvais être qui je voulais. Une jolie gueule qui savait voler plus haut. Rouler plus vite. Faire des tricks plus propres. C'était mon échappatoire. J'étais obligé d'être meilleur. Je ne pouvais pas revenir. 02/ Seulement ils étaient tous là. Ici. Un père qui attendait que tous ses enfants l'entourent, qu'ils soient d'accord ou non avec ses occupations. Des frères bien plus exemplaires que moi, qui savaient se plier aux règles parce qu'ils comptaient bien profiter du pouvoir et de l'argent que papa pouvait leur procurer. Et il y avait mon rayon de soleil. La dernière de la famille. Le portrait craché de cette mère qui nous avait été arrachée trop tôt. Elle nous avait fait ce dernier cadeau avant de partir. Ma Lola. Mon aimant à travers les continents. J'étais irrémédiablement rappelé à elle. Et à eux, que je l'avoue ou non. 03/ Je ne parle jamais de qui je suis, d'où je viens. Même si mon coeur bat pour ma famille, elle n'existe jamais dans mes histoires. Dans le Queens ou ailleurs, je suis un inconnu. Agustín ou tout autre prénom qu'il me plaira d'avoir à cet instant. Je fantasme d'être un autre. Un jeune écrivain un jour. Un petit génie de l'informatique le suivant. J'ai le talent d'être cru. Ou les gens ont le talent de me le faire croire. Dans tous les cas je ne suis jamais qui je prétends être. C'est ce que j'ai toujours fait. Incapable de réellement savoir qui je suis. D'où je viens. Où je vais. Je prends la vie comme elle vient. Je laisse défiler les années en attendant de voir où tout ceci va m'amener. 04/ Je vis par mont et par vaux. Les hôtels. Les lits de qui voudront bien m'accueillir un soir. Le canapé d'un vieil ami. Même de retour au bercail, j'ai du mal à remettre les pieds dans la demeure familiale. Elle ne me ressemble en rien. Trop représentative du monde auquel j'essaye d'échapper depuis mon plus jeune âge. Je n'y vais que lorsque c'est nécessaire. Que lorsqu'on me le demande. Je préfère ravaler ma fierté et dormir dans l'arrière boutique du skateshop du coin que froisser les draps de soie de l'appartement des Flores. 05/ Je l'entends souvent, le tic tac dans mes oreilles. Celui dans ma poitrine. Ce son qui me rappelle que tout est éphémère. Il n'y a pas que ce nom de famille qui est une épée de Damoclès au dessus de ma tête. Il a surtout ce cœur que je délaisse. Une malformation à la naissance. Des opérations pendant des années. Et un oubli constant d'aller voir les médecins depuis pour vérifier que tout va bien. Je ne suis pas assez à l'aise avec ma vie pour chercher à éloigner la mort. Je l'attends. Je la côtoie. Je la sens souvent toute proche. Lorsque je chute, parfois. Lorsque l'amour m'a claqué la porte au nez, il y a des années. Je sens cet organe s'emballer. Ou justement s'arrêter. J'entends les battements. J'entends les sermons. Les hurlements d'une famille qui n'est pas prête à perdre un autre membre. Les Flores sont plus forts que ça. Du moins c'est ce qu'ils croient. J'ai probablement plus les pieds sur terre qu'eux. Ironiquement. Le danger est mon quotidien. L'adrénaline ma drogue. J'attends. Seul. 06/ Mais il reste cette part de moi. Celle qui sommeille. Celle qui n’apparaît que sur la terre de nos ancêtres. C'est la seule chose que je ne cache jamais. La Colombie. Cet accent qui ressort parfois parce que l'anglais avait toujours été proscrit à la maison. J'aime y retourner. Découvrir une famille bien trop éloignée. Bien trop différente de celle que je laisse ici. C'est pourtant là-bas que je me sens le plus moi. Comme si j'étais bridé dans chaque autre pays du monde. J'avais grandi aux Etats-Unis. J'avais aimé en France. J'avais rêvé en Australie. Mais je n'étais moi qu'en Colombie. Comme si mon âme reconnaissait ses origines et ne pouvait que s'ouvrir sur ces terres. C'est parfait. Mais c'est surtout effrayant. J'y découvre un autre homme. Celui que j'aurais pu être. Celui que j'aurais peut-être dû être. Alors je repars toujours. Je retourne aux mensonges. Parce que c'est devenu mon quotidien. Parce que c'est devenu plus simple. L'honnêteté m'effraie. Qui je suis réellement... encore plus.