( I l é t a i t u n e f o i s . . . . )Fils unique. Enfin, à sa connaissance. Si maman était du genre à avoir la cuisse hospitalière et que papa avait la fâcheuse habitude de tremper son biscuit à droite à gauche, il n'est pas exclu que le colosse aux billes d'opale ait tout un cheptel de demi-frères et demi-sœurs, dont il ignore l’existence. Mais il n'en sait rien Laurynas. Les premiers rayons de l'aube d'Octobre, un sac de sport élimé abandonné devant une caserne de pompiers. Les pleurs étouffés d'un nourrisson affamé et frigorifié. Le capitaine qui s'affaire à réchauffer, emmailloter et rassasier, cette pauvre petite chose de deux kilos cinq avant de la confier aux soins des services sociaux. Sympa comme prologue hein ... .
( E n f a n t d u n é a n t )
La suite ? Oh, beaucoup de gosses nés sous X sont passés par là. L’orphelinat et le défilé des familles d’accueil. Une, deux, trois … quatorze au total. Se familiariser avec son nouvel environnement, s’intégrer et se faire des amis ; on ne lui en laissait même pas le temps. Sitôt pensait-il avoir trouvé ses repères, qu’une personne de l’assistance publique débarquait, lui apprenant qu’il ne pouvait plus rester chez Monsieur et Madame untel. Alors, on lui donnait un sac poubelle et le sommait d’empaqueter tout ce qu’il possédait. Durant des années, le résumé de sa vie tenait dans un sac poubelle. Une façon perverse de lui faire comprendre qu’il n’était rien ni personne, et qu’il ne méritait que de finir au rebut.
( L E S J O I E S E T L E S P E I N E S D E C E M O N D E )
Certaines familles - les Stevenson, pour ne citer qu'eux - l'ont accueilli et aimé comme leur propre fils. D'autres l'ont clairement et uniquement fait pour l'argent. Sa jeunesse ? Une incessante alternance entre tendresse et mauvais traitements. Syracuse, New-York, Buffalo, Rochester, Albany … le rayonnant tournesol a crû en de nombreux sols et sous bien des cieux. Même si aujourd'hui le presque soliste, affirme en plaisantant qu'il pourrait écrire un guide touristique sur l'Etat de New-York, on devine dans la frêle esquisse étirant ses lèvres et son bref éclat de rire étranglé, que les cicatrices sont encore béantes et les traumatismes lancinants. Mais ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, pas vrai ? Certes. Seulement, le petit prodige aux doigts de fée est au regret de constater, que l'abandon et l'incompréhension sont deux choses qui vous bouffent et détruisent littéralement de l'intérieur.
( C R O Q U E L A V I E )
Laurynas aurait sans doute pu espérer mieux, en guise de décor pour la scène d’exposition de cette longue pièce qu’est sa vie. Cependant, jamais à aucun moment il ne s'est plaint de sa condition. L’optimisme et la joie de vivre étaient, pour l'instant encore, bien ancrés en lui. Un garçonnet éveillé, plein de vie et d’énergie. Un véritable petit soleil qui apporte un peu de chaleur au cœur des habitants, écrasés par la morosité ambiante et leur condition misérable, à laquelle ils aimeraient tant échapper. Un bébé volcan haut comme trois pommes dont malice, espièglerie et friponnerie constituent la lave. Un collectionneur de bêtises, qui reprend de concert les chansons populaires, voire paillardes, qu’entonnent les marins et les dockers sur le port, sans comprendre totalement le sens des couplets qu’il fredonne. Le cadre et le côté très strict de l’école en revanche, l’ennuie déjà. Il veut être libre comme l’air Laurynas. Etre le fils du vent.
