théâtre d'ombres | Iskandar

Violanda savait que ce jour finirait par arriver, et elle s’y est donc préparée. Le moindre détail qu’elle leur servira aujourd’hui aura été réfléchi, pensé, choisi. De la teinte de son fard à paupières à la posture de ses mains, en passant par la matière de son chemisier et les hésitations qui se glisseront parfois entre ses mot ; tout aura été planifié, rien ne sera laissé au hasard. En choisissant l’écorcheur de Manhattan comme modèle Violanda était consciente qu’elle finirait par être confrontée aux têtes pensantes de la police d’État. Qu'elle serait amenée à croiser la route d'agents qui n’auraient pour but que de disséquer sa vérité, de décomposer ce qu’elle est. Alors elle a fait en sorte d’être prête le jour venu. Elle a travaillé son langage corporel, elle a préparé des réponses à toutes les questions possibles et imaginables, et s’est appliquée à ce que le vrai s’y glisse toujours, à ce qu’elles respirent toutes le naturel. Tout en suivant l’affaire de près elle s’est aussi renseignée sur tous les noms y étant associés de près ou de loin. Tout faire pour éviter la moindre surprise. Et c’est comme ça qu’elle l’a découvert lui. Iskandar Wilde. Sur l’affaire depuis ses débuts, il est son plus grand défi, le seul qui pourrait se mettre en travers de son chemin vers la liberté.

Elle pénètre dans les bâtiments comme un renard le ferait dans un poulailler, silencieusement, sans que personne ne réalise que le prédateur est arrivé. Habillée d’un tailleur Prada sobre et élégant, acheté il y a des mois en préparation de cette future rencontre, Violanda évolue en terrain ennemi déterminée à remporter la guerre.  Elle se présente à l’accueil pour signifier sa convocation et elle peut apercevoir une curiosité malsaine se dessiner dans les pupilles de la secrétaire alors que cette dernière lui indique l’étage où se rendre. Une étrange excitation se glisse au creux du ventre de Viola dans l’ascenseur qui la rapproche de ce qui devrait pourtant l’effrayer. Elle ne sait toujours pas qui va la recevoir, et plus les minutes défilent plus elle réalise qu’elle serait déçue de ne pas être confrontée à celui qu’elle espère. Elle veut valser avec le danger, elle veut avoir la satisfaction de le voir lui aussi chercher là où elle n’est pas. Arrivée à l’étage indiqué elle s’installe sur l’un des fauteuils vides se trouvant dans le couloir. Les mains sagement déposées sur ses jambes croisées, elle ne tremble pas, elle n’agite aucun de ses doigts. Violanda est calme et courtoise lorsqu’un jeune homme vient l’attirer jusqu’à l’intérieur d’un bureau où il l’invite à s’installer et lui propose de quoi boire en attendant l’arrivée de l’inspecteur. Si elle s’assoit sans rien dire, elle refuse cependant la boisson qu’il veut lui offrir. Hors de question de paraître assoiffée par l’angoisse.

Et c’est au bout de quelques minutes qu’il arrive. Un simple coup d’œil suffit à lui confirmer qu’il s’agit bien de lui. « Bonjour Inspecteur. » Elle se redresse pour lui serrer la main, un  sourire poli sur le bout de lèvres et une légère tristesse aux coins des yeux. « Il ne me semble pas que nous ayons déjà été présentés, Violanda Rhodes. » Elle agit comme si elle ne connaissait rien de lui alors qu’elle sait déjà d’où il vient, ce qu’il avait et ce qu’il n’a plus. Et derrière le masque de la veuve éplorée s’agite la lueur de l’adrénaline. Une folie douce qu’elle dissimule, un sursaut qui lui donne la terrible impression de vivre intensément après des années passées dans l’ombre. Elle ne voulait pas que ce soit un autre que lui et le découvrir en face d’elle est une véritable satisfaction. Elle se rassoit et l’observe s’installer de l’autre côté du bureau. Il est loin de tous ces agents bedonnants qu’elle a croisé jusqu’à présent, ceux qui transpirent l’échec et ruminent la défaite. Lui, il diffuse l’odeur du danger et incarne la beauté du risque. « J’ai cru comprendre que vous souhaitiez me poser quelques questions au sujet de la mort de mari. » Lorsqu’elle énonce le décès de Daniel elle trouble son regard le temps d’un instant pour mimer cette souffrance qu’elle ne ressent pas. « J’espère que me prêter une nouvelle fois à cet exercice douloureux pourra vous être utile, plus que cela n’a pu l’être pour vos collègues du Queens Police Department. » Elle sous-entend l’incompétence, elle feint l’agacement d’une veuve désespérée quand elle jubile en réalité de les voir dériver. Elle a conscience de jouer à un jeu dangereux avec l’homme qui lui fait face. Une partie de cache-cache qui pourrait lui coûter cher et qui provoque pourtant en elle une réjouissance certaine. Tapie dans l’ombre de ce qu’elle veut bien lui montrer, derrière le rempart de cette femme qu’elle n’est pas, elle guette son premier coup, plus que jamais prête à contrer son offensive.

Montrez-moi de quoi vous êtes capable, Iskandar.