(clair)-obscur

traits de caractère / le mépris dans ses yeux. le fiel dans ses paroles. une haine de l’autre à peine dissimulée. misanthropie pure, préférence pour l'inanimé. l'objet ne ment pas. alors elle remplit sa vie d'art, de beau, de sculptures, de peintures, de babioles clinquantes et horriblement chères auxquelles elle attache beaucoup trop d'importance pour rendre sa passion saine. la colère, toujours la colère, qui suinte de chaque partie de son être. complexe de dieu, à peine dissimulé, narcissisme au dernier degré et volonté de tout contrôler, de se noyer dans son vide intérieur. salieri, pas mozart. virtuose sans talent, aux compositions vides et froides ; alors, par dépit, par vengeance, elle dénature, elle crache à la figure de ces génies immortels qu'elle admire pourtant tellement. elle copie sans aucun scrupule, avec une adresse insolente, pour un peu d'argent sale et le plaisir pervers d'admirer l'ignorance crasse de ses victimes. elle manipule, avec son langage châtié, ses manières élégantes, son accent plein de chaleur. beauté vénéneuse, insolente, violente. beauté, valeur suprême, qu'elle parvient à trouver partout, jusque dans la douleur et le malheur. un peu folle, sans doute. folie puissante, créatrice, quand elle s’adonne à son art. une intelligence singulière, fine, l’obsession des petits détails. une connaissance indécente des beaux-arts, jalousement gardée à l'abri de l'amateurisme. une aigreur, une acidité, une formidable capacité à absorber toute joie de vivre autour d’elle. l'humeur poétique, parfois. grenouille de bénitier, un chapelet serré contre son coeur qui signe sa dévotion profonde. une dévotion pourtant entachée par ses nombreux péchés qu'elle essaie désespérément d'effacer. mais elle continue de prier, en espérant qu'un jour, Il lui pardonne.

dieu la regardait, elle en était certaine. dans cette petite église toscane, lorsqu'on a baigné son front d'eau sacrée. l'avait-elle bénie ? elle ne pouvait le dire.

elle avait été pure, pourtant. enfant sage, adolescente pieuse. mais déjà, gangrénée par la vanité, mal qui lui collait à la peau. petite fille d'une intelligence certaine, bien au-dessus de la moyenne. alors que ceux de son âge vivaient pleinement les joies éphémères de leur jeunesse, elle écoutait, et elle apprenait ; égayant ses carnets de croquis au trait assuré, se plongeant dans les encyclopédies du petit appartement florentin. elle était fière, si fière de cette vie simple mais dévotieuse et s'enorgueillissait du destin grandiose que dieu lui avait réservé. enfant prodige, qui suscitait la fierté de ses parents, dotée d'un talent unique que peu ont la chance de posséder.

convaincue qu'elle avait été choisie. partie loin du cocon familial pour apprendre, à milan, aux beaux-arts. pauvre gamine qui déchanta lorsqu'elle comprit qu'elle n'avait aucun génie. les formes étaient harmonieuses, les couleurs élégantes, mais le style atrocement académique. pas de souffle nouveau, pas d'originalité dans ses bergers et ses naïades pourtant si bien exécutés. mais elle a continué, jusqu'à l'épuisement, peignant sans relâche pour ne serait-ce qu'effleurer le beau. tentant en vain d'écarter l'implacable réalité. dieu la détestait. il l'avait reniée pour ses fautes. petite colombe détruite, aux espoirs assassinés, à la superbe accablée. pauvre brebis en perdition, attirée dans les bras d'un professeur à la bienveillance trouble. ses mots, comme du miel. mais ses mains, sournoises, impitoyables, achevaient de briser ce qu'il restait d'ingénuité en elle.

plus rien. elle n'était plus rien. vint la cruelle amertume de la désillusion. la mélancolie de son innocence perdue. baissant les yeux devant le parvis des églises, comme une enfant en faute devant la sentence paternelle. puis ce fut le tour de la colère. ses adorables toiles bucoliques se tintèrent de rouge. elle affrontait désormais sans sourciller les yeux moqueurs de ses camarades. ce qu'on ne lui avait pas donné, elle le prendrait. prométhée moderne, délaissant les offices comme les cours de peinture, elle plongea dans le milieu insoupçonné de l'imitation et, dans le même temps, le blasphème. elle sacrifia volontiers la dernière vertu qui lui restait, l'honnêteté, pour connaître la reconnaissance. elle qui haïssait tant la compagnie de ses congénères, elle était prête à toutes les turpitudes pour obtenir leur attention. ce n'était pas son nom qu'ils admiraient. mais cela n'avait pas d'importance. elle les dupait tous, eux qui n'avaient eu que du mépris pour elle. c'était enivrant.

enivrant et divinement dangereux. les néophytes étaient ennuyeux, trop faciles à berner. il fallait du frisson, du criminel, s'assurer que sa déchéance fusse complète. elle se la jouait mafieuse. ça l'amusait, petite vito corleone en herbe. les petites crapules ne lui faisaient pas peur. il n'y avait guère que Lui qui puisse faire naître la terreur dans son coeur. menacée, elle avait pensé à tuer, quelques fois, par facilité. pourtant, c'était la dernière étape qu'elle se refusait de franchir. elle savait qu'il n'y aurait pas de retour en arrière une fois le péché ultime commis. elle était terrifiée, la gamine. terrifiée de ce qui pouvait l'attendre une fois là-haut.

mais ce fut le jugement des Hommes qu'elle dut irrémédiablement affronter. la police italienne avait eu vent de ses petites magouilles. incapable de se soumettre à une loi mortelle, elle retourna sur les traces de ses ancêtres spirituels, voguant vers les états-unis pour trouver une vie meilleure, et de nouvelles victimes. espérant trouver la rédemption, à laquelle elle s'accrochait avec désespoir, loin de la noirceur qui l'avait vue naître. ne pouvant achever, durant ces longues nuits sans sommeil, la culpabilité, et pleurant la fin de l'âge d'or qu'elle avait précipitée à cause de sa faiblesse.