( I L J O U A I T D U V I O L O N D E B O U T )
Entre l'école et le gaillard à l'archet : cela n'a jamais vraiment été le grand amour. Abhorrant l'inactivité et le fait de devoir rester des heures assis et enfermé, à ingurgiter tel une éponge des hectolitres de savoir, il était indéniablement de ceux qui lorgnaient par la fenêtre et miraient avec impatience la cour de récréation déserte, en poussant tout un cortège de soupirs. Bien loin des premiers de la classe sans pour autant être en décrochage scolaire, l'artiste se qualifierait
à posteriori d’élève moyen. Pourtant détenteur d’un potentiel et d’une constellation de capacités, il fit le choix d’en exploiter qu’une infinitésimale partie. Fainéantise diront certain. Manque d’intérêt et d’application selon d’autres. Ni cancre, ni enfant précoce et surdoué ; la scolarité du petit morceau d'homme fut à l’image de celle de milliers d’autres américains : normale. Nul en mathématique. Passable en littérature. Catastrophique en Sciences. Tout juste correct en Histoire. Excellent en dessin. Et prodigieux en musique. Un talent qui n'échappa pas à son institutrice, qui devait très certainement être une artiste maudite et ratée. Parce que oui, il a un don Laurynas. Un "petit quelque chose en plus" que l'on appelle communément l'oreille absolue. Poussé et encouragé par cette femme vivant par procuration et projetant ses espoirs sur ses chétives épaules, le petit virtuose de cinq ans s'adonne alors à la pratique du violon après la classe. Véritable bonne fée et ange gardien, cette professeure prit en charge le coup de ses leçons, de son instrument et fit jouer ses quelques relations afin qu'il intègre le conservatoire. Dans un monde parfait, il aurait achevé ses études dans cette pépinière de mélomanes et serait devenu premier violon dans l'Orchestre de New-York. Au lieu de cela, son caractère sanguin et lui se sont fait virer après un semestre, pour avoir tabasser "
un enculé" et sa harpe qui l'avait pourtant bien mérité. Qu'à cela tienne, il reste toujours les auditions annuelles pour rejoindre les rangs de l'Orchestre Philharmonique. L'équivalent des play-off au baseball. Beaucoup d'appelés, peu d'élus et une farouche concurrence. Concurrence que le viking balte au caractère bien trempé éclaboussa de son talent et surclassa insolent de brio et maestria. Aujourd'hui second violon du philharmonique, l'ambitieux lorgne depuis sur la place de premier d'orchestre, occupée "
par un bouffon qui ne sait même pas faire la différence entre un dièse et un bémol", comme il dit.
( D O N J U A N B A L T E )
En grandissant, ce n’est malheureusement toujours pas l’amour fou entre les études et Laurynas. Ce qu’il aime bien en revanche, c’est faire tourner les têtes. Car l'ingénu, qui ne l'était pas tant, a très vite remarqué qu’il ne laissait personne indifférent. Aussi bien les jouvencelles qui sont en pâmoison devant lui, et dont les minauderies le laissent de glace, que les damoiseaux qui le jalousent et détiennent le secret pour tourner dans tout le sens ses sens en effervescences. Les "
fils de" et galants de bonne famille, bien sous tous rapports et qui ne bougent pas d'une oreille ? Très peu pour lui. Ils sont mous, ternes, sans personnalité, ni consistance. Son petit faible, c’est hélas les spécimens de la famille des bad boys et des badass. Les petits caïds de banlieue, qui pour certains ont déjà un casier judiciaire. Les mâles alpha, les mecs à la main leste et les machos. Ah, ce qu’il les aime ! Leur explosivité, leur côté chien fou sanguinaire et leur caractère volcanique : tout cela lui donne la fureur de vivre à Laurynas.
( L E V, L E S O L E I L D A N S L A N U I T )
Parmi ce bal de paons faisant la roue, il en est un pour lequel Laurynas se languit, tel Donna Elvire pour l’incorrigible Don Juan. Lev. Lev et son regard reptilien, ses fortes épaules et son irrespect pour tout et tout le monde. Lev qui a déjà bien roulé sa bosse, et pour qui la défonce et la cabale sont les deux seules raisons de vivre. Cash runner pour le despote de la nuit trônant en son fétide fief répondant au nom d'
Euphoria. Un véritable couteau suisse s'étant essayé au trafic de dope et au vol, avant de trouver sa "
vocation de convoyeur de fonds". Il l’a dans la peau Laurynas son Lev. Lui ? Il s’en fiche pas mal. Surtout au début. Ses "
frères et sœurs de méfaits" l’intéressaient considérablement plus. D’ailleurs, il n’avait aucun scrupule à aller voir ailleurs. Suivant le vent du nord vers de nouveaux ports. Pour de si belles sirènes et leurs merveilleux trésors. Histoire de se convaincre et de se rassurer quant au fait qu'il "
n'était pas pédé". Que c'était juste une éphémère lubie, motivée par la curiosité. Une malencontreuse sortie de route. Un misérable égarement sans conséquence pour sa virilité. Pourtant, tel un boomerang lancé au loin, il revenait toujours auprès de son blond alangui. Il le déteste tout autant qu’il l’aime. Ils s’embrassent, se lassent, se déchirent, s’entrelacent, se frappent, s’insultent, se caressent. L’amour physique, l’amour passionnel. Celui qui se fait haine le matin et qui devient tendresse le soir. Cet amour complexe, impossible, torturé si cher à Molière ou Racine. Laurynas le vit. Laurynas l’apprécie. Laurynas en souffre. Et Laurynas s’en fout. La marque d’un suçon au creux de son cou. Un coquard assombrissant le coin de son œil émeraude. C’est ça pour lui l’amour.
