le temps mis en pause.

dante, il est gentil. assez gentil pour s'accrocher à ce rendez-vous mensuel, autour d'un bon café et des gaufres chaudes. dante, il lui apporte des sourires et un moment de paix sans qu'elle ne réclame quoi que ce soit. dante, il lui fait oublier sa propre vie le temps d'un instant. elle ne se sent pas dans un autre monde, celle d'une malade. la même malade qui n'a pas pu venir le dernier mois, à cause d'une série de tests affolants, mais tous négatifs.
heureusement.
ysra fait attention. elle rentre toujours une heure avant le lever du soleil. elle s'endort toujours très vite, sans entendre le moindre bruit jusqu'à ce qu'elle commence sa nouvelle journée quand, pour beaucoup, elle est déjà bientôt terminée. elle sort une heure, toujours partir en heure, après le lever de la lune. et merde. elle fait juste attention. alors... elle est là ce mois-ci.
là, à rire face à ses messages. il est vieux. un vieux qui n'aime pas les smileys et qui se demande encore les raisons pour signer en bas de son message. qui dit non, alors que marie-france a visiblement un béguin pour lui si elle lui propose mille et une propositions. mais qu'il refuse, à chaque fois.
oui, elle rigole, mais ce n'est jamais méchant. et dès que le groupe de types un peu bourrés s'en vont, elle se fraye un chemin jusqu'à ce fameux restaurant. un restaurant pas raciste, c'est ce qu'elle a besoin. parce qu'ysra, elle essaye de se préserver. elle vit la nuit, rien que pour ça, ce n'est pas très sécurisant. la nuit, le monde est souvent plus dangereux. la nuit, on entend les sirènes des policiers et les cris, les coups, de toutes ses bagarres qui ne provoquent que la haine au lieu d'apaiser la paix. ysra est dans un autre monde, c'est certain, mais elle fait comme elle peut.
elle attend, elle n'a pas pris de café cette fois-ci. elle s'est réveillée il y a une vingtaine de minutes, alors elle se commande un chocolat chaud et une assiette avec une multitude de pâtisserie. du sirop d'érable, et par dessus tout, un peu de beurre de cacahuète.
elle connaît l'endroit. elle n'a juste pas pensé que dante apprécierait d'être ici. pas que c'est très jeune mais... elle ne saurait pas l'expliquer. il a dit qu'il arrivait, mais il est long, à son goût. elle tape sur son écran tactile. elle regarde si elle n'a pas de message. elle a menti. elle n'est pas totalement toute seule. mais... elle n'est pas capable d'avouer quelque chose qui surmonte une réalité qu'on lui refuse.
ysra secoue la tête. se perd sur instagram, et puis, la porte de ce restaurant s'ouvre, au même moment où on lui apporte son assiette. ysra ne se lève pas, ne vient pas chercher la chaleur d'une accolade, préférant un beau sourire au reste. elle se redresse un peu, lui désigne la chaise. marie-france ne t'a pas tenu très longtemps ? moquerie enfantine. elle est contente d'être ici, après avoir raté celui du mois dernier.

elle n'est pas étonnée de ce fameux retard. il l'avait prévenu par message, de toute façon. elle est amusée de la situation, ça la fait rire à ysra. elle se perd juste un peu plus longtemps sur instagram, a tapé le même compte pour regarder les mêmes images. à faire les mêmes choses qu'elle fait depuis plusieurs semaines, désormais. oui. elle est un électron libre, qui, pourtant, n'est plus tant libre vu ce qu'il se passe dans son coeur quand ce même pseudo apparaît dans sa barre de notification.
mais dante arrive, enfin. alors, ysra lui offre un doux sourire, le regardant se dévêtir et s'installer en face d'elle. c'est nouveau ici, et ça sent terriblement bon que son estomac réclame ce qu'elle a commandé. ça ne devrait pas tant tarder. elle est celle qui a l'habitude des regards qui se veulent étonner, quand elle commande l'équivalent d'un petit déjeuner à une heure aussi tardive mais elle s'en fiche. elle n'a de compte à rendre à personne. vingt heures, petit déjeuner, deux heures, le repas qu'elle est censée faire le midi, six heures son dernier repas et elle s'endort vers sept heures, huit heures. forcément qu'elle voit les traits du soleil se dessinaient sur le ciel, mais les fenêtres de cette maison sont équipées pour sa pathologie, elle ne risque rien, elle apprécie juste la beauté d'un paysage que peu de personnes voient, hormis les lèves très tôt, parce que généralement... les gens ne sont pas réveillés à une heure aussi matinale.
la table encore vide, ysra s'empresse de le taquiner. elle sait qu'il prend tout au premier degré et jamais elle ne se moque, au contraire, elle trouve ça touchant d'une part. la présence de dante est rassurante car malgré cette grosse différence d'âge, il est loin d'être un homme méchant. loin de la détailler, loin de la dévisager et d'imaginer ce qu'elle porte en dessous de son tee-shirt. non. loin, dans un autre monde finalement, un peu comme elle. une mère, hein ? sérieux dante. je parie cent dollars et le prochain repas du mois prochain qu'elle veut te choper. elle sort avec beaucoup d'amusements. elle trouve ça presque mignon qu'il ne se rend compte de rien, mais on ne lui enlèvera pas cette idée là de la tête. sauf qu'il reprend sur un sujet trop sérieux à son goût, alors... elle perd doucement son sourire, secoue la tête. je ne te le dirai pas. c'est ça notre truc, se voir une fois par mois. je n'ai pas envie que ça change. elle est sérieuse. elle préserve ce qu'elle a comme elle le peut, c'est pas toujours simple mais on fait avec. alors... ysra ne cédera pas. ou alors, elle peut lui donner mais jamais il ne saura ses rendez-vous. c'est une maladie qu'elle cache, ou, quand elle ne cache pas, n'impose pas. c'est son choix, c'est important pour elle de rester dans ces cases là. parles-moi de tes affaires plutôt. quand bientôt, arrive enfin ce qu'elle a commandé, beaucoup trop de bêtises à manger, et qu'on dépose le café pour dante en face de lui. les gaufres sentent bon, et elle se fait un grand plaisir à déverser beaucoup de sirop d'érables sur cette pâtisserie.