La fille de joie (ft. Rosa)

Une fois franchi le seuil, tout se déroule sereinement et avec une quiétude troublante. Misha s’est engouffré dans la Maison des turpitudes et s’est ainsi coupé du monde, des bruits environnants, de l’asphalte martelée par les pas pressés, des voix hélant les taxis, pour un peu de chaleur factice et de parfum poudré. Et lorsqu’il a embrassé les lieux de son regard des géhennes, elles se sont pressées d’aller quelque part. Le peu de catins affairées à attendre le chaland se sont mises en branle, habitées par la trouille des représailles, qu’elles ne cravachent pas assez dur. Toutes, se sont assigné la tâche de s’occuper les mains par une remise en beauté, d’activer leurs guiboles pour une autre pièce. Peu importe les gestes, la velléité se brise tout contre l’instinct de survie, les mains se tordent à l’instar des bouches apeurées. Elles contiennent le peu d’humanité dérisoire qu’on leur laisse lorsque leurs regards évitent la pupille de la gorgone. Ainsi s’avance-t-il, la cornée scrutatrice des moindres détails dérangeants ; “maquille-toi”, “tiens-toi droite”, “remplume-toi” ; autant d’invectives patriarcales qu’il lance à l’encontre des produits les plus mal fagotés, des filles partiellement baisables. Elles, crèvent d’une solitude terrible lorsque lui s’entoure des roquets de la Romashka. Misha se dirige ainsi vers un homme de noir vêtu, les épaules bien assez massives pour lui éviter les assauts frondeurs de quelques filles aux airs rebelles. C’est que pour celles ayant ramassé la main de ce mastard dans leurs gueules, à leur en décrocher la mâchoire, c’est sûr qu’elles n’eurent pas besoin de palabrer pour faire passer le mot aux comparses. La sororité à ses limites, surtout lorsqu’elle se paie à coup de matraquage en règle. « La rentrée d’argent n'est pas bonne cette semaine. » Misha a tiré la gueule lorsqu’il a toisé la liasse de billets verts, pourtant bien fournie. Mais pas assez pour lui réprimer un soupir, la langue claquant contre le palais. La baisse des revenus sent moins le foutre que la pénibilité de la logistique. « Va falloir buter les moins rentables, et en trouver d’autres. » assène Misha d’un souffle de dépit. C’est que ces derniers temps, il a l’impression de se farder la tâche d’un DRH d’un grand groupe de cosmétique avec ses sempiternelles phases de "recrutements". L’armoire à glace a opiné du chef en guise d’approbation, a même glissé deux ou trois noms pas bien productifs. De celles qui flétrissent et peinent à faire bander. “Elles font que chialer, toute la journée, ça donne pas la dalle au client”, qu’il ajoute d’un haussement d’épaules, comme l’on évaluerait une nouvelle gamme de pop tarts. Que ce soit sucré en bouche, tu vois. « Rosalia aussi. » « Quoi Rosalia. » Il sait, pourtant, que sa favorite rechigne à bien écarter les cuisses et minauder faussement sous les coups de reins qu’on lui donne. « Bah.. » L’homme hausse les épaules, de ces airs qui veulent tout dire ; “bah tu sais, va bientôt falloir lui trouer la gueule à elle aussi.” « Ca va j’m’en occupe. Elle est en clientèle là ? » La réponse négative a invité Misha à prendre les escaliers. Il s’est glissé à l’étage non sans songer à sa dernière venue lointaine. C’est que  ça faisait bien trop longtemps qu’il n’avait pas rendu visite à Rosalia, la faute à une idylle bien entretenue au sein de son monde bien soigné. Orphée avait balayé la figure de Rosalia, sans qu’il ne prenne la peine de s’enquérir de sa putain préférée. Et c’était peut-être pour cela qu’elle se mourait, pense-t-il entre deux réflexions.

Misha a toqué à la porte et s’est engouffré derechef dans la chambre. Il n’a pas attendu l’invitation, a investi les lieux tel un maître de maison. Et c’est dingue, comme son visage s’est adouci lorsqu’il a posé les yeux sur elle. C’qu’elle était belle, avec cette tristesse injectée dans la pupille. « J’ai croisé Ivan en bas. » Il a pris place sur le lit, le matelas s’affaissant sous le poids d’un corps solide. Et, lorsqu’il a percuté le regard de Rosalia, y a insufflé toutes ses menaces alarmistes. « Il m’a dit qu’t’étais clairement pas celle qui rapportait le plus de fric. Faut que tu prennes sur toi, Rosa. » Moi, c’que j’en dis c’est pour toi, qu’il semble clamer par l’affabilité factice de sa voix. Des relents de manipulation, et bien implanter dans son crâne l’idée selon laquelle il lui distille des conseils pour mieux la sauver. Peut-être bien.

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* les paroles en italique sont prononcées en russe.