( L ' E N F E R I C I - B A S )
Sept ans. Sept ans d'un douloureux et exquis bonheur. Placé sous le signe de la discrétion et du secret. Avoir une inclination uraniste n'étant pas une chose que l'on clame haut et fort sur tout les toits, lorsqu'on évolue dans un milieu underground régit par la loi du Talion. Il s'est sensiblement assagi avec le temps son indomptable slave. Les femmes aux formes plantureuses qui attirent l’œil aussi facilement que la fesse attire la main ? Le collecteur de billets verts ne les reluque presque plus. Oui "
presque", car entant que cosaque macho, lorgner sur une jolie fille est une chose inscrite dans ses gênes et contre laquelle il ne peut rien. Néanmoins, l'envie de se poser, de se ranger et de se caser côté cœur, le titille énormément. Alors quand pour leur cinquième anniversaire, il mit les petits plats dans les grands, se la joua grand tsarévitch et demanda sa main au cours d'un dîner aux chandelles dans un restaurent hors de prix qu'ils ont tout deux détestés ... "
Oui !". Bien sûr qu'il lui dit "
oui" Laurynas. Depuis le temps qu'il ne veut que lui. Il y a cinq mois de cela, alors qu'il rentrait d'une tournée sur la cote Est de près d'un an avec le philharmonique, le troubadour franchement élevé au rang de second violon fut accueilli à l'aéroport par deux policiers aux visages fermés et l’air solennel. Le centre commerciale situé au confluent de Queens effervescent et de sa partie traditionnel, venait d'être le théâtre d'un braquage. Un braquage qui dégénéra, sitôt que les agresseurs et la police ouvrirent le feu. Assaut. Dommages collatéraux. Balle traçante, balle perdue. Logée et nichée au creux du plexus-solaire d'un des otages. De Lev. Son Lev. Déchiré par le chagrin, l'orphelin pleura et hurla de douleur dans tout l’aéroport. Son malaise était tel, qu’il s’arracha les cheveux par tronçons et se lacéra le visage jusqu’au sang avec les ongles.
( L A V I E A V E C E U X )
Aujourd'hui ? Eh bien, il poursuit le fantôme de son regretté amour. En marchant dans ses traces. Au sens propre, comme au sens figuré. Quand la question s'est posée pour le baron de la pègre de savoir qui allait dorénavant collecter la recette des dealers à sa botte, le nemrod blessé se mit aussitôt sur les rangs et voulut remplacer au pied levé dans cette tâche, son amour partit trop tôt. Après tout, il connaît déjà toutes les ficelles du "
métier". Le trajet, les horaires, les dealers du gang qu'il connait tous - ou presque ... . Le soir, après avoir salué le public au sortir d'une représentation à l’opéra, il troque le costume trois pièces noir contre un jogging lâche et un sweat à capuche ample, engloutissant ses formes vigoureuses. Du moins, lorsqu'il a le temps. Muni de son étui à violon, il fait alors la tournée des ruelles sombres et récupère le pactole amassé par les dealers, avant de les remettre a qui de droit. La vie continue. Malgré les malheurs. Des malheurs qui n'arrivent jamais seuls. En effet, il y a trois mois, on lui a diagnostiqué une tumeur cérébrale. Un glioblastome multiforme de stade IV très avancé, agressif et inopérable. L’oncologue lui donne entre un an et demi et deux ans dans le meilleur des cas, et six mois dans le pire des scenarii. Chimio et Interleukine lui font en réalité plus de mal que de bien. Outre le fait qu'il vomisse tripes et boyaux, qu'il perde ses cheveux, du poids et du muscle, le sommeil et l'appétit ; ces substances ont aussi la fâcheuse tendance de saper son moral. D'autant plus que depuis qu'il sait que cette tumeur – le "
monstre" comme il l'appelle – est inopérable, il ne fait plus vraiment d'effort pour tenter de la faire régresser. Ou alors, juste le strict minimum de temps à autres. Son seul traitement : se raccrocher à la vie. Un placebo qui, pour l'heure, fait encore timidement son effet.
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R E Q U I E M P O U R V I O L O N E N L A M I N E U R
Le temps pour un dernier verre
Parler de tout et de rien
Le temps de finir le concert
Le temps du dernier refrain
Le temps de remettre ma vie entière
Entre vos mains
Entre vos mains ... .
Juste le temps passé avec toi
Autant, tant que tu veux
A peine le temps de croire en moi
Pas le temps de croire en Dieu
Et me lasser de cette vie-là
Ca je sais pas si je peux
Je sais pas si je peux ... .
Le temps de m'y faire
Je prends mes affaires
Et puis j'arrive
Le temps de dire adieu
A ceux de l'autre rive
Et sourire jusqu'au dernier soupir
Si j'y arrive ... .
Le temps du voyage
Je prends mes bagages
Et puis j'arrive
Je prends mon courage
A deux mains
Si ça m'arrive
Je prends juste encore
Le temps de vivre
Et j'arrive
J'arrive ... .
Zazie
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